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Thaïs à l'Opéra ou Paphnuce et Chloë

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THAÏS À L’OPÉRA
ou
Paphnuce et Chloë
folie mystique envers libérés, à la façon de M. Louis Gallet

PERSONNAGES :
THAÏS
PAPHNUCE-ATHANAEL
NICIAS
Rieuses, Pleureuses, Nonnes.
Compagnons de débauche.
Un petit cochon.
Peuple, Danseuses, Appariteurs.

ACTE PREMIER
1er Tableau
La Thébaïde
La scène représente un vaste désert. À gauche, un petit ermitage, élégant et confortable. À droite, une cabine téléphonique et tout ce qu’il faut pour prier.

Paphnuce, écoutant le théâtrophone
Il n’y a pas d’erreur, cette jeune Thaïs,
Des Bouffes d’Égypte vaut son pesant de maïs.
Je me plairais fort a l’entendre de plus près
Et je…

Un ange
Maître, pardon si…

Paphnuce, sans se déranger
Fichez-moi la paix !
Vous savez que je ne veux pas que l’on m’embête,
Lorsque j’entends des voix…

L’ange
Que le diable l’emporte !

Paphnuce reprend le cours de ses méditations.
C’est charmant le théâtrophone, j’en conviens,
mais cela ne vaut pas un bon fauteuil d’orchestre
Au théâtre d’Alexandrie. On est très bien
Dans ce vaste désert ; mais il ne faudrait pas
En abuser ; à la longue, c’est monotone.
(Avec force.)
Qu’il est beau d’être solitaire,
Mais que c’est un sort exigeant !
Couler ses jours dans le déser-re
Et prier éternellement !
Ne jamais, jamais changer d’air-re.
Quand on aime le mouvement !
Se contenter d’un ordinaire,
Où dominent les féculents !
Porter le cilice et la haire,
Pour se mortifier la chair-re,
Au lieu d’un complet élégant
De chez Godchaux, à dix-sept francs !
Tout ça, dans le seul but de plaire
À l’Eternel qui, bien souvent,
Entre nous, n’a même pas l’air-re
De nous en savoir gré. — Vraiment,
Ça demande un tempérament
Tout à fait extraordinaire.

La voix formidable de l’Eternel, dans le téléphone
Et la divine extase, est-ce donc rien, mon fils ?

Paphnuce, impatienté
On s’en fatigue, ainsi que d’un pâté d’anguille.

La voix de l’Eternel
Bref, tu n’es pas content. Alors, que te faut-il ?
Parle-moi sans détours ; — mais ne trouves-tu pas
Qu’au lieu de ce galimatias un peu puéril
Qui n’est pas de la prose et qui n’est pas des vers,
Notre conversation gagnerait fortement
À se poursuivre sur le ton des bonnes gens ?

Paphnuce, abandonnant enfin le langage de M. Gallet
Je n’osais pas vous le demander, Seigneur !

La voix de l’Eternel
En somme, de quoi te plains-tu ?

Paphnuce
Ça manque de femmes.

L’ange, finement
Et les caravanes, Maître ?

La voix de l’Eternel, formidablement sévère
Vous savez que j’ai horreur de ce genre d’esprit, petit drôle, et je vous ferais flanquer la fessée, si déjà vos polissonneries ne m’avaient mis dans l’obligation de vous priver de derrière ! (A Paphnuce.) Tu disais donc, ô mon fils !

Paphnuce
J’étais en train de vous dire, Eternel, que je m’ennuie comme un carme et que vous me voyez en proie à une envie folle d’aller faire un tour à Alexandrie.

La voix de l’Eternel
Tu ne seras donc jamais sérieux ? (Avec un soupir.) Enfin, vas-y et ne sois pas long… Mais j’y pense : puisque tu passes à Alexandrie, rends-moi donc le service de me ramener une pécheresse de grande marque, la blonde Thaïs, qui se montre tous les soirs devant un public idolâtre sur la scène des Bouffes d’Égypte, sans autre vêtement que onze cent mille francs de diamants.

Paphnuce, vivement intéressé
Vous dites, Seigneur ? la nommée Thaïs… Parfaitement. Je vais noter ce nom-là ; mais, pour plus de sûreté, je vous serais bien obligé de me faire voir sa photographie.

La voix de l’Eternel
C’est que je ne l’ai pas sur moi.

Paphnuce
Alors, Seigneur, serait-ce un effet de votre bonté de m’en donner quelqu’idée par une de ces apparitions que vous daignez parfois envoyer à vos élus ?

