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Frédégonde

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FRÉDÉGONDE

Drame lyrique en cinq actes, de M. Louis Gallet, musique de Ernest Guiraud et de M. Saint-Saëns.

Depuis longtemps déjà les violons sont accordés aux quatre coins de Paris… Ils ont même eu le temps de se désaccorder ; mais flâneur par nature, méridional endurci, je m’attardais, beaucoup plus que de raison, j’en conviens, à savourer les tiédeurs automnales de mon doux pays. Je les quitte à regret ! Et dulcia linquimus arva ! 

Arrivant à Paris, mon premier devoir a été, naturellement, de me transporter à notre Opéra national (oh, si peu !) pour y assister à la représentation de Frédégonde. Aussi, après avoir remercié l’administration et la rédaction du Gil Blas qui ont bien voulu me confier la tâche de succéder au vaillant Alfred Bruneau, après avoir envoyé à ses lecteurs mon plus sympathique salut, vais-je essayer de leur faire partager mes impressions sur l’ouvrage de MM. Gallet, E. Guiraud et Saint-Saëns dont j’ai, d’ailleurs, minutieusement examiné la partition et le livret.

Ah ! l’art du librettiste n’est pas ce qu’un vain peuple pense !... Et la grande masse du public ne se rend peut-être qu’un compte vague de la somme considérable de talent dont il faut disposer pour faire un bon livret d’opéra ; un livret — s’entend — selon les exigences de l’art moderne : Il faut d’abord être capable de créer, de construire solidement une œuvre dramatique de puissante envergure, contenant quelques belles et émouvantes situations, susceptible de vivre de sa vie propre avec des personnages à caractère, le tout évoluant dans des milieux qui appellent la musique, et des fonds de tableau (je veux dire de drame) permettant au compositeur de déployer les richesses de sa palette. si toutefois richesses il possède, ce compositeur !

Il faut aussi faire excellemment le vers, le rendre euphonique et le manier avec une souplesse infinie.

Ainsi outillé, le librettiste doit encore — et c’est ici le point le plus subtil — pouvoir suivre le musicien à travers les méandres, souvent vertigineux, de son esthétique. Puis, assez musicien lui-même (du moins d’instinct) s’assimiler les divers procédés employés par les anciens, les modernes, voire même les futurs.

Si E. Guiraud a choisi le sujet de Frédégonde, c’est qu’évidemment il lui plaisait. Il s’y est acharné en dehors de toute pression directoriale — ce qui, à mes yeux — ne lui constituait pas un mince avantage ! — Il porte donc toute la responsabilité de ce choix.

A-t-il été, en cela, bien inspiré ? Je n’oserais l’affirmer ; craignant d’aller contre le sentiment d’un public sur lequel, à travers les roses de la « première » semblait peser quelque mélancolie.

Louis Gallet, en maître librettiste qu’il est, a pourtant bien servi les musiciens ; abondant dans leur esthétique, assouplissant sa muse à leurs aspirations, il a facilité leur tâche avec la supériorité coutumière a son talent.

Voici les faits : 

Premier acte. — À Paris, en plein sixième siècle, dans le palais des Thermes, le poète Fortunatus, les Leudes d’Austrasie, les Goths et les Romains préparent leurs acclamations pour la reine Brunhilda qui va venir ; elle vient en effet et Fortunatus célèbre sa beauté dans un madrigal d’une jolie couleur antique. On parle ensuite un peu politique : La reine annonce la prochaine chute d’Hilpéric, roi de Neustrie et de sa femme Frédégonde, ses deux ennemis. Elle entend venger sa sœur (Galsuinte) répudiée, puis étranglée sur l’ordre d’Hilpéric. On jure de seconder sa vengeance. Mais.. alerte est donnée, les Neustriens sont dans Paris !...

