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Notes parisiennes. La Montagne noire

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Notes Parisiennes
Le nouveau Drame musical de Mlle Holmes

Ceux qui éprouvent une sensation voluptueuse en écoutant les Griffes d’or, et ceux que la Sérénade du Printemps enchante comme un rêve d’amour, apprendront avec plaisir qu’un opéra d’Augusta Holmes sera prochainement interprété sur la scène de l’Académie nationale de musique.

Titre : La Montagne Noire.

Afin d’être aussi consciencieusement informé que possible avant d’en apporter la nouvelle aux lecteurs, je suis allé voir la grande artiste chez elle, dans son élégant logis de la rue Juliette-Lamber.

D’abord quelques lignes sur l’installation que j’examine tandis qu’on annonce ma visite.

En entrant dans le salon, mes yeux sont attirés par deux portraits d’Holmès : l’un peint par Jacquet et l’autre — un pastel — joliment venu sous les doigts de Mlle Marie Huet.

Puis, j’aperçois les dessins originaux des illustrations qui ornent la première page de ses mélodies par Clairin.

Enfin, j’admire entre des couronnes de lauriers d’or offertes à Holmès au cours de ses voyages artistiques, la reproduction d’un tableau de Puvis de Chavannes : Ludus pro patria, avec, pour dédicace, l’hommage reconnaissant et admiratif du peintre pour le compositeur qui a, sur le même thème écrit une impérissable musique.

Mais, j’entends une porte s’ouvrir derrière moi, je me retourne et je me trouve en présence de Mlle Augusta Holmès, superbe en une longue robe rouge.

— Soyez le bienvenu, me dit-elle, en me tendant la main, et causons.

— Vous m’avez surpris en contemplation devant tous ces souvenirs glorieux… ces lyres ces couronnes et ces bouquets, venus des quatre coins de l’Europe.

— Presque tous ces lauriers m’ont été offerts par les grandes villes de France et d’Italie lorsque j’y suis allée faire entendre mes œuvres.

— Et ces photographies ? demandai-je en désignant deux portraits posés sur le grand piano Erard

— Le portrait de César Franck, mon très regretté maître, me répondit-elle, et celui de Wagner.

— Je croyais que c’était à ce dernier que revenait l’honneur de vous avoir conseillée dans vos débuts ?

— Vous vous trompiez. J’ai été admirablement accueillie par Richard Wagner, lorsque je suis allée lui faire une visite en 1869, et là se bornèrent mes relations avec lui. J’ai même refusé de le revoir après nos désastres, trouvant inutile et de mauvais goût de se prosterner devant l’homme qui avait insulté la France, au lendemain de sa capitulation.

— Maintenant, voulez-vous que nous parlions de votre opéra la Montagne noire ? Quand croyez-vous qu’il nous sera donné de l’entendre ?

— Il est certain, d’après toutes les promesses, et selon les traités signés, que les études commenceront en octobre, et il est probable qu’il sera joué dans le cours de janvier. Gailhard en est très enthousiaste ; il en pense et il en dit merveille.

— Puis-je savoir le sujet de la Montagne noire ?

— Je n’ai pas le droit de vous le faire connaître, mais il m’est permis, toutefois, de vous apprendre que c’est une action héroïque et passionnelle se passant en 1657 au moment de la guerre du Monténégro contre les Turcs.

Et Mlle Holmès reprit, en appuyant bien sur les mots :

— Le caractère de ce drame musical est héroïque et amoureux… sensuel, même.

— Combien d’actes ?

— Quatre actes et cinq tableaux.

— À quelle époque avez-vous remis la Montagne noire entre les mains des directeurs de l’Opéra ?

— L’audition complète de l’œuvre a eu lieu le 7 octobre 1891 devant Bertrand et Colonne et l’opéra a été reçu le même jour, mais le traité officiel entre le directeur et moi n’a pu être signé qu’en 1892. Plus tard, c’est-à-dire en 1893 lorsque Gailhard devint l’associé de Bertrand, non seulement il ratifia le traité, mais comme je vous le disais tout à l’heure, il se montra enthousiaste de mon œuvre et, depuis, il n’a cessé de manifester une grande confiance dans son succès.

