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Théâtre de l'Opéra. Première représentation d'Ariane

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THÉÂTRE DE L’OPÉRA
Première représentation d’Ariane, opéra en cinq actes, de M. Catulle Mendès, musique de M. J. Massenet.

Le sujet d’Ariane est un de ceux qui ont été le plus portés au théâtre, et mis en opéra.

Car, en regard de l’Ariane, de Pierre Corneille [sic], tragédie en cinq actes, où triompha la Clairon, nous trouvons successivement, dans l’histoire de notre théâtre lyrique : Ariane à Naxos, drame lyrique de Rinaccini, joué en 1608 ; l’Ariane de l’abbé Perrin, musique de Cambert, jouée à Nantes en 1687 ; Ariane et Bacchus, opéra en cinq actes, de Saint-Jean, musique de Marais, joué à l’Opéra le 8 mars 1696 ; Ariane et Thésée, opéra en cinq actes, de Lagrange-Chancel et Roy, musique de Mouret (1717) ; un opéra en un acte de Nislève, musique d’Edelmann, créé par la Saint-Huberti, à l’Opéra, le 24 septembre 1782, et intitulé Ariane dans l’île de Naxos.

De tant d’opéras, — et ce sont là les plus célèbres, — pas une phrase n’est restée ! On n’en entend même pas un fragment aux concours du Conservatoire, où les professeurs vont exhumer souvent, pour leurs élèves, de si déconcertantes vieilleries.

En sera-t-il de même pour l’Ariane de Massenet ?

Je ne me charge pas de vous le dire. La partition est, en tout cas, charmante, quoiqu’inégale. Quant au livret, c’est un des meilleurs qu’aura écrit M. Mendès, qui a, d’ailleurs, suivi la légende mythologique, dont se sont également inspirés tous les compositeurs que je viens de citer, et qui n’a eu qu’un tort, celui de lâcher le fil conducteur de cette légende au quatrième acte, pour aller promener Ariane aux enfers. Car là, il se passe des choses quelque peu ridicules.

Cette légende d’Ariane, Racine l’a contée en deux vers placés dans la bouche de Phèdre :

Ariane, ma sœur, de quelle amour blessée
Vous mourustes aux bords où vous fustes laissée !

C’est le drame causé par l’inconstance de l’homme.

Thésée, nouvel Hercule, qui veut expurger la terre de ses monstres, est en Crète, où les habitants doivent fournir chaque année sept jeunes garçons et sept jeunes vierges à la gloutonnerie du Minotaure, qui erre dans le labyrinthe à la porte de bronze.

Thésée a produit une vive impression sur Ariane, fille de Pasiphaë. Elle lui donne le fil à l’aide duquel il retrouvera sa route pour sortir du labyrinthe, après avoir tué le monstre.

Le plan réussit. Thésée sort vainqueur du combat avec le monstre, et les sept éphèbes, les sept vierges, délivrés, clament leur joie.

Le héros est prêt à regagner Athènes. Il emmène sur la galère, que commande le fidèle Pirithoüs, la douce Ariane, dont il a fait son épouse, et sa sœur Phèdre, l’altière chasseresse, qui éprouve le besoin d’accompagner les amants, attirée par on ne sait quelle force mystérieuse.

La galère perd sa route et aborde à Naxos. Thésée délivre les habitants de cette île des brigands qui l’encombraient, puis tombe amoureux de sa belle-sœur, Phèdre, qui le lui rend bien. Ariane les surprend enlacés, et c’est fini de son bonheur !

Pourquoi la mouette d’un coup d’aile
Frôle-t-elle encor la mer qui bleuit ?
Puisque Thésée est infidèle
Et puisque Phèdre me trahit !

Phèdre, la fière chasseresse, a honte, d’ailleurs, d’avoir été vaincue par l’amour, et de trahir ainsi sa sœur.

Elle s’en va insulter la statue d’Éros. La statue tombe sur elle et l’écrase.

Mais Ariane apprend l’indignation et le malheur de Phèdre. Elle implore Vénus, qui lui prête les trois Grâces pour l’accompagner aux Enfers, où elle va redemander sa sœur à Proserpine.

L’acte des Enfers n’est pas heureux.

Proserpine, alias Perséphone, nous fait sourire lorsqu’après avoir répondu par une fin de non-recevoir à la tendre Ariane, elle se sent tout émue devant les bottes de roses que l’amante de Thésée lui a apportées de la terre ensoleillée, et lui crie :

Tu m’as apporté des roses ? Alors,
emmène ta sœur ! 

L’idée d’avoir placé l’unique petit ballet de l’Opéra dans la pénombre des Enfers n’est pas, non plus, comme on dit, dans une musette.

Ariane emmène donc sa sœur et la rend à Thésée.