Frédégonde, que Brunhilda croyait prisonnière, rendue à la liberté par trahison, s’avance avec le roi. Hilpéric traite d’abord Brunhilda avec une perfide douceur ; celle-ci reproche au roi l’horreur de sa conduite, Hilpéric la dépouille de son royaume et, la condamnant à vivre cloîtrée à Rouen, il charge son fils Mérowig de veiller rigoureusement sur elle. Le roi distribue les biens de Brunhilda, s’attribuant Paris, tandis que Frédégonde se contentera du « simple diadème ».

Au deuxième acte. — Ce qui devait arriver arrive : Mérowig s’éprend de sa captive… mais le roi leur dépêche Landéric pour hâter l’exécution de ses ordres. Ils partent le jour même, Brunhilda pleine de la terreur que lui inspire son ennemie qu’elle croit être la mère de Mérowig ; celui-ci la détrompe et lui avoue un amour… qu’elle partage. 

Au troisième acte. – Près de Rouen, Leudes, Austrasiens et Neustriens fraternisent, protestant de leur attachement pour Mérowig qu’ils souhaitent de voir uni à Brunhilda, et d’avoir pour roi.

Le vin et l’hydromel ruissellent et l’on danse au milieu des pommiers en fleurs. Le passage de l’évêque Prétextât interrompt la fête. Le poète Fortunatus, résolu à entrer dans un cloître, annonce alors à Mérowig (qui apparaît) l’arrivée de l’évêque, son parrain. À son entrée, les amants lui demandent la consécration de leur union. Après quelques objections, le prélat se rend à leur désir, mais les collines lointaines s’illuminent… le danger est imminent ; lors, Mérowig et ses guerriers poussent leur cri de guerre : «Amrah ! ». 

Avec le quatrième acte, nous retournons a Paris, au palais des Thermes où Hilpéric prodigue a Frédégonde les paroles d’amour ; celle-ci abuse de l’ascendant de sa beauté pour envenimer le roi contre son fils révolté, vaincu et réfugié à Saint-Martin, lieu d’asile sacré. Nouvelle Dalila, elle accordera au roi ses plus suaves caresses en lui arrachant, non les cheveux, mais le serment d’enfermer a tout jamais Mérowig dans un cloître.

Fortunatus d’abord, puis Mérowig et Brunhilda se trouvent, au cinquième acte, réunis dans l’asile inviolable où l’évêque Prétextat vient, au nom du roi, leur apporter des paroles de clémence… Mais Frédégonde paraît ; reprochant à l’évêque d’être son seul ennemi, elle projette de faire sortir Mérowig de l’asile pour le faire mourir et faire emprisonner Brunhilda. Survient le roi, environné d’évêques ; Hilpéric engage hypocritement son fils à franchir les limites de l’asile sacré. Mérowig, défiant, hésite, mais vient enfin tomber aux genoux de son père s’en remettant au jugement du roi qui, lui-même, en appelle à la sentence des évêques stylés par Frédégonde et malgré le pardon demandé par le parrain Prétextât, frappent de déchéance Mérowig et le condamnant à être définitivement enfermé dans un prieuré. Frédégonde, triomphante, verra donc régner ses fils ! Prétextat anathématise, Mérowig demande grâce, Brunhilda se désespère ; mais les évêques maintiennent leur sentence. Lors le malheureux prince se frappe de son couteau de guerre, qu’il jette ensuite ensanglanté aux pieds de Frédégonde.

Tel est ce drame sévère, un peu touffu, un peu compliqué peut-être, mais musical en somme ; et, si l’on peut reprocher à son auteur une exécution littéraire trop hachée, ne convient-il pas d’attribuer ce défaut à la soumission du librettiste à ses musiciens et à son grand désir de servir leur cause ? 

Il devait fatalement résulter de la collaboration de deux musiciens, dont le premier (hélas ! disparu) n’a sans doute pu tracer les grandes lignes de l’œuvre, un manque d’unité dans la conception générale, un manque de solidité dans l’ossature de la partition. Et c’est ce qui arrive ! Il serait, en effet, difficile de dire à quelle forme du drame lyrique répond la partition de Frédégonde et a quelle esthétique ont obéi ses auteurs ; se contentant de chercher et de trouver souvent la bonne déclamation musicale (surtout à partir du troisième acte), ils se sont peu préoccupés de couler dans tel ou tel moule leurs idées en fusion. 

