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Chronique musicale. Robert le Diable. 3e article

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CHRONIQUE MUSICALE
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
Robert-le-Diable. Deuxième acte.
(Troisième article.)

Mme Damoreau chante à ravir les cavatines, les duos, et les faiseurs de livrets suivent à l’égard de cette virtuose une sorte de tradition, en écrivant pour elle des rôles d’héroïne éminemment sensible, de principessa sventurata destinée à gémir con dolcezza, à se livrer aux transports d’une aimable gaîté, à charmer l’auditoire lorsque les diableries, les complots, les assassinats cessent un instant de l’épouvanter. Moïse, la MuetteGuillaume TellRobert-le-Diable, offrent quatre éditions différentes d’un môme rôle, que la cloison d’un cabinet ou d’une chambre à coucher semble séparer du reste de la troupe agissante.

Inconsolable et seule, en sa cour, à l’écart,
D’Ulysse, Calypso déplorait le départ.

J’aurais pu citer la prose de Fénelon, j’aime mieux vous dire les rimes de je ne sais quel drôle de corps qui s’est amusé à mettre eu vers les Aventures de Télémaque fils d’Ulysse ; je vous cite les premiers venus et serais très embarrassé de compléter le quatrain ; mais ces deux vers me poursuivent et sonnent à mon oreille mentale toutes les fois que je vois Mme Damoreau procéder dans un second acte et séjourner dans un boudoir. Un cabinet que le décorateur a rétréci afin de laisser le champ libre pour les machinistes qui, derrière ce réduit élégant, poussent à cour, à jardin comme autrefois ils poussaient au roi, à la reine, et, nouveaux Titans, entassent Pélion sur Ossa ; magiciens sans magie, plantent des taillis et des futaies, bâtissent des harems et des cathédrales, font jaunir les moissons, lœtas segetes, ou verdir la prairie qu’un fleuve, aussi immobile que ceux de Sibérie en hiver, parcourt en serpentant.

Mme Damoreau a représenté Rosina, Ninetta au Théâtre-Italien avec succès ; elle n’a pas redouté le beau rôle d’Euriante, elle chante sa dernière cavatine de Robert-le-Diable avec toute la force d’expression dramatique et l’éclat que l’on peut désirer. Faiseurs de livrets, disposez vos scènes de manière â donner de l’action à cette cantatrice. Cessez de la reléguer dans ses cabinets ou de l’abandonner au milieu de la scène pour y venir chanter un brillant solo comme Mlle Taglioni, Mlle Julia viennent danser un pas.

La princesse Isabelle ouvre donc le second acte par une cavatine très développée et que le chœur et des fragmens de dialogue divisent en deux parts très distinctes. D’abord, l’andanteEn vain j’espère, tendre et gracieux, dont la modulation mérite d’être remarquée. Le petit chœur de femmes est d’une mélodie charmante, et son rhythme régulier frappe agréablement l’oreille. Honneur à M. Meyerbeer, honneur surtout à MM. Scribe et De Lavigne ! En effet, comment faite de la musique médiocre sur des vers aussi bien mesurés et qui présentent avec une parfaite exactitude la coupe des strophes de TancrediPiru dolci e placide.

À la souffrance
Donne assistance,
La bienfaisance
Est dans ton cœur.

Vous chanterez ce couplet sur l’air du chœur de Tancredi, sans être obligé de déranger nue syllabe, une lettre ; vous le chanterez encore sur l’air Di tanti palpiti, sur soixante airs du même mètre, avec une exactitude égale, une semblable facilité. Les bons vers se cramponnent à la bonne musique, et s’unissent avec elle aussi étroitement qu’un en grenage sorti des mains du mécanicien Wagner. Désignez seulement le numéro, le calibre, et la pièce brisée à la Martinique sera remplacée dans la rue du Cadran, sans qu’il soit nécessaire de déranger la machine. À mesure que nos faiseurs de livrets feront des progrès dans l’art des vers, notre musique deviendra meilleure. Ces messieurs sont en bon chemin ; ils se règlent maintenant sur les strophes modèles pour lesquelles M. Castil-Blaze a obtenu un brevet d’invention ou d’importation, brevet qui lui aurait coûté bien cher s’il n’était pas heureusement constitué pour résister aux feux roulans et bien nourris de la critique.