La voix de l’Eternel
Excellente idée. Une, deux, trois ! la belle Thaïs va t’apparaître dans un buisson.

Paphnuce
Faites, Seigneur, que ce soit dans un buisson d’écrevisses !

Immédiatement, l’Eternel, pour qui les moindres vœux du saint homme sont des ordres, fait apparaître la jeune personne dans une tenue de cabinet particulier.

La voix de l’Eternel
J’allais oublier une recommandation salutaire : si tu veux être reçu dans le Tout-Alexandrie, je te conseille fortement de ne pas te présenter sous le nom de Paphnuce, un nom à coucher dehors. Prends-moi plutôt quelque pseudonyme élégant ; par exemple, Athanaël : ça fait très bien en musique. 

2e Tableau
Une place publique devant la maison de l’intrépide vide-bouteilles Nicias.
Parthénis et Lééna sortent de la demeure en riant à fendre l’âme.

Parthénis.
Hi ! Hi ! Hi ! Hi ! Hi ! Hi !

Lééna.
Ha ! Ha ! Ha ! Ha ! Ha ! Ha !

La foule, acclamant à la cantonade Thaïs, qui revient des Bouffes-d’Egypte
Hé ! Hé ! Hé ! Hé ! Hé ! Hé !

Athanaël, profondément scandalisé
Ho ! Ho ! Ho ! Ho ! Ho ! Ho !

Nicias et ses compagnons de plaisir, apercevant Athanaël en sa robe de moine
Oh ! r’gardez c’te gueule, c’te binette !
Oh ! regardez c’te gueule qu’il a !

Athanaël, tendant la main à Nicias
Ah ça ! mon vieux colon, on ne reconnaît donc plus son ancien camarade de volontariat !

Nicias, ravi
Allons donc ! c’est toi, ma vieille. (À ses gens.) Une robe d’Asie à monsieur, et des cock-tails, vivement !

Thaïs, entrant, s’arrête devant Athanaël avec une surprise mêlée d’émotion.
Tiens ! un curé ? Chouette, papa ! Ça m’rend toute chose, comme
Quand j’étais p’tite
Et que j’allais communier à
Sainte-Margueri-ite !
(Les servantes revêtent Athanaël de la robe d’Asie.) Ça lui va rudement moins bien, mais je l’aime mieux comme ça tout de même ; ça m’intimidait, son costume. (Lui tapant sur le ventre.)
Quoi de neuf au désert ?

Athanaël, se frottant le creux de l’estomac
Ménagez ma vertu !

Thaïs
Qui t’a fait si sévère
Et pourquoi démens-tu
La flamme de tes yeux ?

Athanaël, implorant le Ciel
Préservez-moi, mon Dieu !

Le chœur
C’est un membre de l’Association contre l’abus
De la licence dans les rues !

Athanaël, bas à Thaïs
Donnez-moi votre adresse.

Thaïs, à l’oreille d’Athanaël
À deux pas, joli blond, je s’rai très pittoresque ! 

ACTE II
3e Tableau
Le boudoir de Thaïs. — Bric-à-brac algérien de la colonnade Rivoli. — Buste d’Eros. — Des pastilles du sérail brûlent dans des cassolettes.

Thaïs, enlaçant d’un geste infiniment gracieux le col de la statue d’Eros
Vénus, invisible et présente,
Rends-moi capiteuse et troublante.

Athanaël, les yeux levés au Ciel
Dis-moi, Seigneur, quel plaisir trouves-tu
À faire ainsi cascader ma vertu ?

Thaïs
Vénus, invisible et présente,
Émoustille ce jeune pante !

Athanaël
Dis-moi, Seigneur, etc.…

Thaïs, se regardant dans son miroir
Vénus, invisible et présente,
Inspir’-moi des choses qui tentent.

Athanaël, frappé d’une inspiration d’en haut.
Une idée ! Une idée !
Je vais l’hypnotiser.
Il l’endort en lui chantant avec gestes appropriés :
Viens, viens, dans une autre patrie
Cacher ton déshonneur et ta bijouterie.
Viens, ta place est bien dans le désert.

Thaïs, domptée
Ah ! je cède éperdue… Quand vous voudrez, mon père. 

4e Tableau
La place publique devant le petit hôtel de Thaïs. Décor superbe. Effet de nuit. On entend vaguement l’orchestre de la Belle Fathma.