Ont-ils eu tort ou raison ? L’avenir nous l’apprendra. Il y a cependant, au début de l’ouvrage, quelques timides tentatives de leitmotiv qui ne prennent d’ailleurs, par la suite, aucune consistance.

L’on m’assure que les deux premiers actes sont du regretté Guiraud ; or, si vous le voulez bien, nous glisserons rapidement sur ces deux actes, car je ne voudrais pas attrister les nombreux amis auxquels est chère la mémoire du défunt musicien. Je tirerai pourtant de leur audition un enseignement : c’est que quelques sympathies qu’aient su inspirer leurs auteurs, il est quelquefois dangereux pour leur gloire d’exhumer des œuvres inachevées pour lesquelles l’oubli eût été un bienfait céleste.

On y trouve pourtant — au milieu de sonorités clinquantes et de chœurs par trop orphéoniques — à glaner quelques fleurettes mélodiques : ainsi, au premier acte, le madrigal de Fortunatus, « L’amour a dit à sa mère » (si bien chanté par M. Vaguet). Une entrée de quatre basses bien théâtrale, mais qui fait terriblement penser aux anabaptistes du Prophète. Très gentille, la petite pièce instrumentale qui la précède ! quoiqu’elle évoque le souvenir de la « danse des œufs » du premier acte de Mignon

Dans le deuxième acte, on peut (en y mettant de la bonne volonté) citer la phrase dialoguée de Brunhilda et de Mérowig, « c’est à vous que je dois ces retraites fleuries », mais on y entend vraiment trop de réminiscences de Gounod, Massenet, Bizet, etc., pour y finir sur un duo que Donizetti avait sans doute oublié d’écrire. 

Le ton change avec le troisième acte… Et, dussé-je me tromper, je dirai que l’on ne tarde pas à y sentir la griffe de maître Saint-Saëns. Ce sont, d’abord, de belles sonorités wagnériennes filles de Lohengrin et de Tannhäuser qu’on y entend… puis, les réminiscences s’estompent, la facture s’élargit !.. Plus onctueux, l’orchestre affecte des airs de grand orgue… et, tenez ! à certain moment je n’ai pu m’empêcher de songer au vieux Sébastien Bach qui, se promenant dans la campagne, monta incognito à l’orgue d’une église de village et y intrigua beaucoup l’assistance, par son génial toucher. Interrogé, le grand homme consentit à dire qui il était en improvisant, à l’offertoire de la messe, une fugue dont le sujet fut calculé avec les notes correspondantes aux quatre lettres de son nom.

Eh bien, M. Saint-Saëns aussi a joué l’offertoire dans cette messe laïque !

Oui, voici des chœurs qui, secouant enfin leur joug orphéonique, deviennent plus mouvementés, plus vivants, l’ensemble prend de l’ampleur et la scène du mariage de Mérowig avec Brunhilde, à laquelle se mêle heureusement le chant du « Pange lingua », est assez grandiose. Mais pourquoi le « Pange lingua » qui n’a rien de nuptial ?... Si c’est une allusion à Fortunat (lequel fut évêque de Poitiers). Tant valait choisir le « Vexilla Régis » du même auteur, c’eût été encore un peu moins nuptial !... Par malheur, après cette belle scène, nous sommes refroidis par le chant de guerre « Amrah ! » 

Du ballet, deux morceaux m’ont plu : le premier, par sa couleur archaïque, le second — plus italien — par son parti-pris de trilles qui pétillent comme le vin « d’Asti spumante ». J’aime beaucoup moins le dernier numéro dont les interruptions à « trois temps » ne réussissent guère à dissiper une impression de « tarantella » qui n’a rien à voir sous les pommiers en fleurs de la vieille Neustrie.