Patience et longueur de temps
Font plus que force ni que rage.

La seconde partie de la cavatine d’lsabelle est d’un mouvement animé ; le musicien a su employer avec adresse toutes les ressources du talent si varié de la cantatrice. Traits en roulades, en arpèges, suites de trilles, sauts d’octave, de dixième, de double octave, gammes chromatiques, passage ascendant où la voix n’est soutenue que par les cors : tous ces détails, d’une parfaite exécution, captivent l’intérêt et charment l’oreille pendant tout le cours de ce morceau brillant. Je dois signaler une marche d’harmonie fort élégante qui ramène le motif principal ; elle est placée sur ces vers :

Mon bonheur est extrême :
Viens, Robert, toi que j’aime !

Le duo chanté par Isabelle et Robert, commence d’une manière un peu froide, et l’on s’attache plus au travail d’orchestre qu’au discours des deux amans. Un trait en tierce, tenu par les deux voix, une progression de trilles, un point d’orgue bien suivi, sont couverts d’applaudissemens. Le début de l’ensemble est faible ; il ressemble plutôt à un exercice de solfège qu’à un duo dramatique ; mais le milieu de cet ensemble et la strette qui le termine sont bien dessinés. Mme Damoreau se signale en exécutant des demi-gammes chromatiques ascendantes, qui modulent d’une manière très scabreuse ; mais cette cantatrice se joue avec les difficultés. Je ferai remarquer en passant l’accompagnement du chant du héraut quand il vient défier Robert. La cadence plagale portée par les trombones, a quelque chose de solennel et d’infernal.

Mmes Julia, Noblet, Dupont, s’avancent groupées comme les trois grâces ; ma comparaison n’est pas romantique ; cependant je m’en sers ne trouvant rien dans le moyen-âge qui puisse rendre mon idée avec autant d’exactitude. C’est un trio charmant, qui danse avec une rare perfection, multiplie ses poses gracieuses et varie ainsi nos plaisirs. Perrot leur succède ; danseur vigoureux et leste, il exécute des tours de force qui n’auraient d’autre mérite que celui de la difficulté vaincue, si la souplesse, l’élégance de ses pas, de ses attitudes, ne nous charmaient en même temps. Il ne se borne pas à faire demi-tour à droite ou à gauche, il tourne deux ou trois fois en l’air, et retombe d’aplomb et posé comme le Mercure de Jean de Boulogne, avec autant d’aisance que s’il avait battu un simple flic-flac ou bien un pas de bourrée. Il saute à cloche-pied et semble voltiger comme un sylphe. Mme Montessu complète enfin cet admirable quintette ; ses trois compagnes avaient filé des blanches et des noires, lié des arpèges, battu des trilles ; l’orchestre, dont la cadence avait pris une allure plus animée à l’entrée de Perrot, galope avec Mme Montessu. La flûte unit la rapidité de son élocution à la prestesse de la danseuse ; c’est un assaut d’agilité qui finit par une série merveilleuse.

Bertram ne s’occupe guère de ces divertissemens ; la danse n’est pas ce qu’il aime. Pendant que l’on s’amuse, il est tourmenté par l’avenir qui le menace, comme le père Sournois l’est par un songe funeste. Bertram nous fait part de ses malices et du nouveau tour qu’il joue à Robert ; les contre-basses et les timbales accompagnent seules ce lugubre a parte.

