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Chronique musicale. L'Ancêtre

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Chronique musicale.
Au théâtre de Monte-Carlo. – Le Roi de Lahore, de M. Massenet. – L’Ancêtre, de M. Saint-Saëns.

La principauté de Monaco continue d’être hospitalière chaque hiver aux artistes et aux musiciens français. Le prince qui règne en ce paradis aime avec une intelligente passion les sciences, les lettres et les arts ; il a le sens et le goût du beau, et ses largesses se plaisent à en favoriser toutes les manifestations. C’est du théâtre de Monte-Carlo que depuis quelques années nous viennent les œuvres qui enrichissent le répertoire des scènes parisiennes. C’est là que nos grands compositeurs apportent de préférence la primeur de leurs ouvrages. Ils savent, en effet, que ce petit théâtre qui-peut servir d’exemple et de leçon à bien d’autres plus ambitieux, est administré par un directeur incomparable, M. Raoul Gunsbourg.

Sous le haut patronage d’un prince qui l’estime et le juge à sa valeur, M. Raoul Gunsbourg fait chaque année des miracles : il recrute les plis brillants artistes du monde et provoque l’éclosion d’œuvres nouvelles toujours intéressantes. Rien ne lui paraît difficile, et les tours de force de mise en scène dans un cadre relativement étroit lui sont familiers. Cet hommage que je rends M. Raoul Gunsbourg n’est, en somme, que l’écho des paroles prononcées par Mgr le Prince de Monaco, devant la presse parisienne, la veille du jour où fut jouée l’Ancêtre de M. Camille Saint-Saëns.

Le programme de la saison lyrique organisée cette année à Monte-Carlo comprenait tout d’abord une reprise du Roi de Lahore de Massenet. […]

Il y a deux ans, M. Camille Saint-Saëns avait donné au théâtre de Monte-Carlo Hélène, dont la destinée fut courte. Le drame lyrique qu’il vient d’y faire jouer cette fois, L’Ancêtre, aura sans doute un sort plus heureux. C’est toujours avec respect, d’ailleurs, qu’il convient de parler de ce grand musicien même quand il se trompe. On peut ne pas aimer ses œuvres de théâtre ; elles ne sont jamais indifférentes car on y trouve toujours la preuve d’une science immense et l’affirmation d’une très haute personnalité


Le livret de l’Ancêtre devait naturellement séduire M. Saint-Saëns ; il est plein, en effet, de situations dramatiques et de caractères très en relief. M. Auge de Lassus qui est un lettré délicat, nous a raconté une histoire corse, non pas à la façon de Mérimée, d’Edmond About ou d’Emmanuel Arène, mais sur un ton mélodramatique à l’excès.

Dans un très pittoresque village de la Corse deux familles se haïssent furieusement. Comme autrefois les Montaigu et les Capulet de Vérone, les Fabiani et les Piétra-Néra ont juré de s’entre-égorger. Le sang a coulé des deux côtés qui appelle la vengeance. Le vieil ermite Raphaël se désole de voir tant de haine dans ce joli pays ; et, tout en élevant des abeilles qui bourdonnent autour de sa cabane, il a entrepris de réconcilier les deux familles ennemies. Cela se passe sous le premier Empire. Le jeune Tébaldo, officier dans les armées de Napoléon, consent, au nom des Piétra-Néra, à signer le traité de paix. Mais il y a chez les Fabiani une femme qui ne désarme pas, la vieille aveugle Nunciata. Toutes les prières de l’ermite, toutes les sollicitations respectueuses des siens la trouvent intraitable. Or, M. Augé de Lassus qui connaît son Shakespeare, a voulu que Tébaldo fût amoureux de Margarita, et que Vanina, sœur de Margarita, fut amoureuse de Tébaldo. Pour compliquer un peu plus la situation, Léandri, petit-fils de Nunciata, est tombé frappé de deux balles tirées du côté des Piétra-Néra. Tout ceci est déjà passablement lugubre ; mais ce n’est pas tout. Le cadavre de Léandri est apporté en procession sur une civière, et c’est devant lui que l’ancêtre Nunciata renouvelle ses imprécations de haine sauvage.

Pourtant, Tébaldo et Margarita s’aiment toujours, et toujours Vanina est jalouse. Comment trancher la situation ? En Corse, ces histoires-là finissent d’habitude, par des coups de fusil. Tandis que les deux amoureux bénis par l’ermite reprennent le sentier de la montagne, Nunciata ramasse à tâtons un fusil et tire au hasard : c’est Vanina qui est tuée.

Tel est ce drame rapide, agité et noir. En quelques semaines, M. Saint-Saëns en a extrait une partition où il n’y a pas un défaut ; la science la plus classique s’y déploie avec abondance et l’orchestration, comme toujours, est une merveille d’habileté et d’exécution. Si j’osais formuler une critique, je dirais que cette œuvre n’a pas d’âme ; elle est toute en façade, mais quelle riche façade ! Autant le génie de M. Massenet nous émeut, autant l’impeccable talent de M. Saint-Saëns dégage une solennité austère. Or tous les trésors de la technique la plus parfaite ne valent pas, dans un œuvre de théâtre, un peu d’humanité : et, c’est la vie, c’est un peu d’humanité qui manque à cet illustre musicien. Il sait jusqu’au prodige tous les secrets de son métier ; sa virtuosité est magistrale, éblouissante, et pourtant, ses œuvres qui ne vibrent pas, ne font pas vibrer. Bien sincèrement, je crois que si l’Ancêtre n’avait pas été mis en scène par un directeur comme M. Raoul Gunsbourg et interprétée par des artistes comme Mme Litvinne, Mlle Farrar, MM. Renaud et Rousselière, elle n’eût pas trouvé auprès du public l’accueil respectueux qui lui fut fait.

Ch. Formentin.

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(1835 - 1921)

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