— Le poème est de vous ?

— D’un bout à l’autre. Pour que l’inspiration soit libre, j’estime que le compositeur doit concevoir aussi les paroles.

— Et comment procédez-vous ?

— Je compose la musique le jour, et mes poèmes pendant la nuit. Il m’arrive souvent d’écrire jusqu’à quatre heures du matin…

— Attendez-vous toujours une inspiration pour écrire et composer, ou bien vous mettez-vous au travail, à heure fixe, avec la certitude qu’elle viendra au premier appel ?

— Il y a chez moi une absence continuelle, une inconscience absolue de ce qui se passe en dehors… Mon vrai Moi est toujours préoccupé de son rêve. Quelquefois trois sujets différents m’envahissent l’esprit, et c’est après une laborieuse tribulation que j’en construis un seul et même ouvrage. Alors je reste à mon piano de une heure à sept heures, sans arrêt… absorbée tout entière.

— Travaillez-vous beaucoup en ce moment ?

— Je prépare le poème d’une nouvelle pièce lyrique ; la Belle Roncerose, en trois actes et cinq tableaux, puis j’écris des mélodies pour piano et chant. Enfin, je donne des leçons.

— Vous donnez des leçons ?

— Mais oui ! Beaucoup de femmes du monde, qui aiment ma musique, tiennent à apprendre de moi-même comment elles doivent la chanter, et je leur explique comment je l’ai comprise ; je chante devant elles les mélodies qui ont leur préférence…

— Quels sont les triomphes qui vous ont le plus doucement émue, et dont vous vous souvenez avec le plus de plaisir ?

— L’interprétation de Ludus pro patria, que j’avais composé pour être joué par la Société des Concerts du Conservatoire, en 1888, avec le concours de Colonne et de Mounet-Sully. J’avais été d’autant plus flattée de cet honneur que, jusqu’alors, cette Société ne jouait pas les œuvres des compositeurs vivants ; ensuite, j’étais la première femme qu’elle consentait à produire dans ses concerts. Ma seconde grande joie fut la représentation de l’Ode triomphale, en 1889.

— N’avait-il pas été question de vous décorer après ce grand succès ?

— En effet, comme j’avais fait don de l’Ode triomphale à la République, refusant toute rémunération M. Alphand demanda pour moi le ruban rouge, mais il ne put obtenir que les palmes d’officier de l’instruction publique.

J’allais prendre congé de Mlle Holmes, lorsque j’aperçus son cabinet de travail par une porte ouverte sur le salon. Elle surprit mon regard, et prévenant mon désir :

— Voulez-vous voir le coin où j’écris ? me dit-elle.

Je m’empressai de la suivre. Çà et là, entre les bibliothèques, sont accrochées des esquisses de Henri Régnault le jeune grand maître tué en 1871 à la bataille de Buzenval.

— J’aimais beaucoup Régnault, dit-elle en me voyant arrêté devant son portrait, nous nous connaissions depuis l’enfance, et nous avions l’un pour l’autre une affection absolument fraternelle. En art, je le considérais comme un frère d’armes, aussi sa mort me causa-t-elle un de mes grands chagrins.

— N’existe-t-il pas un portrait de vous peint par Régnault ?

— Non, à moins, dit-elle en riant, que vous vouliez parler de ma tête qui figure dans son « Prix de Rome », au Louvre : Thétis apportant les armes à Achille.

Nous causions ainsi depuis une heure, lorsque la crainte me vint mais un peu tard, d’avoir abusé du bienveillant accueil de Mlle Holmes. Je m’excusai sur lu longueur de cette « interview », et je pris congé d’elle, en lui souhaitant pour octobre prochain, le grand succès qu’elle mérite, comme poétesse, comme compositeur et comme femme infatigablement laborieuse.

Baude de Maureley.

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Composer, Pianist, Librettist

Augusta HOLMÈS

(1847 - 1903)

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