Sémiramis de Catel
La tragédie de Sémiramis est celle où Voltaire a étalé le plus de pompe théâtrale. Elle convenait, par cette raison, à notre grand opéra, et l’on ne pouvait guères choisir un sujet qui réunit davantage tout ce qui peut éblouir les yeux.
Des décorations magnifiques et variées, un grand nombre de personnages, de prêtres, de soldats, un trône, un tombeau, une ombre qui parle, et le tonnerre qui gronde, quels trésors pour un auteur d’opéra ! Avec des pareilles ressources, on peut se passer de génie, et cela arrange bien du monde.
A toutes ces richesses qu’il a trouvées sous la main, le cit. Desriaux a ajouté un autre moyen de succès non moins infaillible ; c’est une petite promenade triomphale, qui dure tout au plus un quart d’heure, et une longue fête de l’hymen. Ces deux inventions ont un avantage précieux, c’est de nous empêcher de nous intéresser trop vivement à la pièce, ce qui pourrait nuire à la santé de bien des gens à qui il ne faut que des émotions passagères.
Je conviens que Sémiramis ne doit guères prendre part à la joie universelle, après l’oracle prononcé par Oroës :
Vous fatiguez les dieux, par des vœux indiscrets ;
Mais songez à punir le crime :
C’est dans les murs de ce palais
Que vous trouverez la victime.
Oracle très-clair et qu’elle comprend parfaitement, puisqu’elle s’écrie :
O sentence cruelle !
Je conviens, dis-je, qu’après cette sentence, il est assez singulier qu’elle écoute des chansons ; qu’elle s’amuse à voir danser les Babyloniens, et surtout qu’elle songe à ses secondes noces. C’est pousser un peu loin le goût de la danse et l’envie de se remarier. Mais que sont ces légers inconvénients auprès du plaisir de voir tourner Vestris et Mlle Chameroy ? Ce plaisir dédommage de tout, et une pirouette de huit ou neuf tours vaut seule les paroles que Voltaire a mises dans la bouche de l’oracle :
Babylone doit prendre une face nouvelle,
Quand d’un second hymen allumant le flambeau,
Mère trop malheureuse, épouse trop cruelle,
Tu calmeras Ninus au fond de son tombeau.
Grâce à cet oracle, qui ne menace point clairement Sémiramis de la mort (comme celui du cit. Desriaux), et qui semble même ordonner à cette reine un second mariage, les fêtes n’auraient point blessé les convenances, et Sémiramisaurait pu raisonnablement s’occuper de ses noces. J’ignore pourquoi l’auteur qui a pris moitié de sa pièce à Voltaire, s’est fait un scrupule de lui rendre encore les quatre vers que je viens de citer. Apparemment qu’il a trouvé les siens plus poétiques.
J’ignore aussi pourquoi le cit. Desriaux s’est écarté de la tragédie de Voltaire dans un point plus essentiel encore. Qui croirait que cet auteur, après avoir copié la scène sublime du 4e acte jusqu’à ce vers :
Ah ! je fus sans pitié ; sois barbare à ton tour :
fait tout-à-coup dire à Ninias :
Mais c’est trop différer d’accomplir mon destin :
S’il m’appelle aux enfers, en voilà le chemin.
Qui croirait que Ninias se décide ainsi brusquement et sans motif, à entrer dans le tombeau ? Il a promis en effet d’y descendre ; mais est-ce là le moment d’exécuter sa promesse ? Ne doit-il pas être, comme dans Voltaire, tout entier à l’amour filial, et s’occuper de consoler, de rassurer sa mère ?
Quand Voltaire le fait-il descendre au mausolée ? c’est après qu’Azéma lui a dit :
C’est vous que dans la tombe on va sacrifier.
Assur, l’indigne Assur, a, d’un pas sacrilège,
Violé du tombeau le divin privilège :
Il vous attend.
Ninias s’écrie alors :
Grands Dieux ! tout est donc éclairci.
Mon cœur est rassuré, la victime est ici.
…
J’obéis sans rien craindre, et j’en crois les oracles.
Et il entre pour frapper Assur ; résolution très-naturelle et très-bien amenée, situation d’autant plus tragique que Sémiramis est déjà dans le tombeau de Ninus.
J’ai déjà dit hier un mot du style de Sémiramis. Je ne m’étendrai point sur cet article. Cela pourrait me mener loin. Il faut d’ailleurs avoir quelque indulgence pour les opéras, où le poète est obligé de sacrifier souvent sa raison et ses idées aux caprices ou aux besoins du musicien.
Le cit. Catel n’avait point encore travaillé pour le théâtre. Son coup d’essai n’est pas tout-à-fait un coup de maître, mais il annonce un beau talent. C’est le premier acte surtout qu’on a généralement goûté. L’air d’Azéma est d’une touche ferme et gracieuse à-la-fois, et exprime très-bien le mélange de l’amour et de la fierté. Celui d’Assur, qui vient après, a paru faible, mais on a été dédommagé par l’ariette de Sémiramis, où la terreur et les remords de cette reine sont peints avec une effrayante vérité.
Le second acte est moins riche. Le duo d’Arsace et d’Azéma et le chœur de la dernière scène sont les seuls morceaux qu’on ait trouvé saillants.
Quant au troisième acte, il n’y a qu’une scène véritablement belle, c’est celle d’Oroës et d’Arsace. Elle est infiniment supérieure à celle de ce prince avec Sémiramis, quoique l’on dût s’attendre à tout le contraire.
Le récitatif du cit. Catel a peut-être un peu de monotonie. En général, la musique de ce compositeur a une couleur trop uniforme. Elle est aussi plus bruyante que mélodieuse. Il y a trop peu de chant, et trop de prétention aux grands effets d’harmonie. C’est un mérite, je le sais, auprès de bien des gens ; mais la mélodie et le simplicité sont du goût de tout le monde, et sans elles, je ne connais point de véritable musique.
[…]
Les décorations et les ballets de Sémiramis n’ont pas peu contribué à son succès. Aussi, après avoir demandé le citoyen Catel, le public a demandé aussi le citoyen Gardel. Ses ballets sont gracieux. Celui des Africains, au premier acte, a excité un enthousiasme presque général. Je dis presque, parce que plusieurs personnes d’un goût sévère, l’ont trouvé plus bizarre qu’agréable.
[…]
Sémiramis attirera du monde, mais ceux qui l’auront vue une fois pourraient bien n’y pas retourner. Ce n’est pas tout que de charmer les yeux, il faut qu’un spectacle pour qu’on le revoie avec plaisir, ait intéressé le cœur ou amusé l’esprit : il faut qu’il ait laissé dans l’âme une impression profonde ou d’aimables souvenirs.
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Charles-Simon CATEL
/Philippe DESRIAUX
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publication date : 15/09/23