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Critique musicale / Soirée parisienne. La Montagne noire

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Critique musicale. 
Académie nationale de musique. – Première représentation de la Montagne noire, drame lyrique en quatre actes, poème et musique de Mlle Augusta Holmès.

Si les femmes qui composent bien sont rares, le nombre de celles qui ont abordé le théâtre est encore plus restreint. On cite Mlle Sophie Gay, auteur d’opéras comiques agréables ; Mme Louise Bertin, pour laquelle Victor Hugo a écrit son opéra Esmeralda, représenté à l’Académie Royale de musique ; Mme Pauline Thys, qui a fait jouer plusieurs pièces aux Bouffes, au Théâtre-Lyrique, à l’Alhambra de Bruxelles et dont le théâtre de Reims, je crois, reprenait tout dernièrement le Mariage de Tabaris, un de ses succès. Il y a deux ans, Mme la vicomtesse de Granval faisait brillamment représenter, au Grand-Théâtre de Bordeaux, un opéra en quatre actes, intitulé Mazeppa. Elle était déjà connue par différents ouvrages joués sous son nom ou sous des pseudonymes aux Bouffes, au Théâtre-Lyrique, au Théâtre Italien et à l’Opéra-Comique ; enfin Mlle Augusta Holmès, que ses œuvres symphoniques (Pologne, Lutèce, Irlande, Ludus pro Patria, les Argonautes, etc.) et surtout l’Ode Triomphale, exécutée en 1889, au Palais de l’Industrie, ont rendue presque célèbre, a affronté hier, pour la première fois, le genre dramatique. 

L’opéra lui a joué la Montagne noire, drame lyrique en quatre actes ou pour mieux dire en trois actes et quatre tableaux dont elle a composé à la fois le poème et la musique. C’est le système à la mode et il a certainement l’avantage d’empêcher les querelles entre l’auteur et le musicien mais il est souvent dangereux (pour Mlle Holmès plus que pour d’autres) parce que, pour être auteur dramatique, il faut une expérience de la scène et une connaissance du public qui ne s’acquiert qu’en fréquentant dans les théâtres, presque tous les soirs, soit dans la salle, soit dans les coulisses, et dame, c’est bien difficile pour une jeune et jolie femme.

Aussi n’est-ce pas sans effroi pour Mlle Holmès que j’ai vu MM. Bertrand et Gailhard ouvrir aussi largement les portes de l’Opéra à cette œuvre de début qui eût si bien été à sa place au Théâtre-Lyrique, que nous ne cessons de réclamer, qu’on s’obstine à ne pas nous donner et dont l’utilité a été si bien démontrée hier. 

En effet, à l’Opéra, on s’est montré sinon froid, du moins sévère, mais injuste. On a établi des comparaisons qui n’étaient pas, paraît-il, à l’avantage de l’ouvrage nouveau et des musiciens (de bons petits camarades) traduisaient leur état d’âme par des ricanements et des réflexions plus ou moins inconvenantes. Au Théâtre-Lyrique, au contraire, le public aurait compris que La Montagne noire contenait plus que des promesses et eût acclamé le compositeur capable d’avoir, pour ses débuts au théâtre, fait une œuvre aussi vigoureuse.

LA PIÈCE

La scène se passe en 1657, au moment où les Monténégrins, secouant le joug des Turcs, luttaient pour leur indépendance.

[Résumé de l’intrigue.]

Le sujet est naïf et manque de situations dramatiques assez variées pour que ce soit intéressant : c’est vraiment dommage. 

LA PARTITION

La musique vaut mieux que la pièce. Il y a durant ces quatre actes des parties charmantes comme la Chanson des buveurs (page 90 de la partition piano et chant [En note : « Ph. Maquet, éditeur, ancienne maison Brandus. »]), le chœur d’entrée du second acte. Le larghetto (page 116) qui sert de début à l’air d’Yamina. Tout le duo de Mirko et d’Héléna (page 167) et presque tout le second acte qui pourrait être signé d’une maître tant il est gracieux et enveloppant ; certaines parties du duo d’Yamina et de Mirko et la belle phrase chantée par Aslar (page 378) au dernier tableau. 

