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Prix de Rome

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INSTITUT. GRAND CONCOURS DE COMPOSITION MUSICALE.

Vendredi dernier, l’audition des cantates écrites pour le grand concours de composition musicale a eu lieu au Conservatoire, en présence des six membres de la section de musique de l’Académie des Beaux-Arts : MM. Ambroise Thomas, Ch. Gounod, E. Reyer, J. Massenet, G. Saint-Saëns et Léo Delibes, et de trois jurés adjoints : MM. Ernest Guiraud, Léon Gastinel et Duprato. Le lendemain ces mêmes cantates, exécutées à l’Institut, étaient entendues des sections réunies de l’Académie des Beaux-Arts qui avaient à se prononcer définitivement. Quatre concurrents se présentaient cette année, interprétées dans l’ordre suivant, désigné par le sort : 1° M. Carraud, élève de M. Massenet ; artistes : Mlle Hamann, MM. Cossira et Manoury. 2° M. Bachelet, premier second grand prix de 1887, élève de M. Guiraud ; artistes : Mlle Leroux, MM. Lubert et Auguez. 3° M. Erlanger, deuxième second grand prix de 1887, élève de M. Delibes ; artistes : Mme Caron, MM. Piroia et Plançon. 4° M. Dukas, élève de M. Guiraud ; artistes : Mlle Simonnet, MM. Lafarge et Fournets. Résultat du concours. Premier Grand Prix : M. Erlanger (26 ans). Deuxième Grand Prix : M. Dukas (22 ans). Le vote proclamant ce résultat n’a pas été spontané. Il avait d’abord été procédé au jugement de la section de musique assistée des jurés adjoints. Ce jugement, dont s’étaient désintéressés MM. Gounod et Saint-Saëns, attribuait par 4 voix le premier grand prix à M. Erlanger, contre 3 portées sur M. Dukas. L’unanimité des sept votants accordait à celui-ci le second grand prix. L’hésitation des musiciens devait nécessairement entraîner celle de leurs collègues de l’Institut qui se fient rarement à leurs propres lumières, et recherchent volontiers une petite consultation préalable. En effet, au premier et au deuxième tour de scrutin, MM. Erlanger et Dukas ont obtenu chacun 13 voix pour la même récompense ; au troisième tour seulement, la défection d’un juré permettait à M. Erlanger d’en réunir 14. L’unanimité des votants attribuait alors à nouveau le second grand prix à M. Dukas qui, en somme, a été le véritable triomphateur de ce grand concours de composition musicale auquel il prenait part pour la première fois. La scène que les concurrents avaient à mettre en musique est une Velléda, de M. Fernand Beissier. Le théâtre a déjà fortement défloré ce sujet traité en cantate par Bignon en 1836 et qui valut le Grand Prix à M. Boisselot. Le nouveau poète n’a point fait autrement que ses prédécesseurs. Comme eux, il s’est fidèlement souvenu de l’épisode des Martyrs, mais la coupe variée de ses vers, le choix des pensées que l’on y trouve exprimées et surtout une certaine sonorité de mots habilement groupés offraient à la verve du musicien un aliment, sinon copieux, du moins savoureux. Le principal défaut de la nouvelle Velléda, c’est le développement exagéré des épisodes, et l’absence de mouvement. Aussi aucune des partitions qu’elle a inspirées ne permettrait-elle de préjuger des aptitudes scéniques de son auteur. M. Erlanger a les qualités de son professeur, l’élégance et la clarté. Un peu d’originalité ferait beaucoup mieux notre affaire et la sienne. Sa cantate correctement pensée et écrite n’a enthousiasmé ni froissé personne. Si quelque espérance pouvait être fondée sur son avenir, nous la trouverions dans l’air de Velléda : Du sommet de ce rocher sauvage. Depuis les concours de M. Debussy nous n’avions rien entendu d’aussi frais, d’aussi jeune que la cantate de M. Dukas. Les phrases de charme délicatement traitées sont un aveu de la sensibilité intense du jeune musicien qui nous semble également doué d’un sentiment dramatique très juste. Peut-être espérait-il le premier prix ? Bien peu de chose l’en a séparé : ses 22 ans et l’habit militaire de M. Erlanger ! L’enseignement de M. Guiraud peut lui être encore utile, et nous ne regrettons pas de le voir passer une année de plus dans la classe de cet excellent professeur qui possède entre autres qualités celle de ne point modifier les tendances personnelles de ses élèves. Quoique jeune encore, M. Bachelet est déjà l’homme d’une légende. Le retard est son ami personnel. S’il poursuit un tramway, quelqu’un le devance et y prend sa place. Se rend-il à une gare, c’est pour y manquer le train. M. Bachelet n’a pris part à aucun concours sans se plaindre de la limite de temps assignée et sans en demander une prolongation. Cette fois encore, la séance a dû être levée avant qu’il ait terminé d’orchestrer sa partition. En retard, toujours en retard. C’est dommage, car M. Bachelet n’est pas le premier venu ; le début de sa cantate affirme suffisamment ses très réelles qualités, mais l’accent dramatique ici manque et la torpeur l’engourdit. Puisse-t-il se corriger d’une apathie naturelle qui lui a joué plus d’un mauvais tour et lui en ménage d’autres. M. Carraud a dû s’ennuyer beaucoup pendant son séjour en loge. Il était vraiment inutile de le prouver aussi irréfutablement. Et maintenant ne terminons pas sans renouveler, contre le huis clos de cette séance, nos protestations de l’année dernière dont nous sommes heureux de retrouver, cette année, l’écho dans toute la presse. Pourquoi rendre publics les concours de contrebasse et de trombone et dissimuler le concours de composition, le plus intéressant de tous ? Dans quelques jours, n’exposera-t-on pas à tous les regards les concours de peintres, sculpteurs, architectes et graveurs ? Un pareil état de choses ne peut durer, parce que toutes les raisons sont bonnes pour le combattre et aucune pour le défendre. Il n’est pas juste que chaque année, pour la distraction de nos lecteurs, nous soyons livrés à la férocité des huissiers de l’Institut en expiation d’un scandale déjà ancien, et dont MM. les membres de l’Académie des Beaux-Arts étaient les seuls coupables.

A. HELER.

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