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La Fille de madame Angot de Lecocq

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Revue dramatique & musicale

[…] Du reste, l’année est vouée aux reprises, et vous n’avez qu’à consulter une colonne d’affiches pour vous en convaincre : Opéra, Français, Odéon, Opéra-Comique, Athénée, Ambigu, Gymnase, — oui, le Gymnase lui-même, — Châtelet, Gaîté, Cluny, tous reprennent quelque chose, et la Fille de Mme Angot, que nous ont donnée vendredi les Folies-Dramatiques, n’est-elle pas une reprise... belge ?

Et même, ce serait peut-être le moment de faire remarquer que la contrefaçon, qui était autrefois l’apanage de nos voisins, tend singulièrement à se modifier, et que c’est Paris maintenant qui, en fait de théâtre, suit les modes de Bruxelles. Est-ce un bien, est-ce un mal, l’avenir le dira ; toujours est-il qu’après avoir fait venir les Cent Vierges de Belgique, nous y avons été chercher la Fille de Mme Angot.

Quand je dis nous, c’est M. Cantin que je veux dire, et M. Cantin a eu tout à fait raison. La pièce de MM. Clairville, Siraudin et Koning est amusante sans être triviale, et la musique que M. Charles Lecocq a écrite est à mon avis, sans en excepter même Fleur de Thé, — un bijou — sa meilleure partition. Il y a là-dedans de la musique de quoi défrayer dix coupes de dix rois de Thulé.

Mais parlons un peu de la fille de Mme Angot, de cette fille qui n’est pas née sans doute du mariage du grand Turc avec la république de Venise, mais qui cependant aurait eu pour père un Commandeur des Croyants du temps du Directoire.

C’est, en effet, à cette aimable époque que se passe l’aventure de Mlle Clairette Angot, fille adoptive de mesdames et de messieurs de la Halle, lesquels l’ont élevée en commun et la voudraient marier avec un merlan également de la Halle.

Et à ce propos, avez-vous remarqué que dans toutes les pièces qui se passent sous le Directoire il y a un coiffeur, que sous l’Empire ce coiffeur se change naturellement en colonel de hussards, pour devenir attaché d’ambassade sous la Restauration ?

Comment, dans cinquante ans, symbolisera-t-on notre époque, je l’ignore ; – que diriez-vous d’un photographe ?

Donc, on veut marier Clairette à Pomponnet le perruquier, mais la petite a de qui tenir, et son blason porte de gueule :

          De la mère Angot

          J’suis la fille 

          Et la fille Angot

          Tient de famille,

chante-t-elle à gorge déployée, et de Pomponnet je n’veux pas, et c’est Ange Pitou, le chansonnier, qui me tient le cœur avec ses chansons de carrefour, et voilà ! de quoi ?

Forte fille, comme vous voyez, — et comme le mariage va être consommé et que déjà le bouquet de fleurs d’oranger tremble à son corsage, savez-vous ce qu’elle imagine ? Tout simplement de chanter une des dernières productions d’Ange Pilou — défendue par l’autorité — et de se faire mettre en prison.

Elle est raide, du reste, la chanson, et il la lui faut entendre détailler, la narine au vent et les deux poings sur les hanches :

I

Jadis les rois, race proscrite,

Enrichissaient les partisans ; [etc.]

Vous pensez si on a applaudi, trépigné de joie, et bissé les couplets !

Et là-dessus on emmène ma Clairette et nous la retrouvons au second acte dans le boudoir de Mlle Lange, la favorite à cheval sur les faveurs de Barras et de la Richaudière. Je vous passe l’intrigue, sachez seulement que Lange et Clairette se connaissent, que la courtisane aime éperdument Pitou le chansonnier, que la Richaudière est jaloux, qu’il donne un bal et qu’à ce bal viennent des conspirateurs qui conspirent en chantant et qui chantent en conspirant :

          Quand on conspire, 

          Quand sans frayeur 

          On peut se dire

          Conspirateur, 

          Pour tout le monde

          Il faut avoir

          Perruque blonde 

          Et collet noir.