Banda sul palco, concert de trompettes, accompagné d’un tambour à baguettes ; les hérauts annoncent que la lice est ouverte ; on se rend au tournois. Avant d’y suivre les chevaliers et le faux prince de Grenade, cette ombre diabolique dont le bras doit porter de si terribles coups, écoutons le chant d’appel des héros. Ces coryphées, dignes d’être signalés et remarqués, sont quatre premiers sujets : Massol, Wartel, F. Prévost, Heurteaux, qui exécutent, avec des voix riches et mélodieuses, avec toutes les finesses de l’art, un petit chœur d’une harmonie simple et fort agréable. Ce chœur est d’un effet délicieux ; il n’a pourtant pas l’éclat que demanderait une semblable annonce. Autrefois, ces hérauts auraient fait des roulades à n’en plus finir, et le gosier des chanteurs aurait sonné plus haut que les clairons. Voyez l’air de Castor et Pollux de Rameau, Éclatez, fières trompettes, et jugez si nous employons plus souvent et plus à propos les traits de vocalisation. Le chœur dont je viens de parler débute par une faute de prosodie que M. Meyerbeer, en sa qualité de grand musicien, a pu laisser sans scrupule sur sa partition, afin de ne pas déranger l’économie de son motif et du rhythme qui le caractérise. Un rigide observateur de la prosodie se hâterait de rejeter la note de départ de ce chant sur la mesure précédente, et, doublant la valeur de la seconde note, il arriverait sur-le-champ à donner aux mots leur véritable quantité, en faisant : sonnez clairons, au lieu de son....nez clairons, ainsi que l’amarqué le compositeur. Je ne donnerai jamais de ces mauvais conseils ; un air, un chœur d’opéra n’est pas un couplet de vaudeville dont on peut torturer, massacrer la mélodie à volonté. Il faut que le texte deM. Meyerbeer reste en place, il est coulé en bronze, et que les paroles viennent en prendre le pli, en suivre les contours. Les paroles sont les très humbles servantes de la musique, des esclaves qu’il lui est permis de fouler et d’écraser même si cela lui convient. J’ai fait connaître le mal ; ce mot son....nez, sonne durement à l’oreille ; il a déchiré la mienne trois fois. Je vais indiquer le moyen d’y porter remède et de rendre le vers musical et régulier. Pour y parvenir, il suffit de mettre au singulier ce qui est au pluriel, en disant :

Sonne, clairon, honore la bannière
Du guerrier qui guide nos pas.
Sonne, clairon ; dans la carrière,
Mars et l’Amour arment son bras.

La terminaison douce substituée au son dure, fait tomber les paroles d’aplomb sous la mélodie, et le mot sonne peut être attaqué ferme sur le temps fort, sans offenser l’oreille, puisque le repos se trouve sur la première syllabe au lieu d’être sur la dernière.

Un grand air avec chœurs, chanté par Isabelle, termine cet acte ; cet air est embelli de tous les ornemens de vocalisation que l’on peut confier sans crainte à Mme Damoreau : des traits en double octave d’ut eu ut ; un aparté en la bémol, d’une expression tendre, une cadence d’un brillant éclat se distinguent dans ce morceau final, dont la strette n’est cependant pas sans rapport avec des cadences employées déjà par d’autres auteurs ; mais il faut conclure ; on a beau tourner autour, ou est forcé de passer par la porte par laquelle tant d’autres ont passé et passeront encore.

Cet acte est le moins fort de l’ouvrage ; le principal personnage, Bertram, n’y paraît qu’un instant : les situations dramatiques ont peu de mouvement ; cet acte a dû retenir le musicien dans un cercle d’idées moins élevées, mais plus gracieuses. Aux premières représentations, on est avide d’émotions vives, on attend les grands effets, plusieurs personnes même voudraient sauter à pieds joints les cavatines pour arriver plutôt au sabbat des diables et des nones. Mais lorsqu’un opéra est bien établi, qu’il marche parfaitement depuis un demi mois, que l’on sait ce qu’il y a à voir et à entendre, on est moins impatient, on s’arrête avec complaisance sur les scènes musicales, on en apprécie mieux l’exécution, et je ne serais pas surpris que ce second acte de Robert-le-Diable, que l’on regarde aujourd’hui comme le moins fort de l’ouvrage, vînt se placer au rang des autres, et n’obtînt peut-être la faveur d’un grand nombre d’amateurs sur tel ou tel acte du même opéra qu’ils préfèrent aujourd’hui.

Toujours même vogue pour Robert le Diable, même tribut d’enthousiasme pour l’admirable partition de M. Meyerbeer. Les dilettanti ne la trouvent pas trop longue ; tout au contraire, ils font des vœux pour que ce maître veuille bien lui donner une symphonie d’ouverture complète au lieu d’un exorde ex abrupto.

X.X.X.

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