Le compositeur a su trouver aussi (et c’est par cela que vaut sa partition) des accents d’une énergie telle qu’on a peine à croire que ce soit là l’œuvre d’une femme. C’est surtout au premier acte que ces qualités viriles se font le plus sentir. Il y a encore au troisième acte la scène de Mirko cherchant à ranimer son frère gravement blessé qui est traitée avec une vigueur extraordinaire ; malheureusement, Mlle Holmès, comme tous ceux qui n’ont jamais écrit pour le théâtre, ne se rend pas compte de la sonorité des voix sur la scène, non plus que celle des instruments dans la salle. Certes ses chœurs sont purement écrits, son orchestration est toujours soignée mais elle emploie les cuivres avec une inexpérience manifeste : il y a, notamment au troisième acte un dessin en triolets (un fragment de leit-motiv) confié à découvert aux trombones, ce qui produit mauvais effet.

Je veux bien admettre pourtant qu’il y ait eu un peu d’indécision de la part de la fanfare de l’orchestre, voire même quelques fausses notes. Contrairement aux usages, (et peut-être aussi au cahier des charges) au lieu de faire jouer les musiciens de l’orchestre sur des parties largement, nettement copiées, corrigées avec soin (comme cela se faisait jadis), ce qui coûtait à la direction une somme d’environ sept ou huit cents francs, on attend, par mesure d’économie, que l’éditeur propriétaire de l’opéra fasse graver les parties d’orchestre qu’il fournit alors gratuitement. Ces parties, gravées souvent en petits caractères, n’ont pas les répliques indispensables et, ce qui est plus grave, sont bourrées de fautes et remplies d’omissions ; on corrige tant bien que mal, mais ce n’est pas net. Or, le timbalier, la batterie, les trombones, le bass-tuba, les trompettes, les pistons, les clarinettes et les contrebassistes sont éloignés de leur pupitre de près d’un mètre ! Peut-on, vraiment, exiger d’eux des attaques franches un jour de première représentation, en tenant compte de l’émotion qu’éprouvent les instrumentistes. 

Ceci constaté, je reviens à la Montagne noire. Mlle Augusta Holmès, tout en professant une admiration fervente pour Wagner, n’a pas suivi du tout la route tracée par lui. Elle est restée très mélodiste et le grand succès qu’obtiennent ses œuvres de salon en est la preuve, mais elle a appliqué à son opéra le système des leit-motive. Si, dans maints endroits, l’application en est heureuse, il n’en est pas de même du motif caractéristique d’Yamina, la femme fatale et caressante. Ce rôle d’Yamina est important et, tant qu’elle est en scène, le rythme tourmenté qui lui appartient revient sans cesse et apporte une monotonie de triolets qui finit par devenir une véritable fatigue. Joignez à cela que, sauf le rôle de Mirko et celui d’Héléna, tous les autres personnages chantent presque toujours dans le registre grave de leur voix et vous comprendrez que de cette réunion de timbres profonds naisse une sorte de tristesse qui plane sur certaines parties de l’ouvrage en même temps que les vigueurs du poème sont quelquefois amollies par la musique. 

Mon très distingué confrère, Mlle Augusta Holmès est trop artiste pour se méprendre sur ma critique. Je lui dois la vérité à elle comme je la dois à mes lecteurs. Ce ne sont pas des constatations méchantes que je fais ici. Ce sont des conseils affectueux que je lui donne et mon âge, hélas, me permet de le faire.

D’ailleurs, je trouve très remarquable ce début d’une femme compositeur au théâtre, laissant à ceux qui n’ont jamais écrit une note de musique qui ait le sens commun ou aux wagnériens de Panurge la liberté de hausser les épaules, et de déclarer en ricanant que ‘‘nous sommes loin de Parsifal’’. – Parbleu ! je le sais bien, et Mlle Holmès aussi, et il faut être vraiment niais et malveillant pour faire de pareilles comparaisons !

L’INTERPRÉTATION

L’interprétation est excellente. Mlle Berthet est gracieuse au possible. Mlle Bréval tire d’un rôle écrit trop bas pour elle tout ce qu’elle peut (et elle peut beaucoup).

M. Renaud est un beau guerrier, et M. Gresse, dans un rôle malheureusement trop court, fait valoir sa belle voix de basse profonde.

Les chœurs et l’orchestre, dirigés par M. Taffanel, ont été merveilleux.

J’ai gardé pour la fin M. Alvarez et Mlle Héglon, auxquels je dois une mention particulière. Ces deux vaillants artistes, constamment en progrès, dont la voix solide, généreuse et bien conduite semble s’étendre chaque jour davantage, ont été superbes tous les deux. Leur succès a été très grand et très légitime. 

