La semaine dramatique. Maître Péronilla
La semaine dramatique
Les journaux de théâtres annonçaient que le livret de Maître Peronilla était l’œuvre d’un auteur qui avait jugé à propos de garder l’anonyme ; ils ajoutaient même que cet ouvrage fut déposé clandestinement chez le concierge des Bouffes
…………………..par un homme inconnu
Qui ne dit pas son nom et n’est pas revenu.
C’est là un tour trop connu, et le public n’a plus assez de naïveté pour s’y laisser prendre. Qu’importe, après tout, que l’auteur d’une pièce dise son nom, ou bien en fasse un secret ? La pièce est-elle bonne ou mauvaise ? Toute la question est là, et ce n’était vraiment pas la peine de s’entourer de tant de mystère pour appeler l’attention sur un livret qui est bien tout ce qu’il y a de plus vieux au monde et de plus insignifiant.
Maître Peronilla est un ancien avocat espagnol qui s’est mis à vendre du chocolat et a gagné une assez grosse fortune dans cette industrie. Mais pourquoi s’appelle-t-il Peronilla ? Cette question n’est pas aussi oiseuse qu’elle en a l’air au premier abord. Il s’agissait déplacer quelques allusions à des chocolatiers plus ou moins connus de notre temps. — Pourquoi as-tu renoncé à la profession, d’avocat ? demande à maître Peronilla sa sœur Leona ; le barreau mène à tout. — Le chocolat aussi mène à tout, répond fièrement Peronilla. Et le public de rire. Le mot est plaisant en effet, et dans la juste mesure. On voit bien à qui il s’adresse. Il fallait s’en tenir là. Mais il y a des gens, a dit je ne sais plus quel homme d’esprit, qui ne quittent jamais un bon mot sans en avoir fait une sottise. « Glissez, mortels, n’appuyez pas ! »L’auteur de la pièce appuie au lieu de glisser, et c’est un déluge de jeux de mots et de couplets sur le chocolat et les gens qui en vendent, sans oublier les annonces des journaux et les affiches se rapportant à cette denrée. « Le meilleur chocolat est le chocolat Perron. » Voilà pourquoi le joyeux compère Daubray s’appelle Peronilla. Il aurait pu tout aussi bien s’appeler Menièros, et voilà des plaisanteries qui arrivent de loin.
Maître Peronilla est l’heureux père d’une jeune fille qui s’appelle Manoela, mais il est en même temps le malheureux frère d’une vieille fille à moitié folle, la signora Leona. Cette pécore, qui se vante à chaque instant d’avoir du sang andalou dans les veines, s’est éprise d’un jeune professeur de chant nommé Alvarez, qui est amoureux de Manoela, et elle prend à son compte les galanteries adressées à sa nièce. Mais un jour, ayant découvert la vérité, la dame, furieuse, trouve le moyen de brouiller les deux amans, et, pour compléter son œuvre de vengeance, elle jure de donner pour mari à sa nièce un vieux bonhomme grotesque, le seigneur Guardona.
On voit donc arriver un beau soir, dans la maison de campagne que le chocolatier habite aux environs de Madrid, un notaire sourd et absolument imbécile qui doit dresser le contrat de mariage des deux époux. Personne ne manque à cette petite fête ; il y vient même plus de gens qu’on n’en attendait. Ainsi l’on y voit un certain marquis don Henrique, grand ami du futur, qui ne le quitte pas plus que son ombre parce qu’il a le projet de lui enlever sa femme le soir même de la noce. Il y a en outre le jeune Frimousquino et le sergent Ripardos, deux cousins de Manoela, bien décidés à empêcher le mariage de leur cousine avec ce vieux Guardona qui est tout habillé de jaune, comme le seigneur Nigaudinos du Pied de Mouton, et dont tout le comique consiste à avoir la phrase courte et à ne jamais trouver le mot qu’il veut dire. On voit arriver également le chanteur Alvarez, qui ne demande pas mieux que de conspirer avec Ripardos et Frimousquino.
Il faudrait jouer un bon tour à Guardona mais lequel ? Nos trois associés lui persuadent que le chapelain attendu pour la cérémonie nuptiale a été enlevé en route par des bandits, et que ce qu’il a de mieux à faire, c’est d’en aller chercher un autre à Madrid. Guardona fait bien quelques objections, mais on le hisse sur un cheval malgré sa résistance, et le voilà parti. Pendant son absence, Alvarez prend sa place, à la faveur de l’obscurité auprès de la jeune fille. La nuit, tous les maris sont gris. Et voilà comment Manoela se trouve mariée avec Guardona par devant le notaire Brid’oison, et avec Alvarez par devant le chapelain.
On ne comprend pas bien comment Ripardos, qui veille sur sa cousine, là conduit justement, après la cérémonie, dans la petite maison de don Henrique, dont il connaît les projets par trop galans. On ne comprend pas davantage comment tous les gens de la noce se trouvent réunis dans ce logis mystérieux. Mais, ce qui est parfaitement clair, c’est qu’un souper magnifique est servi et que tout le monde se met à table, même le marquis, dont les prétentions au rôle de don Juan sont assez mal justifiées. Après quoi, chacun tire de son côté, car il n’est pas si aimable compagnie qui ne se sépare, comme disait le roi Dagobert à ses chiens ; et maître Peronilla reste avec ses deux gendres, celui du matin et celui du soir, qui lui demandent une explication. Mais que pourrait-il leur expliquer, puisqu’il ne sait pas lui-même comment il se fait que sa fille ait deux maris ? On ne sortirait pas de cette situation si le corrégidor n’arrivait, suivi de quelques alguazils, pour arrêter et conduire dans un couvent Manoela accusée de bigamie. Puis l’affaire est portée devant la justice. Alors on découvre que le vieux notaire, imbécile et sourd, a commis un quiproquo et qu’il a marié le seigneur Guardona avec la tante Léona, au lieu de le marier avec la nièce. C’est la tante qui ne se plaint pas, mais c’est le seigneur Guardona qui n’est pas content.
Ce livret, assez embrouillé, n’est pas absolument gai, et il serait même lugubre sans la bonne humeur et les drôleries de Daubray qui fait Peronilla. La musique est de M. Offenbach, c’est tout dire. Beaucoup de facilité, d’habileté, de mouvement scénique ; mais aussi beaucoup de banalité et de formules surannées. Rien de cherché, ni de trouvé. Il y a pourtant des morceaux qui ont été justement applaudis, entre autres la Malaguéna, merveilleusement chantée par Mme Peschard ; une scène de nuit au deuxième acte, qui finit moins bien qu’elle n’a commencé ; et un agréable finale qui termine ce même deuxième acte. Le théâtre des Bouffes a monte cet opéra-comique de son mieux ; il a mis en ligne ses meilleurs sujets Mme Peschard, Mme Paola Marié, Mme Girard, Jolly, Daubray, Scipion, Troy. Dans le rôle de Manoela débutait Mlle Humberta, une jolie femme qui ne paraît pas destinée à prendre place parmi les étoiles du firmament dramatique.
Clément Caraguel.
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publication date : 03/11/23