Premières représentations. Lancelot
Premières Représentations.
ACADEMIE NATIONALE DE MUSIQUE. — Lancelot, drame lyrique en quatre actes et six tableaux, paroles de Louis Gallet et M. Edouard Blau, musique de M. Victorin Joncières.
Lancelot a été accueilli ce soir avec une respectueuse sympathie, d’autant plus honorable pour M. Victorin Joncières, que, évidemment, elle s’adressait à l’homme, bien plus qu’à l’œuvre elle-même ; on a été heureux de fêter ce Laborieux, ce Digne, qui, par un long effort de musicien, d’où naquit bon nombre d’œuvres considérables sinon éclatantes, et, par un non moins long effort de critique, toujours loyal sinon généreusement passionné, morte et gardera l’estime de ses contemporains.
L’Aventure de Lancelot le preux qu’enseignèrent les fées, n’a jamais été une vraiment belle chose, même dans la Chanson, encore sauvage, du violent trouvère Chrétien de Troyes ; elle s’amollit, s’allégorise, se galantise dans l’œuvre en langue romane du chevalier Gautier Mapp, et dans celle, en langue allemande, du minnesinger Ulrich de Zazichoven ; et le délicieux poète-aquarelliste Tennyson, qui voile toutes choses d’une si fine gaze de nuances tendres et délicates, ne pouvait que nous montrer, un peu plus estompé encore, le peu qu’elle avait gardé d’énergie, de sauvagerie primitive. Mais, du moins, il fit vivre et mourir, si exquise, si blanche, si légère, si fluide, la jeune fille laissée par l’ingrat Lancelot, Elaine, le Lys d’Astolat, qui, trépassée, sur la barque que la marée emporte, une fleur dans la main, et toute sa chevelure d’or ruisselante sur elle, repose en souriant, et offre elle-même, de ses blêmes doigts défunts, au roi Arthur, la lettre où elle dit à Lancelot : « Lancelot sir Lancelot, celle qui fut nommée la vierge d’Astolat, vient ici, car vous êtes parti sans prendre congé d’elle ; elle est venue ici pour prendre une dernière fois congé de vous ; elle vous aimait, et son amour n’eut point de retour ; c’est pourquoi son fidèle amour a été sa mort ! ». Il semble que Louis Gallet et M. Edouard Blau auraient pu, en cette Elaine, adorable figure poétique, trouver un heureux prétexte à quelque suave inspiration musicale ? Ils ont préféré faire de l’aventure féerique de Lancelot un banal drame chevaleresque, avec des cortèges et des danses, sans même user, pour en faire quelques scènes vraiment chaleureuse, de la passion que leur offraient, si raffinée à la fois et si sensuelle, les adultères amours de la reine Guinèvre.
Voici, en un bref résumé, l’opéra de ce soir, – je ne dis pas de demain. [argument court de la pièce]. Tout cela est sans invention, sans éclat, sans intérêt, – sans héroïsme, ni tendresse. Les vers ne sont pas dénués de quelque correcte audace.
Sur ce livret, où sont, dirait-on, évitées avec un soigneux parti pris, tous les conflits dramatiques, où le rêve, le charme est exclu de la féerie, il eût été bien difficile à M. Victorin Joncières d’écrire une musique puissante, émouvante, et chimiquement délicieuse, lointaine, ravie d’idéal. D’ailleurs, il faut remarquer que, à travers plus d’un quart de siècle, l’auteur de « Lancelot » s’est surtout montré, dans l’œuvre et la critique, un modéré, un conciliateur, en un mot, un éclectique ; parmi le grand remuement artistique de ces dernières années, il a été une presque-immobilisé qui n’avance qu’à peine, quand elle ne peut pas faire autrement, parce que, enfin, on ne peut pas rester tout seul. Un modéré tempérament est singulièrement inopportun aux heures révolutionnaires. Mais M. Victorin Joncières a bien le droit de nous traiter de démagogies. Il va sans dire que, ça et là, de pâmées mélodies et des sonorités tumultueusement compliquées rappellent le sentimental et érudit musicien que l’on peut admirer en M. Victorin Joncières.
Cet opéra est bien interprété par M. Renaud de qui la voix est belle et séduisante ; par M. Vaguet, qui, de jour en jour, devient un plus sûr et plus admirable triste ; par Mme Bosman, chanteuse qui fait bien attention de ne pas se tromper et qui a un diapason dans la conscience. Mlle Delna, – c’est Guinèvre – s’avouait, trop visiblement, assez ennuyée à un rôle ennuyeux. – La mise en scène, splendide, ne laisse pas d’être terne. Je veux dire qu’elle manque de singularité, de pittoresque, de nouveauté dans l’espace et dans l’éclat. C’est énorme et brillant, – sans cesser d’être quelconque. Le ballet même, malgré tant de ballerines adroites, manque de joie, de vie, de songe : et ce n’est qu’un très grand et très long ballet ; les lueurs électriques, aux cheveux des danseuses, sont une ingéniosité bien surannée. Pourtant, si, je me trompe, il y a, au décor du cloître, une originalité assez frappante ; des cactus, d’ailleurs fort beaux, poussent en pleine terre de Bretagne, – Mais la belle renommée de M. Victorin Joncières est demeurée intacte.
Catulle Mendès
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Victorin JONCIÈRES
/Édouard BLAU Louis GALLET
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publication date : 29/09/23