Les décors sont beaux, les costumes, très jolis de près, font moins bien, vus de la salle ; les divertissements sont médiocres, comme d’habitude, et il en sera ainsi jusqu’au jour bienheureux pour l’art chorégraphique français où la direction de l’admirable corps de ballet de l’Opéra ne sera plus confiée à M. Hansen.

Émile Pessard

Soirée Parisienne. 
À l’Opéra. – La Montagne noire

Je viens de passer une soirée délicieuse, ô combien ! J’avoue que depuis longtemps je n’avais passé une aussi agréable soirée.

Dieu, que c’est bon de n’avoir pas froid, quand dehors la neige et le vent font rage, d’être en chemise de nuit, d’avoir aux pieds de bonnes vieilles pantoufles et sur le dos un vêtement d’intérieur bien ouaté, d’être coiffé d’une légère calotte de soie et d’être commodément assis dans un excellent fauteuil.

Parions que mes lecteurs s’imaginent que je suis allé à l’Académie nationale de musique dans la tenue, non moins nationale, des Anglais en voyage, quand ils vont au théâtre. Il n’en est rien. Je suis incapable d’une telle indécence.

La délicieuse soirée que je viens de passer je l’ai passée chez moi. Je n’étais pas à l’Opéra.

Ai-je oublié mes sacrés devoirs de soiriste ? Non pas, mais, soit indignité, erreur ou omission, l’Opéra ne m’a pas fait de service. Si étonnant que ce soit, cela est. Il manquait quelqu’un ce soir au Tout-Paris des premières et ce quelqu’un c’était moi.

Ceci me permet déjà de vous dire, comme doit le faire un bon soiriste, que la chambrée n’était pas très « sélect ». Il y avait bien M. le président de la République, accompagné de Mme et Mlle Faure, mais Narcisque n’y était pas ; c’est encore plus « faure » que tout le reste. 

Heureusement, des échos de la répétition générale sont venus frapper mes oreilles. Je puis donc vous dire, en toute sincérité, ce que sont l’œuvre, les décors, les costumes et les interprètes.

Ainsi, je puis vous dire que l’Opéra de Mme Augusta Holmès ne manque pas d’originalité. Il en a même une assez rare : le livret et la musique sont du même auteur. Mme Holmès est à la fois un délicat poète et un compositeur de grande envergure. 

Les décors sont superbes. Je ne les ai pas vus, mais avec une étonnante perspicacité d’imagination, je les ai devinés. Je sais ce dont M. Bertrand, qui est un gaillard, et M. Gailhard, son Bertrand, sont capables quand ils ont un aussi beau sujet de mise en scène. Il paraît qu’une partie de la pièce se passe dans la Montagne Noire, l’autre dans un harem de Turquie. 

M. Bertrand qui est un homme du Nord, s’est chargé de la première partie. Il a fait copier la Montagne noire sur le Mont-Blanc et l’a fait noircir ensuite. L’effet a été prodigieux. 

M. Gailhard, qui est du Midi, s’est chargé de la seconde partie, et c’est tout dire. Tout le monde sait qu’à Toulouse il y a des harems auprès desquels ceux du sultan sont de simples maisons de passe-passe, de vulgaires boîtes à surprises.

Donc, il n’y a pas à contredire, les décors sont superbes.

Pour des raisons à peu près analogues, je puis affirmer que les costumes sont merveilleux. La richesse des magasins de l’Opéra en est une garantie. Je le répète encore, les costumes sont merveilleux. 

Quant aux interprètes, il me suffirat de nommer Mmes Bréval, Héglon, Berthet ; MM. Alvarez, Renaud et Gresse et vous serez convaincus que l’interprétation a été remarquable.

Je vous aurai tout dit quand je vous aurai expliqué l’originie du titre. L’action se passe dans le Montenegro. Or, Monte : montagne, negro : noire. C’est aussi simple que lœuf de Christophe Colomb. Mais, dame ! il fallait le trouver.

Il n’y a qu’une chose sur laquelle je ne veux pas me prononcer. Est-ce ou n’est-ce pas un succès ? Je n’ose m’en rapporter aux bêcheurs de profession qui forment l’unique public des répétitions générales. J’ai pourtant entendu émettre cet avis.

Quel dommage que ce soit le poète qui ait fait la musique et le musicien le poème.

Sarcisque

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Émile PESSARD

(1843 - 1917)

Composer, Pianist, Librettist

Augusta HOLMÈS

(1847 - 1903)

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