Puis l’armée française arrive sous forme de hussards pour empoigner les hommes à perruque blonde et à collet noir ; mais, paf ! voilà que pour ne point prêter le collet ils envoient leurs perruques dans les lustres et que tout finit par une valse. C’est un moyen comme un autre.

Au troisième acte, nous sommes au bal de Calypso, établissement chorégraphique de barrière, où Clairette, qui est décidément de plus en plus la fille de sa mère, donne rendez-vous à tous ses amis et connaissances : Pomponnet, Pilou, La Rivaudière, Mlle Lange, sans compter ses pères et mères de Halle, tous arrivent les uns après les autres pour assister au mariage de leur fille avec...

— Avec Pilou ? 

— Pas le moins du monde, avec Pomponnet.

— Mais puisque...

— Ah ! ne m’en demandez pas davantage. — Clairette épouse Pomponnet, elle n’épouse plus Pilou, — pourquoi, je n’en sais rien, c’est son affaire ; et si vous croyez que je vais risquer de me faire en… boucher pour lui demander ses raisons, on voit bien que vous ne la connaissez point.

Je vous ai dit que la musique de Charles Lecocq était charmante, je ne puis que me répéter, en soulignant de souvenir un chœur de dames de la Halle au premier acte, celui des muscadins au second, ainsi qu’un duo entre Lange et Clairette. C’est aussi dans ce même second acte que vient le chœur des conspirateurs, que l’on a fait bisser pour en retenir tout de suite la phrase heureuse, et la valse entraînante qui fait tourbillonner hussards et muscadins.

Au troisième acte, un duo entre Pomponnet et La Rivaudière voulant mutuellement s’intimider, duo que vient bientôt changer en trio l’entrée de Clairette.

La grande en... bouchage musicale et finale entre Mlle Lange et la fille à la mère Angot, toutes deux en poissardes et prêtes à se crêper le chignon, a failli avoir les honneurs du ter ; ce n’est cependant pas ce que j’aime le mieux dans la partition, mais ici la musique s’est effacée devant la pantomime. 

C’est Mlle Paola Marié, la fine Bertrade d’Héloïse et Abélard, à laquelle les auteurs ont confié le rôle de Clairette, cette Caquet-Bon-Bec des rosâtres populaires. Il était impossible d’être mieux inspiré. Mlle Paola réunit, en effet, presque toutes les qualités d’une chanteuse bouffe. — Elle a une tête de soubrette la plus éveillée et la plus fine qui se puisse voir, — faite au tour, avec cela, — l’avez-vous vue dans Méphisto ? — et une voix souple, étendue, vibrante, qu’elle conduit où elle veut et comme elle veut, en excellente musicienne qu’elle est. — Tout ce que j’oserais lui reprocher, ou plutôt lui recommander, c’est de ne point trop forcer le côté déjà un peu... faubourien de son rôle. C’est inutile et cela empêche de l’applaudir et de la louer sans restriction.

Mlle Desclauzas, retour de Bruxelles, retour du Brésil, retour du Châtelet, retour de féerie, retour de tout ce que vous voudrez, a bien voulu consentir à prêter son enveloppe terrestre — enveloppa terrestris — à la courtisane Lange. — De cette enveloppe sort avec force... prétentions un filet de voix chevrotant, le plus agaçant du monde, qui désigne cette chanteuse coloniale aux triomphes de l’exportation. Quant aux ténors, barytons et basses que nourrit et dresse au combat du chant (du chant clos, si vous voulez) l’honorable M. Cantin, j’imagine qu’il vaut mieux n’en pas souffler mot.

Passons la gomme arabique dans tous ces gosiers-là et n’en parlons plus. […]

Leguevel de la Combe

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Composer

Charles LECOCQ

(1832 - 1918)

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Charles LECOCQ

/

CLAIRVILLE Victor KONING Paul SIRAUDIN

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