Thésée et Phèdre, devant tant d’abnégation, se jurent de ne plus faire de la peine à Ariane. Mais ils retombent presque aussitôt dans les bras l’un de l’autre. Mieux que cela, ils fuient ensemble. La triste Ariane descend doucement dans la mer, où l’emportent les sirènes, auxquelles M. Mendès a fait mettre des ailes, je ne sais trop pourquoi, la mythologie nous les donnant comme des femmes-poissons et non comme des femmes-oiseaux.

Ces chœurs de sirènes, qui terminent l’opéra, sont aussi ceux qui le commencent. Et il faut convenir que M. Massenet n’a jamais rien produit de plus aérien, de plus léger, de plus fondu, que ces chants accompagnés d’arpèges de harpe qui ont l’air de glisser au loin sur l’eau.

Leur mollesse et leur langueur font contraste avec la rudesse de l’air de Pirithoüs, le farouche soldat, qui commence par faire attacher les jeunes matelots aux mats des vaisseaux, pour qu’ils n’écoutent pas les sirènes, et qui conte les exploits de Thésée en quelques phrases vivantes, martiales, où M. Delmas s’est taillé un premier succès.

Puis, c’est la chanson d’Ariane, hymne de reconnaissance à Cypris, au pur dessin mélodique, agrémenté des arabesques du hautbois ; l’apparition de Phèdre, qui entrelace sa voix à celle d’Ariane ; le tumulte du combat, qu’on ne voit pas, dans le mystérieux labyrinthe, et, enfin, par la porte de bronze, brusquement ouverte, la sortie éperdue des adolescents délivrés : « Libres ! Libres ! », et leur chœur cristallin, jeune, leste, sur un joyeux rythme de six-huit, en mi majeur.

L’apparition de Thésée est d’un lyrisme plus banal. Il évoque Lohengrin d’abord ; Hérodiade ensuite, surtout dans le thème : Ariane, o bouche fleurie.

Cet acte reste, dans son ensemble, d’un charme délicieux.

Le second acte, avec la galère de Thésée, chargée de guerriers, manque d’action et constitue une sorte de symphonie, que domine le ronflement cadencé des rames agitées en mesure. Le chœur des matelots coupe, à diverses reprises, le duo amoureux d’Ariane et de Thésée, avec son trait de flûte, qui revient comme une vague mourant sur le sable. Les îles poétiques, chantées par le pilote le long de la route, et dont la beauté est commentée par les adolescents, sont prétexte à motifs charmants et variés. C’est un peu un voyage au pays du Tendre, et l’orage lui-même n’arrive pas à nous effrayer. Naxos apparaît à l’horizon, derrière les nuages noirs qui s’écartent avec la lumière qui revient en même temps que le chœur léger et joyeux, en six-huit, des éphèbes.

Le drame commence au cours du troisième acte. M. Massenet laisse alors envahir souvent sa personnalité par les compositeurs qui traitèrent l’antiquité avant lui.

La romance en ut majeur d’Eunoé : Ariane ! Ariane ! Pourquoi pleurez-vous ? est du pur Méhul, et la déclaration de Thésée à Phèdre : O vierge guerrière ! est du pur Glück. Ne nous en plaignons point. Le fond d’orchestre en mineur du quatrième acte, qui se passe aux Enfers, est encore un reflet de Glück, mais Massenet reste bien lui-même dans les dialogues de passion, notamment dans l’apostrophe d’Ariane (3e acte) : Ah ! le cruel ! Ah ! la cruelle ! et dans la mort poétique et vaporeuse d’Ariane.

L’impression générale, malgré toutes ces restrictions, est exquise. C’est, du moins, de la musique qui vit, palpite et émeut. Ce n’est pas de la combinaison aride et incohérente, comme celle de nos cacophones abhorrés de leurs contemporains, et dont je ne veux pas redire les noms.

Mmes Bréval (Ariane) et Grandjean (Phèdre), supportent le principal effort de l’interprétation, avec M. Delmas, le viril et puissant Pirithoüs. Leurs deux soprani traduisent la musique de Massenet dans ses nuances les plus délicates. Le contralto de Mme Lucy Arbell a de la force et de la décision, mais manque, parfois, de pureté. Mme Demougeot est une Cypris à la voix délicate et veloutée comme le plumage de ses colombes. Thésée, c’est M. Muratore. Il a de belles notes, mais il n’est pas

le ténor de mes rêves. Sa voix n’a pas la belle plénitude qui satisfait l’auditeur.

MM. Stamler, Triadou, Mmes Berthe Mendès, Laute, complètent cette intéressante distribution. Mmes Zambelli et Sandrini dépensent leur talent en pure perte dans le minuscule ballet nocturne qu’on voit à peine, et qui est une des plus baroques idées de ce livret, qui en compte un certain nombre d’excellentes.

Jean Drault.

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Composer, Pianist

Jules MASSENET

(1842 - 1912)

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Ariane

Jules MASSENET

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Catulle MENDÈS

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