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Revue musicale. La Princesse jaune

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REVUE MUSICALE
Théâtre de l’Opéra Comique : La Princesse jaune, opéra comique en un acte, poëme de M. Louis Gallet, musique de M. C. Saint-Saëns. Mlle Ducasse, Mlle Lhérie. […]

Après le tableau florentin du Passant et le tableau oriental de Djamileh, voici le tableau japonais de la Princesse jaune.

La direction de l’Opéra-Comique semble avoir depuis quelque temps une prédilection particulière pour les ouvrages en un acte. Elle est comme ces amateurs économes qui préfèrent trois petites toiles de genre à une grande œuvre, qui ne figure que pour un numéro dans leur catalogue. Poursuivant notre comparaison, nous trouvons que MM. de Leuven et du Locle cherchent vainement à donner le change sur l’importance des tableaux, dont ils viennent d’orner leur galerie avant de partir pour la campagne, en les entourant de cadres magnifiques. Quels que soient la richesse des costumes, la splendeur des décors, un acte n’est qu’un acte, et ne saurait compter comme une grande œuvre.

On présentera, il est vrai, trois noms de compositeurs à la fin de l’année ; en cela le calcul n’est pas trop maladroit ; mais il y aurait un procédé encore plus économique pour satisfaire un plus grand nombre de musiciens : ce serait de confier chacun des six ou huit morceaux qui forment un opéra comique en un acte à un compositeur différent. Voilà un excellent moyen de se débarrasser du même coup dé six musiciens français ; car on n’aurait garde, comme bien vous pensez, de les jouer dans la bonne saison ; on les expédierait quelques jours avant la fermeture annuelle – encore une innovation bien profitable à l’art et aux artistes. Quant au poème, on prendrait la première fantaisie venue, sans action, mais d’un joli aspect, un prétexte à costumes et décors, avec de jolis vers pour donner une apparence de tentative artistique et sérieuse à ce qui ne serait après tout qu’une habile combinaison.

Nous ne saurions en effet admettre que des hommes de la valeur de M. Saint-Saëns, qui ont une réputation aussi solidement établie, viennent débuter au théâtre avec une bluette en un acte à deux personnages. M. Bizet a pu sans danger se passer la fantaisie d’écrire un petit ouvrage pour l’Opéra-Comique ; il a déjà fait ses preuves au Théâtre-Lyrique avec deux grands opéras, où il a pu développer ses grandes qualités dramatiques ; mais M. Saint-Saëns, un des rares symphonistes français qui se soient produits, un des musiciens les plus érudits que nous connaissions, devait aborder le théâtre dans d’autres conditions qu’il vient de le faire. 

Sans doute, la musique de la Princesse Jaune est réussie : elle est vive, légère, mélodique, et, de plus, elle est écrite avec une sûreté de main remarquable ; c’est certainement un joli succès d’estime, et cependant à la place de M. Saint Saëns, nous eussions préféré attendre encore, de longues années s’il l’eût fallu, l’occasion de nous produire au théâtre, dans des conditions dignes de notre talent et de notre renommée.

L’action est absente du livret de la Princesse jaune, comme de celui de Djamileh. Nous ne sommes pas absolument hostile au tableau lyrique ; c’est une forme qui ne manque pas de poésie, surtout traitée par M. Gallet ; mais nous n’acceptons le tableau lyrique qu’à l’état d’exception, et nous verrions avec chagrin les ouvrages dépourvus d’intérêt, de vie, de mouvement s’implanter définitivement au théâtre, dont ils sont la négation absolue.

Le tableau lyrique est proche parent de l’intermède littéraire, inventé à l’Odéon par M. Coppée. Le Passant, un duo d’amour, qui devait fatalement être musiqué un jour, a donné l’idée de la Grève des forgerons, pièce de vers, dite en costume (!) par Beauvallet ; puis les imitateurs sont venus ; on a joué des poésies, des sonnets, des quatrains ; et voilà que maintenant l’Opéra-Comique entre dans cette voie déplorable, en donnant trois ouvrages de suite, dans lesquels il n’y a rien de ce qui constitue véritablement le théâtre ; et pour expérimenter cette audacieuse tentative, on choisit trois jeunes compositeurs, sur lesquels retombera infailliblement la responsabilité d’un échec possible ! À ce compte-là, on chantera bientôt un duo, une simple romance, avec costumes et décors.

Nous avons été favorable, nous l’avouons, au livret de Djamileh ; la facture élégante des vers nous avait séduit, et puis, nous le répétons, nous acceptions cette forme vide d’action, mais remplie de poésie, comme une exception ; malheureusement, elle semble s’ériger en système, et comme telle nous devons la repousser absolument.

On peut juger, du reste, s’il y avait une idée suffisante de pièce dans la donnée de Princesse jaune.

Un jeune Hollandais, du nom de Kornélis, vit sous le même toit que sa cousine Léna – le livret imprimé, pour sauver les apparences, dit « chez les parents de Léna », dont on n’aperçoit pas même l’ombre au théâtre ; – Kornélis est violemment épris d’une image qui décore son cabinet de travail, représentant une de ces figures bizarres comme on en voit sur les paravents et dans les albums japonais. Depuis qu’il est en possession de cette grotesque caricature, il ne rêve que Japon, il en apprend la langue, pour traduire des vers qu’il adresse à sa princesse adorée, et finit par découvrir dans un vieux livre le secret d’une liqueur qui procure, à celui qui la boit, tout ce qu’il désire !

