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Revue musicale. Cinq-Mars

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REVUE MUSICALE
Théâtre de l’Opéra-Comique : Cinq-Mars, drame lyrique en quatre actes et cinq tableaux, par MM. Paul Poirson et Louis Gallet ; Musique de M. Charles Gounod.

Rassurez-vous, l’Opéra-Comique jouera encore le Domino noir et la Dame blanche. M. Carvalho, malgré toutes les audaces dont on le croit capable, ne veut pas changer l’enseigne de sa maison. L’expérience de ces dernières années ayant démontré que les ressources de répertoire allaient s’affaiblissant chaque jour, faute d’aliments nouveaux, il devenait urgent de conjurer la crise. Et parmi les maîtres qui pouvaient le mieux apporter, par leur talent et leur renommée, un concours efficace au directeur de l’Opéra-Comique, venait en première ligne M. Charles Gounod. Il y avait aussi les anciennes relations, les souvenirs des succès d’autrefois qui désignaient particulièrement au choix de M. Carvalho l’heureux auteur de Faust, de Roméo et de Mireille. Seulement, comme on était pressé, il fallait aller vite en besogne et d’abord trouver un poème : on n’avait pas le temps de choisir. M. Paul Poirson offrait un sujet, M. Gallet se chargeait de l’adapter à la scène, M. Gounod ne demandait que quelques semaines pour le mettre en musique. Tout était donc pour le mieux. Il ne s’agissait plus maintenant que de faire marcher de pair le travail et l’inspiration, bien qu’on puisse citer plus d’un ouvrage fort goûté du public, où l’on ne rencontre ni l’un ni l’autre. Mais si M. Carvalho n’avait voulu, pour rajeunir son affiche, qu’un de ces opéras dont un nom en vedette et quelques trucs de mise en scène font tout le succès, ce n’est point au compositeur de Sapho qu’il se fût adressé. Et d’abord, de nom à mettre en vedette, M. Carvalho n’en a pas pour l’instant.

On s’est fort étonné dans un certain monde, non pas autant d’apprendre que le drame de Cinq-Mars allait être transporté sur une scène où les conspirateurs n’ont pas l’habitude de laisser leur tête, que de voir M. Gounod, un maître ciseleur s’il en fût, écrire une partition importante en cinquante-neuf jours. Il en aurait mis soixante qu’on se fût étonné tout de même.

Eh ! savons-nous si, depuis dix ans que l’auteur de Roméo et Juliette semble se recueillir, il n’a pas amassé des trésors de mélodie qu’il va pouvoir répandre en quelques mois, en quelques semaines, sur un sujet dont le sentiment et la couleur répondent aux méditations du grand compositeur ? Un esprit comme celui de M. Gounod ne peut rester inactif. Et d’ailleurs, le repos n’est-il pas quelquefois plus fécond qu’un incessant labeur ?

Certes, je n’ai pas besoin qu’on rappelle à mon souvenir les morceaux écrits pour la tragédie de Jeanne d’Arc, pour le drame des Deux Reines, la lamentation de Gallia, Jésus sur le lac de Tibériade, le Requiem, la Messe du Sacré-Cœur  et un très grand nombre de mélodies détachées qui, dans cette période de dix années, sont venus s’ajouter à l’œuvre déjà considérable de M. Gounod. Mais on ne peut pas dire que chacune de ces productions, si intéressantes pourtant, marque une étape sérieuse dans la carrière de l’illustre maître. Quant à Polyeucte, je le crois antérieur aux compositions que je viens de citer. Donc, depuis dix ans, M. Gounod n’avait pas donné au théâtre une œuvre de longue haleine, une œuvre dramatique, une de ces œuvres dont le succès se répand à travers le monde parce que, seules, les œuvres de théâtre ont le privilège de passionner le public.

Enfin, Cinq-Mars est venu.

Cinq-Mars n’est pas un grand opéra. Cinq-Mars n’est pas non plus un opéra-comique, bien qu’on n’ait pu s’affranchir de concéder au genre qui personnifiait, avant l’opérette, le génie musical de la France, les quelques phrases dialoguées dont il ne saurait se passer sous peine de mentir à son origine et de manquer à la tradition. Or, est-il rien de plus respectable que la tradition, supprimez le dialogue, et l’opéra-comique est perdu. Il suffirait donc du caprice d’un directeur fantaisiste ou d’un peu de relâchement dans la surveillance exercée par l’administration supérieure pour que l’Opéra-Comique n’existât plus !

