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Les Abencérages de Cherubini

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ACADÉMIE IMPÉRIALE DE MUSIQUE.

Seconde représentation des Abencerrages

Depuis la Vestale, M. Jouy a échoué dans toutes ses entreprises lyriques ; son Tippo-Saëb même manque d’action et d’ensemble, et voici la raison qu’on en donne. Autre chose est d’inventer, autre chose est d’arranger les inventions d’autrui : il est bien différent de trouver un sujet, un plan tout disposé, ou d’être soi-même chargé de ce travail. La Vestale de Fontanelle a dispensé M. Jouy de tout effort d’imagination ; mais dénué de secours dans ses autres poëmes, abandonné à ses propres forces, il n’a su ni choisir un sujet, ni conduire une action. L’inimitié des Abencerrages et des Zégris n’a rien de noble ni de théâtral dans son ouvrage ; elle n’est qu’odieuse et basse ; les Abencerrages sont lâches et vils ; les Zégris sont des fourbes et des coquins ; ils n’ont même pas l’honneur d’être des scélérats. Au théâtre, il y a des scélérats brillants par la force de l’âme, par la profondeur et l’audace. Cet Alémar, chef de la tribu des Zégris, et même soi-disant visir de Grenade, n’est qu’un misérable, qui n’a pour perdre son ennemi que des moyens aussi absurdes qu’infâmes, qui fait l’office d’espion, d’archer, et de recors : beau rôle pour un visir et pour un chef de tribu. L’auteur s’est donc étrangement aveuglé lorsqu’il nous a voulu faire accroire, dans un petit avertissement, que son drame est la peinture des mœurs brillantes d’une nation qui a beaucoup influé sur la civilisation de l’Europe : il n’a peint que des mœurs odieuses et grossières des crimes et des absurdités.

L’histoire du drapeau est pitoyable, la loi est injuste. Quand il y a un porte-drapeau du royaume c’est le porte-drapeau et non le général qui doit répondre du drapeau ; ils doivent au moins être punis l’un et l’autre ; il faut donc que le général pour sa sureté ait sans cesse à ses côtés le porte-drapeau, et ne le perde pas de vue. Almanzor déclare devant les juges qu’il a lui-même porté le drapeau pendant la bataille, qu’après la victoire, revenant à Grenade, il a confié ce drapeau au porte-drapeau : cette apologie a quelque chose de comique. Dans ce court trajet du champ de bataille à la ville, Almanzor aurait dû faire marcher à côté de lui ce porte-drapeau, qui est un Zégri, le faire environner de plus fidèles Abencerrages, l’avoir toujours sous les yeux. Il est impossible qu’après la victoire en revenant à la ville, le porte-drapeau ait pu s’enfuir avec ce drapeau qui frappe les yeux de tout le monde, et le porter au camp des vaincus. On suppose, il est vrai qu’il était encore nuit : supposition gratuite qui met encore plus en évidence la sottise d’Almanzor. Quoi ! la nuit, Almanzor confie à un ami du traître Alémar, à un amant de Noraïme, à son rival, à un Zégri, un dépôt sacré auquel sa vie est attachée : une fiction aussi incroyable détruit tout l’intérêt du drame.

Que dirons-nous de ce tribunal de vieillards qui radotent ? Octaïr, le porte-drapeau ne paraît pas plus que le drapeau. La trahison est visible et aucun des sages vieillards ne s’en doute. Almanzor est si bon qu’il n’insiste pas lui-même sur te seul moyen qu’il ait de se justifier. L’armée, après la victoire, a vu l’étendard sacré : elle a vu Almanzor confier ce dépôt à Octaïr. Comment Octaïr et l’étendard se perdent-ils en chemin, sans aucune attaque de l’ennemi vaincu qui ne songe qu’à se sauver ? Ce sont là des contes d’enfants. Il est fâcheux que le général des Maures, le chef des Abencerrages ne soit qu’un sot ; il en est bien moins intéressant. Il est triste que les vieux guerriers qui composent l’aréopage de Grenade soient des juges prévaricateurs ou imbéciles : ces mœurs ne sont pas brillantes.

Noraïme est-elle mariée ou non ? C’est un problème. Il est vrai qu’on a fait la noce et le festin et qu’on a donné le bal. Ordinairement la cérémonie nuptiale se fait avant le repas et les danses. Il faut bien d’ailleurs que Noraïme soit marié ; voudrait-elle s’enfuir avec un homme qui ne seroit pas son époux. Cette Noraïme jouit dans la pièce d’une liberté inconnue chez les Arabes ; elle est maîtresse de ses actions, elle sort seule la nuit on ne lui connaît ni père, ni mère, ni tuteur ; elle est tombée des nues. C’est encore une jonglerie aussi ridicule qu’abominable de ce coquin d’Alémar, qui vient avec ses estafiers épier Almanzor, qui le surprend avec Noraïme et l’accuse d’être rentré, d’avoir violé son ban parce, parce qu’il est parti peut-être une heure après son arrêt. Les ordres les plus rigoureux accordent ordinairement vingt-quatre heures ; M. Jouy et Alémar ne donnent au général Almanzor que dix minutes pour évacuer le territoire de Grenade ; et si, un instant après son départ, il revient sur ses pas pour chercher quelque chose qu’il a oublié, on l’accuse d’être rentré dans son pays malgré la loi, et tes vieillards aussi équitables que ceux qui calomnie Suzanne, condamnent Almanzor à être précipite du haut des rochers, parce que deux heures tout au plus après son arrêt il est venu dans une barque chercher sa bien-aimée, son épouse sans laquelle il ne peut vivre : cette ignoble barbarie, ces sotties atroces ne peuvent intéresser à l’Opéra ni sur aucun théâtre.