Il n’hésite pas, pour posséder la princesse, à boire ce philtre merveilleux. Bientôt tout change à ses yeux : les sombres nuages qui voilaient la clarté du soleil ont disparu pour montrer le ciel empourpré de l’Orient, la triste chambre du docteur s’est transformée en une riante habitation pleine de meubles laqués, de potiches, d’idoles multicolores ; par la fenêtre ouverte, à la place des maisons chargées de neige, il aperçoit des pagodes, des jardins tout en fleurs : il est au Japon !

Mais la princesse jaune ? – La voici qui vient dans son splendide costume de soie et d’or ; Kornélis se jette à ses pieds, lui dit qu’il l’adore. Elle accepte d’abord son hommage ; mais elle finit par se sauver, effrayée des entreprenantes caresses de son cousin ; car vous l’avez deviné, c’était une hallucination produite par le philtre qui faisait croire à Kornélis que Léna, sa cousine, était revêtue d’un costume japonais, et qu’il avait quitté sa chambre de Dordrecht pour vivre à Jeddo.

À son réveil, Léna lui explique ce qui s’est passé ; il renonce à la princesse jaune, promet à sa cousine de l’épouser et court avec elle danser à la kermesse dont on entend la valse joyeuse au loin.

M. Saint-Saëns a écrit sur cette fable d’un intérêt médiocre, une partitionnette dans laquelle abonde la couleur locale. Il s’est fort ingénieusement servi de la gamme chinoise à cinq sons, ut, ré, fa, sol, si bémol, ut, et a su rencontrer, avec ces moyens bornés, la variété en employant les quatre modes qui en dérivent.

Cette gamme incomplète a, du reste, un charme tout particulier, et on s’explique que les Chinois soient restés fidèles, dans leurs chants populaires, à leur antique tonalité, quoi qu’ils aient appris à connaître nos gammes diatoniques complètes, introduites chez eux par un prince Tsay-Yu, malgré la résistance des musiciens conservateurs. Il en est de même des Écossais qui maintiennent leur gamme primitive, tout en ayant connaissance des systèmes modernes.

Chez les Chinois et chez les Gaëls, le petit nombre des sons renfermés dans une octave est compensé par la grande étendue que parcourent leurs voix.

L’allegro de l’ouverture – M. Saint-Saëns a fait une ouverture, ce dont nous le félicitons sincèrement – emprunte au 4emode chinois, sans quarte ni septième, son allure vive et alerte. Cette ouverture, faite avec beaucoup d’art, débute par un andante en sol mineur d’un fort joli sentiment, qui n’est, du reste, que la romance de Kornélis : « J’aime dans son lointain mystère. » Les arpèges de la harpe sont d’un effet pittoresque très réussi. 

L’air sur des paroles japonaises, suivi du trois temps : « Quel est ton pouvoir ? » nous a paru moins heureux. M. Saint-Saëns devrait laisser aux faiseurs d’opérettes ces rythmes dansants et ne pas accorder au goût du public plus de concessions qu’il n’en exige lui-même. Nous avons trouvé même que M. Saint-Saëns, en dehors de la partie chinoise de sa musique, s’était en général trop facilement contenté de la première pléiade qui lui était venue à l’esprit. Voilà un défaut que nous ne nous attendions pas à rencontrer chez un symphoniste dont nous admirons ordinairement l’esprit de recherche et l’ingéniosité des détails. C’est sur cette impression que nous a laissé le motif du duo final : « Félicités promises à nos âmes éprises » qui sent vraiment un peu trop l’improvisation.

Tous les morceaux ne sont pas aussi lâchés ; ainsi, le solo de Kornélis : « Vision dont mon âme est éprise », d’une harmonie distinguée, le chœur dans la coulisse, dont le motif est repris par Léna (dans la coulisse également, ce qui ne nous semble pas heureux, au de vue de l’intelligence de la scène) ; le grand duo dans lequel est intercalée la jolie chanson : « Sur l’eau claire, glisse mon bateau », méritent des éloges sans restriction.

Si l’auteur de la Princesse jaune était un inconnu, nous nous serions contenté de juger l’œuvre dans son ensemble, et de dire qu’elle nous avait satisfait ; mais nous avons cru devoir à M. Saint-Saëns, précédé au théâtre d’une grande réputation de musicien, une appréciation plus complète, une critique moins sommaire. En lui disant sincèrement notre opinion tout entière, nous pensons lui donner une marque d’estime préférable aux compliments exagérés, que le public ne manquerait pas d’attribuer à une complaisante camaraderie.

Nous n’acceptons du reste la Princesse Jaune qu’à titre de prologue d’un ouvrage plus important. Ce n’est que le jour où M. Saint-Saëns fera représenter un ouvrage en trois actes, qu’il débutera réellement au théâtre.

Les deux interprètes de la Princesse Jaune se sont convenablement acquittés de leur lâche.

Mlle Ducasse a été charmante sous ses deux costumes de hollandaise ou de japonaise, nous n’aimons pas cependant la coiffure qu’elle porté avec le second. – Excellente musicienne, comédienne pleine de brio, chanteuse agréable, Mlle Ducasse est une artiste dont nous sommes heureux de constater chaque jour les nouveaux progrès.

M. Lhérie a une voix de ténor d’un timbre adorable, il joue bien, et nous paraît appelé à un brillant avenir, s’il se corrige de ce style affecté dans le chant et dans le geste, qu’il adopté depuis son début dans Zampa. Que M. Lhérie soit bien convaincu que le naturel est une qualité de premier ordre, sans laquelle il n’y a pas de véritable artiste. […]

Victorin Joncières.

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Composer, Organist, Pianist, Journalist

Camille SAINT-SAËNS

(1835 - 1921)

Composer

Victorin JONCIÈRES

(1839 - 1903)

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Louis GALLET

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