Eh bien ! je persiste à croire que si l’on eût chanté dans Cinq-Mars d’un bout à l’autre de l’ouvrage, on n’aurait pas compromis pour cela les destinées du théâtre où l’on joue et l’on jouera longtemps encore la Dame blanche et le Domino noir.

Il ne faut pas s’imaginer pourtant que ce mélange de la parole et du chant constitue une particularité spéciale au genre de l’opéra-comique. On parle, ou du moins on parlait dans Don Juan comme dans le Freischütz, comme dans Fidelio, avant que ces trois chefs-d’œuvre eussent été transformés en grands opéras. Et peut-être serait-il téméraire de dire trop haut qu’ils ont gagné à cette transformation.

Je trouverais donc tout naturel qu’il y eût quelques passages dialogués dans Cinq-Mars, si ce dialogue n’y avait été mis contre le désir des auteurs, et uniquement pour sauver un principe.

Il n’était pas inutile d’écrire ce préambule, dont le point le plus important n’est certes pas d’informer le public que la partition de Cinq-Mars a été composée en cinquante-neuf jours.

Weber a bien pu répondre à l’impresario qui lui offrait trois mois pour écrire la musique d’Obéron : « Trois mois ! ils me suffiront à peine pour lire la pièce et en dessiner le plan dans ma tête ! » Il ne s’agissait pas, pour Weber, de sauver la fortune du théâtre de Covent-Garden.

Assurément la fortune de l’Opéra-Comique n’était pas non plus en péril ; mais il fallait un ouvrage nouveau avant la fin de la saison, un ouvrage signé d’un nom qui exerçât une grande attraction sur le public. Et quel nom, plus que celui de M. Gounod, pouvait exciter la curiosité et la sympathie de la foule ? Ce n’était même pas trop de tout le prestige de cette renommée pour faire accepter, sur une scène dont le castigat ridendo est aussi la devise, un drame de couleur sombre où les joyeuses péripéties du divertissement semblent elles-mêmes éclairées par les sanglants reflets de la hache du bourreau.

Tout le monde a lu le roman d’Alfred de Vigny ; on le lit moins aujourd’hui, et bon nombre de ceux qui l’ont lu autrefois ne s’en souviennent guère. Les auteurs du poème de Cinq-Marspouvaient-ils ne pas s’en souvenir ? Ils se sont souvenus aussi de l’histoire, de l’histoire ou de la légende, et ce serait une grande injustice que de leur reprocher d’avoir découpé le scénario dans le livre. S’ils l’eussent fait, ils eussent été les premiers à le dire. Quant à l’analogie qui existe réellement entre telle scène du drame et tel chapitre du roman, ils ne s’en défendent pas, et l’exécuteur testamentaire d’Alfred de Vigny n’a pas eu de peine à obtenir que les droits du poète fussent réservés avec le respect et dans la proportion qui leur étaient dus.

La toile se lève sur une salle du château de la maréchale d’Effiat, mère de Cinq-Mars : « Non loin de ces palais (Chambord et Chanteloup), un bâtiment plus simple attire les yeux du voyageur par sa position magnifique et sa masse imposante : c’est le château de Chaumont. Construit sur la colline la plus élevée du rivage de la Loire, il encadre ce large sommet avec ses hautes murailles et ses énormes tours ; de larges clochers d’ardoise les élèvent aux yeux et donnent à l’édifice cet air de couvent, cette forme religieuse de tous nos vieux châteaux, qui imprime un caractère plus grave aux paysages de la plupart de nos provinces. Des arbres noirs et touffus entourent de tous côtés cet ancien manoir, et de loin ressemblent à ces plumes qui environnaient le chapeau du roi Henri ; un joli village s’étend au pied du mont, sur le bord de la rivière, et l’on dirait que ses maisons blanches sortent du sable doré… » C’est ainsi qu’Alfred de Vigny décrit le château de Chaumont que j’ai si souvent admiré, assis sur le banc rustique d’une des maisons les plus coquettes et les plus hospitalières du joli village d’Onzain, sans prendre garde à cette ressemblance qu’offrent les arbres « noirs et touffus » du parc avec le panache du chapeau d’Henri IV, qui, dit-on, était blanc.