Ce joli petit ballet, fort bien réglé par M. Hansen, a été dansé par mademoiselle Hirsch… exquisément ! Mais comme il est regrettable qu’à la fin des grands ensembles, la danse ne tombe jamais d’aplomb sur les derniers accords de l’orchestre !...

Musicalement, les deux derniers actes sont de beaucoup les meilleurs ; l’orchestre, coloré d’un beau clair-obscur, y souligne à souhait le caractère haineux de Frédégonde et les ardeurs lascives d’Hilpéric. On les a écoutés avec plaisir ces deux actes, bien que leur forme par trop hachée et déclamatoire, soit troublante. Aussi respire-t-on quand arrive le joli terzettino en « sol bémol » qui commence le cinquième acte. La fenêtre, enfin, est ouverte !...

Ah ! qu’il y a aussi, par ci par là, de jolis coins d’orchestre d’un goût classique quintessencié !

Ici, grand Mozart, je te salue !...

Nous retombons, ensuite, dans une bonne déclamation mesurée, jusqu’à la scène liturgique (qui m’a très favorablement impressionné) où l’on condamne Mérowig ; la sentence : « Du siècle qu’il soit séparé, qu’il aille dans un prieuré… » psalmodiée par les évêques, a grand caractère et je ne saurais assez louer le compositeur de l’avoir reprise au moment, plein d’angoisse, où tant de sentiments divers s’agitent dans un ensemble magistral.

En résumé, si cette partition que le public des premières a accueilli non sans réserves n’ajoute rien aux conquêtes de l’art musical, elle maintient, du moins, glorieuse la réputation de l’un des deux musiciens : j’ai nommé M. Saint-Saëns.Sans être idéale, l’interprétation est plutôt satisfaisante :Je constate avec satisfaction les progrès de madame Héglon (Frédégonde) ; sa voix a pris de l’ampleur, surtout dans le grave, et sa diction — chose rare — arrive bien au public.

C’est à elle que revient la plus large part de succès dans l’interprétation.

Mademoiselle Lafargue n’a guère servi la cause des auteurs : elle a chanté le rôle de Brunhilda d’une façon énigmatique ! Je m’explique, en disant que le chevrotement de sa voix oblige à rechercher quelle est la note qu’elle a l’intention de faire. Et puis, quelle mauvaise prononciation ! Je sais bien qu’elle a chanté le rôle de Brunhilda hâtivement ; mais que voulez-vous, au théâtre on ne peut juger que ce que l’on entend, et ce qu’on entendait ce soir n’était vraiment pas bon.

M. Alvarez (Mérowig) est un vaillant artiste qui a des qualités chaleureuses, de la nervosité. Que n’a-t-il dans la voix plus de puissance métallique et d’ampleur !

M. Renaud (Hilpéric) lui, est un bon artiste et même un peu mieux que cela ; mais il lui manque « ce je ne sais quoi » qui caractérise « les grands » et réside dans l’autorité rythmique et la spontanéité de l’articulation.

Un bon point à M. Vaguet, dont la jolie voix a su donner un charmant relief au rôle de « Fortunatus ». 

L’Évêque (Prétextât) a trouvé chez M. Fournets la voix onctueuse et austère des prélats qui ouvrent les âmes à la justice... mais l’artiste fera bien d’ouvrir l’oreille à la justesse.

La voix de M. Ballard sonne bien, un peu lourdement peut-être, dans le rôle de Landéric. 

Chœurs sonores, mous, mais disciplinés. Orchestre correct... rien de plus ! Ni âme, ni délicatesse, ni flamme ! Sans compter que je n’aime pas la place choisie par M. Taffanel, qui lui permet de dérober ses intentions à la moitié de ses musiciens. Je sais bien que l’usage français est plus défectueux encore… mais ce « mezzo-termine » est loin de me satisfaire. 

La mise en scène de Frédégonde m’a paru assez bien réglée ; néanmoins un voisin (esprit morose) me faisait observer qu’on pouvait reprocher aux masses chorales trop d’immobilité.

G. SALVAYRE. 

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