Almanzor ne peut pas prouver lui-même son innocence l’épée à la main. On sait que ces combats, appelés jugement de Dieu, furent longtemps autorisés par la loi. Les Maures avaient mis à la place quelque chose qui ne valait pas mieux et qui avait bien moins d’intérêt ; ils avoient imaginés que c’était un autre homme que l’accusé qui devait se battre pour lui ; ce qui n’est nullement théâtral : c’est lorsqu’un champion se bat pour l’honneur et la vie d’une femme qu’il est intéressant, comme Tancrède, par exempte. Le champ clos est mesquin et le combat assez froid.

Tout cet opéra ressemble beaucoup à un mélodrame mais à un mélodrame sans intérêt car le mélodrame n’est pas un crime par lui-même, quand il attache vivement par des situations pathétiques : ce qui est un bien plus gros péché, c’est d’être mélodrame froid et ennuyeux. Pour cette offense il n’y a de pardon qu’à l’Opéra qui a le privilège de l’ennui ; aux autres théâtres on n’obtient l’absolution d’avoir fait trop peu de dépense d’esprit qu’en faisant de grands frais d’argent.

Il y a des danses charmantes au premier acte ; il en est presque tout rempli ; je ne puis mieux faire l’éloge de ces danses qu’en disant qu’elles sont de la composition de M. Gardel ; leur objet est de célébrer le mariage de Noraïme. Dans les deux actes suivans l’époux condamné à l’exil, condamné à la mort, ne permettait guère de danses. Il y en a un peu au commencement du deuxième acte, lorsqu’on sait la victoire du général, et qu’on ne sait pas encore la perte du drapeau, on danse encore à la fin du troisième, en réjouissance du triomphe de l’innocence sur le crime.

Dans les danses du premier acte ce qui fixe le plus l’attention, c’est le pas des Folies d’Espagne dansé par Albert et Mesd. Gardel et Bigottini. Ce pas, dont la composition est très agréable, tire son plus grand charme de l’exécution, qui a quelque chose d’enchanteur. Albert, le plus noble et te plus élégant des danseurs, Mad. Gardel, la plus parfaite des danseuses ; Mlle Bigottini, la plus gracieuse, la plus séduisante des favorites de Terpsichore, concourent par leur réunion à l’enthousiasme qu’inspire ce pas délicieux ; Antonin, Elie, Mesd. Courtin, Gosselin aîné, se font remarquer dans les danses de la noce. Au second acte, se distinguent les demoiselles Saulnier ; à la fin du troisième, Vestris, Albert, Anatole, Beaupré, Mesd. Clotilde, Fanny, Delille, Gaillet, réunissent le plus grand nombre des suffrages.

Je n’ai presque rien à ajouter à ce que j’ai dit de la musique dans mon premier article. Le compositeur n’a pas eu l’art de faire ressortir les voix : il n’a pas fait un bon emploi des richesses en ce genre qu’il avait à sa disposition. Lavigne, dans le rôle de Gonzalve de Cordoue ; Nourrit, dans celui d’Almanzor, ont à chanter des morceaux agréables qui ne sont point assez sentis parce que l’éclat de l’organe des chanteurs est en quelque sorte étouffé. Derivis a un rôle si odieux que le musicien n’a pas osé, pour cet ignoble scélérat, se mette en dépense de mélodie et sa belle voix ne s’exerce que sur des airs semblables à du récitatif. Mad. Branchu sans doute par quelque motif d’indisposition, a cédé son rôle dès la seconde représentation à Mad. Albert-Himm ; elle ne pouvait mieux le confier qu’à cette excellente cantatrice qui s’en est acquittée avec beaucoup de grâce et de talent ; son jeu et son chant sont pleins d’âme et de sensibilité, elle a été vivement et justement applaudie ; mais il y a dans la composition je ne sais quoi qui absorbe une partie de l’effet que devait produire la voix brillante de Mad. Albert-Himm.

Les décorations très soignées représentent différens endroits du palais de l’Alhambra bâti par les rois maures. Des parties constitutives de l’ensemble de cet opéra, la plus défectueuse est le poème, qui n’a indiqué au musicien que des déclamations et des monologues. Après les paroles ce qui vaut le moins, c’est la musique, dénuée de motifs et de variété : les danses et les décorations sont la partie qui fait le plus de plaisir.

GEOFFROY

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Composer

Luigi CHERUBINI

(1760 - 1842)

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Étienne de JOUY

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