[Résumé de l’action]

Telle est la fin prévue de ce drame où la vérité historique laisse à la fiction une si large place, où les caractères des personnages sont tracés avec la fantaisie que le roman autorise, et dont les exigences du théâtre s’accommodent parfaitement.

Il est bien évident que les auteurs de Cinq-Mars, travaillant en vue d’un cadre plus large, eussent mené l’action avec moins de rapidité en donnant plus de développement à des scènes qu’ils ont à peine indiquées, en s’attachant aussi à certains détails historiques ou légendaires qui, au point de vue même du drame, avaient bien leur intérêt et leur utilité.

L’important était de servir l’inspiration du musicien en lui offrant d’abord un livret fertile en situations musicales. C’est à quoi les auteurs se sont particulièrement attachés.

La scène de la prophétie, les adieux de Marie et de Cinq-Mars, la fête chez Marion, la chasse dans la forêt de Saint-Germain, le mariage, la conjuration, la marche au supplice, tout cela forme un ensemble de situations très variées et très musicales aussi.

M. Gounod, s’il n’a mis que cinquante-neuf jours à écrire la partition de  Cinq-Mars, n’a pas dû regretter de n’y avoir pas employé plus de temps. On a écouté sa nouvelle œuvre avec toute l’attention, tout l’intérêt que commande un talent des plus élevés, des plus sympathiques, un nom rendu célèbre par une longue série de succès. On l’a écoutée et on l’a applaudie. Dois-je l’analyser ? Et pourquoi ? La manière du maître nous est connue, nous avons signalé en maintes occasions la pureté de son style, l’élégance de ses harmonies, la distinction de formules qui sont bien à lui et que ses imitateurs n’ont point encore vulgarisées ; en maintes occasions, nous nous sommes incliné devant sa science sans limites, devant sa prodigieuse habileté ; nous avons vanté l’élévation, le charme de son inspiration, la puissance, le coloris, toutes les délicatesses, toutes les surprises ingénieuses de son instrumentation. Qu’importe à quelles doses nous retrouvons dans Cinq-Mars tant de richesses, tant de dons heureux, tant de qualités rares ? Et de quel droit, moi indigne, viendrais-je dire au maître que j’aime et que j’admire : Ici je vous reconnais à peine, ici vous avez faibli ? Si la critique a ses franchises, si elle a ses privilèges, c’est surtout dans l’intérêt des talents nouveaux qu’elle doit les exercer.

Mais j’ai la partition de Cinq-Mars sous les yeux, et si vous voulez absolument que je vous énumère les pages saillantes, je n’aurai qu’à me souvenir de celles que l’on a applaudies, de celles qu’on a fait bisser : le chœur d’entrée, si finement dialogué ; la lecture de la page prophétique et le bel ensemble de la page qui suit ; la cantilène chantée par Marie de Gonzague, parfumée et poétique comme une nuit d’amour ; enfin le beau duo qui termine le premier acte ; puis la très originale chanson de Fontrailles ; le chœur : Ah ! monsieur le grand écuyer, permettez que l’on vous salue ; tout le divertissement écrit avec cette plume spirituellement archaïque dont à l’occasion M. Gounod sait mieux que qui que ce soit se servir ; la belle phrase de de Thou dans la scène de la conjuration ; la chasse (ah ! mon Dieu ! j’allais vous signaler là un bémol qui est d’un effet sinistre) ; puis la même fanfare sonnée par deux clarinettes pendant le récit du Père Joseph ; et encore la cavatine de Cinq‑Mars au dernier tableau, et le duo si entraînant, si passionné, qu’il chante avec Marie. Je veux citer aussi la marche funèbre et l’hymne final, d’un caractère si touchant, si élevé. Au moment où la porte s’ouvre sur le funèbre cortège, au moment où retentit le cri suprême de la fiancée de Cinq-Mars, un frisson a couru dans toute la salle. Et personne pourtant n’a dit que ce tableau d’un réalisme si effrayant mettait à une trop rude épreuve la sensibilité des habitués de l’Opéra-Comique. On se fait à tout.

La mise en scène est superbe, les costumes sont d’une richesse éblouissante et, je l’ai déjà dit à propos du divertissement, d’un goût exquis. On a rappelé le compositeur qui n’a pas voulu paraître, et tous les interprètes qui se sont empressés de revenir. Le lendemain, le bureau des locations était assiégé, et des affiches colossales étaient placardées dans Paris, ainsi qu’il est d’usage pour les grands succès.

E. REYER

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publication date : 03/11/23