Ivanhoé de Sieg
Autrefois, – cet autrefois comprend toute la période commençant à l’institution des grands prix et finissant à l’année 1863, – les concours de peinture, de sculpture, musique, etc., étaient jugés par l’Académie des Beaux-Arts. Les couronnes étaient distribuées sous la coupole du palais Mazarin, et la cantate du compositeur lauréat y était exécutée en séance publique. Quelques-unes de ces cantates, – celles de M. Fr. Bazin, par exemple, de M. Aimé Maillart, et en dernier lieu, de M. Paladilhe, – furent chantées ensuite à l’Opéra : mais c’était une faveur exceptionnelle, et qui ne tirait pas à conséquence. Cette prérogative de juger les concours ayant été tout récemment ôtée à l’Institut, on a décidé que la cantate couronnée serait chantée chaque année à l’Opéra. C’est ce qui a eu lieu, vendredi dernier, pour celle de M. Sieg, qui a obtenu le grand prix au dernier concours. Un concours préalable avait été ouvert pour les paroles de la cantate. L’œuvre préférée, Ivanhoë, a été prise, comme son titre l’indique, dans le beau roman de sir Walter Scott, et je ne doute pas que M. V. Roussy n’ait fait les plus louables efforts pour mettre dans ses alexandrins l’éloquence, le mouvement, la verve, la passion, et la merveilleuse poésie de l’écrivain écossais. Il faut lui savoir gré de l’intention. S’il n’a point réussi, ce n’est pas sa faute. Il doit toujours y avoir trois personnages dans ces sortes de pièces, le programme l’exige, une femme et deux hommes, afin que le musicien puisse faire chanter successivement un soprano, un ténor et une basse-taille, puis les accoupler dans un ou deux duos, et les réunir dans un trio, qui sert de couronnement à son édifice. Les trois personnages de la cantate sont Rebecca, Ivanhoë et Brian de Bois-Guilbert. Ivanhoë, comme de raison, est le ténor, le farouche templier la basse-taille. Le contraste de ces trois caractères offrait évidemment de grandes ressources au compositeur, qui avait toutes les occasions désirables de mêler « le grave au doux », la tendresse à la férocité, les effets suaves aux effets violents, et les soupirs de la flûte aux hurlements sauvages du trombone. La faiblesse poétique du livret n’était pas un obstacle, ni peut-être un inconvénient : c’est justement le rôle de la musique de mettre dans une œuvre chantée la vigueur d’expression et la vivacité de coloris qui ne sont pas dans les paroles. Comparez, par exemple, l’effet que produisent sur vous, à la lecture, ces vers de Guillaume Tell :
Déjà Gessler, préludant aux batailles,
D’un vieillard a tranché les jours ;
Cette victime attend des funérailles,
Elle a des droits à tes secours,
et l’impression que vous recevez du chant énergique, solennel et profondément passionné que Rossini a écrit sous ce quatrain ridicule. Je ne veux point opposer ici à M. Sieg, qui n’est encore qu’un heureux écolier, Rossini ou tout autre maître. Mais on a le droit de chercher, dans une cantate couronnée, quelles qualités, ou du moins quels germes de talent, lui ont acquis les suffrages du jury. J’avoue que je ne les ai point trouvés. Que l’harmonie en soit correcte, et l’instrumentation régulière, je ne le nie point. Mais donnerait-on le prix de l’éloquence ou de la poésie à une pièce qui aurait pour mérite principal d’être exempte de solécismes ? On y demande encore autre chose, des idées par exemple, et dans une œuvre musicale quelques idées mélodiques n’auraient pas été de trop. L’auteur, dit-on, est très-jeune, et son imagination n’a pas eu le temps d’éclore. À la bonne heure ! cela l’excuse, mais ne justifie pas le jury, qui, en couronnant solennellement un long et pâle tissu de lieux communs, semble dire aux élèves de l’école : Voilà, mes amis, ce qu’il faut faire pour réussir. On ne saurait donner à la jeunesse un plus mauvais conseil.
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Ivanhoé (Victor Roussy)
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publication date : 13/09/23