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Angéla de Boieldieu et Gail

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THÉÂTRE DE l’OPÉRA-COMIQUE.
Angela, ou l’Atelier de Jean Cousin.

La seconde et la troisième représentation de cet opéra ont confirmé toutes les personnes qui jugent les ouvrages dramatiques de bonne foi, et d’après l’impression qu’ils font sur elles, dans l’opinion qu’elles en avaient conçue dès le premier jour. Le poème est froid et ennuyeux avec prétention. L’auteur, au lieu d’égayer son sujet par des détails piquans, a cru plus facile de l’ennoblir par de grands noms ; il a serré dans le même cadre et rassemblé sous le même numéro les portraits fort peu ressemblans de plusieurs personnages célèbres. Diane de Poitiers, Clément Marot, l’amiral Bonnivet auraient droit de se formaliser du caprice d’un poète qui ne les ressuscite que pour en faire l’humble entourage de la petite servante d’un peintre.

À quel musicien un pareil poème aurait-il pu fournir d’heureuses inspirations, puisque le talent réuni de madame Gail et de M. Boïeldieu n’est parvenu qu’à préserver d’une chute trop rude l’ouvrage qu’il leur a été impossible de soutenir. L’auteur a fait quelque chose de bien plus difficile que de composer un bon opéra, il a réussi à faire faire une partition médiocre à un tel maître et à une telle maîtresse. Cependant, pour me servir d’une expression d’un fameux critique, qui disait en parlant d’une tragédie de Voltaire : « C’est un mauvais ouvrage, mais c’est du mauvais de Voltaire », je dirai aussi : c’est du médiocre de madame Gail et de M. Boïeldieu. L’éclair brille quelquefois à travers le nuage, et certains compositeurs borneraient presque leur ambition à s’élever jusqu’où sont descendus les deux que je nomme. Un duo d’une expression très vive entre Angela et Jean Cousin mérite les applaudissemens unanimes qu’il excite toujours. Ce morceau brille et de son propre mérite et de l’infériorité de ceux qui le précèdent. Heureusement placé à l’avant-dernière scène, il a soustrait la pièce à l’orage qui l’eût infailliblement écrasée. C’est l’ancre de miséricorde qui seule retient le bâtiment prêt à se briser contre l’écueil.

Comme le zèle de la plus fervente amitié ne pouvait procurer de la vogue à cette pauvre Angela, on a voulu du moins l’environner d’un peu de scandale, ce qui, pour certaines personnes, ressemble et équivaut à du succès. On ne force pas le public à venir voir une pièce qui l’ennuie, mais on oblige les oisifs à s’en occuper en imprimant à son occasion dans les journaux des articles qu’on essaie de rendre malins, mais qu’on ne parvient à faire que grossiers, parce qu’il est beaucoup plus aisé de trouver des injures que de bonnes plaisanteries ; enfin, on fait du bruit dans la rue pour attirer les curieux aux fenêtres. La trompette du scandale a été embouchée par M. le chevalier de Gersac qui n’a pas craint de déroger en devenant de chevalier trompette. Les chevaleries qui ont leur désinence en ac inspirent ordinairement plus d’orgueil à ceux qui les possèdent.

C’est dans la lice de la Gazette de France qu’ont retenti ses sons provocateurs ; après la fanfare le manifeste a été proclamé, et, comme ou le présume bien, on n’a rien négligé pour justifier l’agression. On prétend que, le premier, je me suis rendu coupable d’injustes hostilités envers l’infortuné père d’Angela que M. le chevalier prend sous sa protection en quittant le rôle subalterne qu’il avait d’abord choisi, pour le rôle plus noble de redresseur de torts. Voici les miens.

J’ai dit et je dis encore (quel endurcissement dans l’impénitence !) que Jean Cousin n’avait été le contemporain d’aucun des personnages au milieu desquels on le présente dans l’opéra. Aussitôt, pour me battre avec mes propres armes en rejetant sur moi l’anachronisme que j’avais reproché à l’auteur, on me cite je ne sais quel dictionnaire historique, très-inexact suivant toutes les apparences, qui indique la mort de Jean Cousin à l’année où beaucoup d’auteurs placent sa naissance. On m’accuse même d’avoir copié ce dictionnaire ; et, pour me justifier d’un pillage, je n’ai que l’humiliante ressource d’en avouer un autre. J’ai puisé, il est vrai, les détails que j’ai donnés sur la personne et les ouvrages de Jean Cousin dans le Dictionnaire des beaux-arts et dans les Anecdotes des beaux-arts ; c’était, je crois, les sources auxquelles je devais naturellement recourir. Ces deux ouvrages, dont l’exactitude fait le principal mérite, s’accordent à faire naître Jean Cousin eu 1589.

Voilà les autorités sur lesquelles je me suis appuyé et après lesquelles j’ai sauté pour emprunter l’expression pittoresque de M. de Gersac, qui l’applique poliment à M. Charles Nodier ; il le range dans la race moutone dont le naturel a fourni à Panurge une vengeance si originale. Pour moi, il daigne ne pas me traiter comme un mouton sottement imitateur qui saute après les autres ; il m’honore d’une invective, il m’appelle homme de malheur ; et soudain se repentant de sa politesse ou plutôt la changeant en affection, il me tutoie.

M. le chevalier me fait sans doute l’honneur de penser que je suis nombre de ceux qui ne sont tutoyés que par leurs amis, et je me sens tout disposé à compter parmi les miens ceux qui comme lui me donneront une preuve d’intérêt en se chargeant de la tâche laborieuse de relever et de me reprocher mes fautes, mais des fautes réelles ; ils n’auront, hélas ! encore que trop d’ouvrage. Quant à l’expression : Homme de malheur, en admirant sa bizarre énergie, je suis persuadé qu’elle s’adresse non pas à moi, mais à mes fonctions. Un journaliste véridique et indépendant est vraiment un homme de malheur pour les auteurs de mauvaises pièces et pour leurs maladroits défenseurs. Il serait difficile, je pense, de prendre les choses plus galamment que moi ; puisse à son tour M. de Gersac n’oublier jamais que l’épithète la plus habituelle de chevalier est courtois ! […]

A. Martainville

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