Nicias, sortant du club, les poches pleines d’or
Je ne sais pas pourquoi, mais j’eus
Ce soir la veine d’un co…

Un joyeux tapeur
… quin !
Heureux coquin !

Athanaël sort furtivement du petit hôtel.

Nicias, l’apercevant
Que vois-je ?… Athanaël ! Mon cher, ce n’est pas bien.

Athanaël, un peu décontenancé
Je t’assure que tu te trompes.

Nicias, insouciant
Après, tout,
Je m’en f…iche !
Foin du collage !… Il n’est que temps de rompre…

Le chœur
Rompre ou ne pas rompre ! Thaïs
The question !

Nicias
Eh bien ! je romps, vas-y, mon fils !

Athanaël, appelant Thaïs
Assez dormir, ma belle !
Le désert nous appelle !
(À part.)
Ces femmes ne sont jamais prêtes.
(Riant.)
Descends, ou
Crains la colère divine !
Thaïs paraît en costume de voyage
En route, maintenant, pour le couvent d’Albine !
Saint Valabrèg’ priez pour nous !

La foule veut s’opposer au départ de Thaïs ; Nicias l’apaise en lui lançant des poignées d’or.

Thaïs, le regardant faire avec un regret mêlé de surprise
Il en avait encor !… Que ne le disait-il ! 

ACTE III
La Thébaïde
La cabane de l’ermite et celle de son compagnon. Athanaël dort, couché sur le dos, montrant la plante de ses pieds au public. Son compagnon, qui s’acharne à vouloir trouver des truffes au pied des palmiers, exprime sa déception par des grognements accentués.

Athanaël, rêvant
C’est fameux de dormir. Aucun soporifique
Ne vaut décidément cet extrait thébaïque.
Ô rêves délicieux !
Je n’ai qu’à fermer les yeux
Pour que des femmes nues
Paraissent à ma vue.
Mais, hélas ! point je n’aperçois
Ma chère petite Thatha…
Cette charmante enfant
Me manque énormément,
Et j’ai regret de l’avoir mise en un couvent.
L’orchestre joue un air de ballet. — Les ballerines font mille agaceries à Athanaël, qui se livre à de vaines contorsions pour mettre la main sur une étoile de la danse.
Ces dames sont bien polies,
Mais tout ça ne vaut point Thaïs.
Un bataillon de nymphes et de bacchantes accourt aux sons d’une musique infernale et se met a tout casser dans l’établissement, en chantant à tue-tête.
Démolissons, démolissons
L’ermitage de Saint-Paphnuce ;
Démolissons, démolissons
La maison de son compagnon.

Athanaël
Ces personnes sont fort plaisantes,
Mais, entre nous, un peu bruyantes,
Et Thaïs est bien plus charmante.
Mais qui donc entends-je qui chante ?
Une apparition qui ressemble comme deux gouttes d’eau à Yvette Guilbert, se montre sur la toile de fond, et débite ce refrain déjà populaire :
Cochon ! Cochon !
Qu’il est joli, son p’tit cochon !

Athanaël
Est-ce la voix de ma Thaïs ?
(Il regarde.)
Non, ses mains blanches comme un lys
Ne s’emprisonnent point dans ces vastes gants noirs !
Il se réveille en sursaut et se dresse épouvanté.
Je viens d’être la proie d’un affreux cauchemar !
Oui, je rêvais, Dieu me pardonne !
Que Thaïs était brusquement emportée par
Une indigestion de pets de nonne !
Ce serait trop affreux ! Je pars pour m’assurer
Que ce rêve n’est point une réalité. 

Dernier Tableau
Le couvent d’Albine. Athanaël arrive pour les derniers instants de Thaïs.

Thaïs, en nonne
J’exhale mon dernier soupir.

Elle meurt. Athanaël se jette sur son corps pour le couvrir de baisers.

Le chœur des nonnes
Qui donc es-tu, démon, pour ainsi te conduire ?

Athanaël, avec désinvolture
Mesdames, je suis le vampire,
Le vampir’ de la Thébaïde.

Chœur des nonnes, levant les bras au Ciel
Voilà ce que l’amour fait d’un moine candide !

La voix de l’Eternel, en train de faire sa caisse
Il eût mieux valu que je n’eusse
Point perdu l’âme de Paphnuce ;
Mais celle de Thaïs me rentre, et, somme tout,
Je crois bien que je gagne au coup.

GROSCLAUDE.

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Composer, Pianist

Jules MASSENET

(1842 - 1912)

Librettist

Louis GALLET

(1835 - 1898)

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