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Lancelot de Joncières

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Après Louise, le contraste est violent ! Il l’est autant dans la musique dans le poème, et cela ne serait pas pour nous déplaire. Malheureusement si, dans Louise, on peut dire que poème et musique sont adéquats et aussi excessifs, et vides d’ailleurs, l’un que l’autre, sous une enveloppe trompeusement brillante, dans Lancelot, le poème, ou plutôt son sujet, dépasse de trop haut la musique, et n’est pas soutenu par elle, comme on était en droit de l’attendre.

La partition de M. Joncières est pleine de qualités qui deviennent négatives dans le cas présent. La clarté y règne, et la bonne tenue ; les idées n’y manquent pas, et moins que certains ne le disent ; enfin, on y trouve un sentiment juste et poétique des situations. Mais, à ce sujet, d’ailleurs maladroitement présenté, il eût fallu davantage : une force, une couleur, une audace au besoin qu’on chercherait vainement ici.

Je ne parle pas de style rétrograde de l’œuvre musicale, car je ne vois pas du tout pourquoi, s’il est défendu avec talent et inspiration, il serait devenu insupportable à nos oreilles trop wagnériennes.

Le sujet n’est pas mal choisi ; il est pesamment et froidement présenté. On l’a emprunté aux Idyles du Roi ce cycle de quatre petits poèmes chevaleresques de Tennyson ; à la troisième et quatrième idylle, qui se suivent : Elaine et Genièvre. On connait leur caractère très poétique et très mélancolique. Mais justement il est d’autant moins théâtral tel quel. Les caractères et les scènes y sont en quelque sorte épisodiques, sans commencement ni fin, et l’intérêt, tout au développement poétique ou à la peinture des sentiments, se porte indifféremment sut tel ou tel personnage. Il n’y a pas unité, et à plus forte raison, sur la scène, avec quelques raccords d’ailleurs trop élémentaires, il n’y a plus qu’incertitude et décousu. Lancelot est d’ailleurs encore là une de ces pièces qu’on ne comprend bien qu’après informations préalables : On ne se défie pas assez de ce défaut-là, de nos jours.

La place me manquerait pour rappeler ici les divers épisodes de ces petits poèmes de Tennyson, et en marquer la différence avec le livret de Gallet et de M. Ed. Blau. – [Argument : première version].

La partition a des qualités qu’on ne saurait méconnaître sans injustice. Outre la bonne tenue générale que j’y ai déjà marquée, plus d’une page doit être signalée comme sérieusement et poétiquement pensée. Passons sur le 1ᵉ acte, dont cependant la couleur chevaleresque est intéressante, avec les larges phrases du Roi ; le duo du second tableau, entre Lancelot et la Reine comporte d’élégants motifs et celui du second acte, au château de Dinan, entre Lancelot et Élaine est encore d’une jolie inspiration mélodique. Le ballet, de lucioles et de fées des eaux, bien présenté, a une aimable allure. Mais c’est surtout le quatrième acte sur lequel j’insiste et que je trouve du sentiment le plus heureux. Il a plus de plénitude et de suite, avec les préludes de ses deux tableaux, avec la scène entre Elaine et la Reine, et surtout l’entrevue de celle-ci avec le roi Arthur, d’un vrai style, enfin avec l’harmonieux passage de la barque funèbre devant Lancelot éploré, qui termine gravement l’œuvre dans son vrai caractère de mélancolie poésie.

Au demeurant, cette œuvre a fait de l’effet sur le public. Elle en aurait fait davantage, sans une erreur fâcheuse dans l’attribution des rôles. Comment a-t-on pu donner celui de la reine Guinèvre à Mlle Delna ? Quand se persuadera-t-on une bonne fois qu’elle ne comprend et ne rend que les rôles qui sont naturellement dans son instinct ? Le rôle de Guinèvre, d’une importance à peine soupçonnée ici, est tout enfiévré de passion au début, tout pénétré de douleur et de dignité à la fin, et on le donne à la plus insouciante, la plus glaciale et la plus inconsciente artiste qui se puisse voir !

En vérité, une belle voix ne suffit pas. Si, comme on y avait pensé d’abord, Mlle Bréval avait tenu le rôle, nul doute que le duo avec M. Vaguet au second tableau, et la scène du quatrième acte avec M. Renaud (qui s’y est montré si remarquable) n’eussent pris une ampleur nouvelle.

M. Vaguet donne à Lancelot une élégante et fière silhouette, et se voix sonne plus généreusement que jamais. M. Renaud a autant de noblesse dans son jeu que d’ampleur distinguée dans sa voix : Arthus ne pouvait trouver plus digne interprète, Mme Bosman a la grâce jeune qu’il faut à Elaine, et M. Fournets a montré beaucoup de caractère dans le comte de Dinan, au second acte. – M. Vidam dirigeait l’orchestre.

Henri de Curzon

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Composer

Victorin JONCIÈRES

(1839 - 1903)

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Édouard BLAU Louis GALLET

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publication date : 18/09/23