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Théâtre de la République et des Arts. Sémiramis

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Théâtre de la République et des Arts
SÉMIRAMIS

La curiosité publique avait un double aliment ; un nouvel opéra, un nouvel acteur. Cet opéra lui-même était, à ce théâtre, le début du musicien. Que de nouveautés ! que de primeurs ! L’affluence était en raison de l’importance des motifs. Pour avoir une idée de l’inconstance humaine, il faut considérer l’homme dans les moments qui précèdent et qui suivent une passion satisfaite : le spectateur qui entre au théâtre, est bien différent de celui qui en sort ; cela est vrai, surtout du théâtre de l’Opéra, où la longueur et le fracas de la musique font que le public est plus impatient de sortir qu’il n’avait paru empressé d’entrer.

L’auteur de l’opéra de Sémiramis mérite plus de reproches que le compositeur : le cit. Desriaux s’est flatté que l’égide de Voltaire était un rempart impénétrable aux traits de la critique : il n’a pu concevoir qu’il fût possible qu’un poème, arrangé d’après la tragédie de Voltaire, ne fût pas un excellent opéra : il aurait dû se souvenir que les tragédies de Voltaire n’étaient pas souvent elles-mêmes trop bien arrangées, et que ce n’est pas par l’arrangement qu’elles brillent. Mais ce qui devrait surtout ruiner ses espérances, c’est que l’immortel auteur de Sémiramis a pris la peine d’arrangerlui-même, de sa main divine, des opéras qui se sont trouvés détestables. Il est vrai qu’on peut douter si le citoyen Desriaux connaissait les opéras de Voltaire, lorsqu’on l’entend s’exprimer ainsi sur la difficulté d’arranger la tragédie de Sémiramis pour le théâtre de l’Opéra : J’avoue qu’une pareille tâche ne pouvait être parfaitement remplie que par Voltaire lui-même, s’il avait pu devenir complaisant pour Euterpe et pour Therpiscore. Non-seulement il avait pu devenir complaisant, mais il avait réellement montré pour ces deux Muses une extrême complaisance. Que n’avait-il pas fait pour leur plaire ? Samson, Pandore, la Princesse de Navarre, le Temple de la Gloire. Vains efforts ! il n’avait fait sa cour qu’à des inhumaines.

Le poète Roy avait déjà mis sur la scène lyrique le sujet de Sémiramis : cet opéra, dont Destouches avait fait la musique, existe encore dans de vieux recueils ; mais depuis le jour de sa naissance il n’a pas reparu au théâtre. Sémiramis est un mauvais sujet d’opéra ; il offre peu de situations à la musique, et celles qu’il lui présente sont au-dessus de ses forces. L’horreur et l’atrocité repoussent la mélodie : on nous parle d’un fameux chœur des Euménides, du poète Eschyle, qui fit, dit-on, accoucher les femmes de peur ; je ne sais si d’un effet aussi terrible on prétend faire un mérite et un honneur à la musique ; mais il y aurait de graves inconvénients à la porter à ce point de perfection sur le théâtre de l’Opéra.

Gluck a mis les tragédies lyriques à la mode ; mais les sujets qu’il a choisi sont tous très-susceptibles de l’expression musicale. C’est dommage que dans l’union de la poésie et de la musique, le poète et le musicien ne connaissent chacun que leur partie. Pour que les deux arts pussent former un accord parfait, il faudrait que l’auteur de la musique fût aussi l’auteur des paroles : la combinaison de l’effet théâtral et de l’effet musical est encore un problème. À l’Opéra, la déclamation notée a pris le dessus et les chœurs ont plus besoin des règles que du génie ; mais c’est au génie seul qu’il appartient d’inventer des motifs heureux et des accents pathétiques : voilà pourquoi on commence à renoncer aux airs ; on ne fait plus que des morceaux d’ensemble. Nos compositeurs français ne savent point et n’ont jamais su faire chanter les grandes passions ; ils se sont toujours bornés à la déclamation et au bruit. Le secret de la mélodie expressive et touchante semble avoir été réservé à l’école de ce compositeur célèbre qui a su peindre une mère debout, au pied de la croix où son fils est attaché ; qui a trouvé dans son art des ressources pour exprimer le dernier soupir d’un mourant, et le bouleversement de la nature causé par la mort d’un Dieu. Un talent particulier à cette école est de composer des chants lents et graves, sans monotonie ; tristes, sur un mouvement gai ; fort et gracieux tout ensemble, parce que le premier principe des arts d’imitation est d’éviter les grimaces et de conserver, dans l’expression même la plus déchirante, la grâce des formes. Dans le Stabat de Pergolèze, il n’y a ni cris, ni déclamation, ni fracas d’harmonie ; tout est simple et vrai ; tout est effet : le dernier excès de la douleur, les convulsions même de la mort y sont exprimées dans la langue naturelle de la musique, par les seuls accents de la mélodie, l’expression est portée à un plus haut degré de force et d’énergie, et c’est toujours du chant. On a fait jadis de mauvaises plaisanteries sur l’usage où l’on était, à l’Opéra, de faire chanter les personnages les plus affligés : je me plaindrais plutôt de ce qu’on ne les faisait point chanter. Le chant n’est qu’une langue créée par la musique pour faire parler les passions ; un mourant peut chanter dans un opéra, comme on le fait déclamer dans une tragédie : l’essentiel est qu’il parle bien la langue du pays, et qu’il ne la parle pas trop longtemps.

Mais comment exiger de nos compositeurs une mélodie touchante, quand il n’y a plus d’auditeurs qui sachent la goûter ? Le public n’entend plus qu’avec indifférence le Stabat de Pergolèze. N’est-ce pas une preuve qu’on a perdu le sentiment de la grande expression musicale, et qu’on n’est plus flatté que des jeux et des prestiges de l’harmonie ? Tous les arts déclinent quand ils n’ont plus de juges, et lorsqu’ils sont réduits à titiller des âmes blasées.

Le cit. Catel annonce un heureux talent qui paie le tribut au local où il se trouve, et cède à l’influence de son atmosphère. Il y a bien peu de chant et d’expression musicale dans son opéra, et il a droit d’accuser le poète de lui en avoir fourni peu d’occasions. Plusieurs duos ont le mérite d’une belle facture ; quelques-uns n’ont pas eu celui d’une bonne exécution ; le dernier, entre Sémiramis et Ninias, annonce ce que le musicien peut faire dans le genre pathétique, lorsqu’il aura des sujets plus convenables à son art. Il y a deux chœurs à voix basse qui produisent de l’effet : grande preuve que le bruit n’est jamais bon qu’à étourdir les auditeurs ou bien à couvrir de mauvaises voix.

La musique n’a pu mordre sur la politique qui règne dans la scène entre Sémiramis et Assur, non plus que sur la harangue de la reine aux états-généraux de Babylone ; mais la marche qui précède la harangue est belle : on a pu reconnaitre partout un bon professeur d’harmonie. On a singulièrement applaudi, et avec justice, dans le ballet du premier acte, l’air d’une danse militaire de sapeurs, et les figures de cette danse, mais en général je suis scandalisé du froid accueil que le public a fait aux favoris de Therpsicore : tous les tours de force ont complètement échoués ; les pirouettes les plus merveilleuses n’ont pas produit la moindre sensation ; les jambes levées en l’air, en avant, en arrière, de côté, ont manqué leur coup. Les divinités même de la danse, les Vestris, les Chameroy, les Gardel, formant un fameux pas de trois, ont à peine arrachés, par les plus prodigieux efforts, quelques applaudissements : serait-ce un avis de rentrer dans les limites de l’art de la danse, de renoncer aux tourniquets, aux postures forcées, à tous ces prestiges difficiles, pour recommencer tout bonnement à danser, ce qui sera peut-être plus difficile encore, parce qu’on en a perdu l’habitude.

Il est temps de parler du débutant : le citoyen Roland est une espèce de tenore, ses moyens ne sont pas d’une grande étendue, et le trouble inséparable d’un début ne contribuait pas à les augmenter ; mais la voix est pure et agréable : elle suffirait au local, en supposant le profond silence des auditeurs, et une extrême modération de l’orchestre. Il est élève du citoyen Garat ; c’est faire l’éloge de sa méthode : en passant du conservatoire à l’opéra, il se trouve dans un pays étranger, pour ne pas dire ennemi. Quoique ces deux établissements ne se proposent que la gloire de l’art, ils ne s’accordent pas sur les moyens ; ils n’ont ni le même goût, ni les mêmes principes. Comme la meilleure musique a besoin d’être bien exécutée, il est naturel que l’Opéra ne regarde comme bonne que celle qu’il est en état d’exécuter ; il est juste que les anciens sujets de ce théâtre cherchent à couvrir par les cris, la déclamation et le fracas, le défaut de goût, de justesse et de sentiment ; leur intérêt est de s’opposer aux innovations, de soutenir les vieux usages, et de se renfermer dans une certaine gravité nécessaire à la dignité du corps, mais où il entre plus d’ennui que de majesté : non seulement l’Opéra manque de voix pour chanter suivant la nouvelle méthode, mais le ton de sa musique, la nécessité de crier, auront bientôt détruit les voix qu’il pourrait acquérir : un organe frais, délicat et léger, ne tardera pas à devenir rauque et criard, lorsqu’il se trouvera au milieu de ces anciens chantres de la cathédrale de l’Opéra, dont les gosiers, endurcis à la fatigue, ne redoutent pas même les cors et les timbales.

Au reste la beauté du spectacle et des décorations, le brillant des costumes, la pompe des marches et des cérémonies, la prodigieuse multitude d’acteurs qui couvre les planches ; l’union, ou plutôt la confusion de la poésie, de la musique, de la danse, de la peinture, de la mécanique, suffisent pour attirer la foule à l’Opéra. Qu’importe que ce fatras amuse peu les gens qui pensent ! ils sont en si petit nombre ! Ce théâtre, d’ailleurs, jouit d’un avantage particulier qui semble le dispenser d’une plus grande perfection du côté des talents : il n’est pas réduit comme les autres au seul produit de sa recette ; il est entretenu par une meilleure caisse que la sienne, et par conséquent il doit avoir le sort de tout ce qui est administré aux frais et pour le compte du gouvernement. « Je ne sais pas, disait Labruyère, comment l’Opéra, avec une musique si parfaite et une dépense toute royale, a pu réussir à m’ennuyer. » Et moi je ne sais pas si, à tout prendre, malgré les grands progrès de la musique, l’Opéra du temps de Labruyère ne valait pas celui d’aujourd’hui. Ce spectacle était peut-être alors ce qu’il doit, ce qu’il peut être : en essayant de lui donner une perfection qu’il ne comporte pas, il serait possible qu’on l’eût dénaturé.

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Composer

Charles-Simon CATEL

(1773 - 1830)

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Sémiramis

Charles-Simon CATEL

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Philippe DESRIAUX

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publication date : 03/11/23