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Théâtres. Le Roi d'Ys

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THÉÂTRES
Opéra-Comique : Le Roi d’Ys, opéra en trois actes et cinq tableaux, paroles de M. Edouard BIau, musique de M. Lalo.

Voilà, certes, une représentation qui se distingue à plus d’un titre des exhibitions ordinaires, donne lieu à des remarques, à des considérations, à des commentaires de toute nature de la part de la critique et des amis sincères des choses de l’art. D’abord et avant tout, nous voici en face d’un succès, d’un succès des plus légitimes et des plus touchants ; mais, chose particulière, car un succès n’aurait rien que d’assez commun, nous avons la joie d’en constater assez fréquemment, malgré notre décadence ; le compositeur que l’on vient d’acclamer, M. Lalo, approche de la soixantaine ; son œuvre est écrite depuis dix ans : elle a été présentée et peu accueillie presque partout, et malgré la haute estime que les auteurs du refus professaient pour son rare talent. On trouvait, certes, qu’il savait son métier, mais ou ne lui reconnaissait pas le don du théâtre, de la musique dramatique, de la musique qui impressionne et qui remue la foule, que sais-je ? Et toujours, quand il proposait son Roi d’Ys, on lui demandait autre chose. M. Vaucorbeil lui fit écrire un ballet, Namouna, qui tomba ; ce n’était pas encore cela qu’il fallait à ce musicien difficile à classer, malgré son incontestable génie. Eh ! on ne le contestait pas ; mais le temps passait, il a passé, et le Roi d’Ys a attendu… forcément ; car nous ne nous porterons pas garant de la patience du compositeur. M. Lalo a dû, au contraire, avoir de rudes mouvements de colère et de rage en se sentant ainsi étouffé, et à la veille de voir se fermer à jamais pour lui toute carrière et tout avenir. Au milieu de ces combats et de ces luttes, il fut, pour comble de disgrâce, frappé de paralysie ; imaginez-vous rien de plus lamentable pour un artiste de valeur. Peu s’en fallut donc qu’il ne fût atteint par la mort avant d’avoir pu saluer le jour heureux qui vient enfin de le mettre en lumière et de le payer, un peu tard il est vrai, de ses peines et de ses déboires.

M. Paravey, le directeur de l’Opéra-Comique, qui a sa large part dans l’honneur de ce succès auquel son nom restera attaché, M. Paravey vient de jouer le Roi d’Ys, de mettre l’artiste et son œuvre à leur place, de donner au compositeur sexagénaire cette suprême consolation si souvent rêvée et si longtemps attendue. Le succès du Roi d’Ys a été éclatant et n’a soulevé aucune contestation, même parmi les grincheux, qui ne sont jamais contents de rien. Au moins, voilà qui est consolant. Les critiques cruelles et de mauvaise foi que tant de grands hommes rencontrent sur leur route, et avec lesquelles il faut bien vivre, comme on vit avec la pluie et la grêle, ces critiques agaçantes qui troublent la joie d’un succès, sont épargnées à M. Lalo, qui peut sans amertume jouir de son triomphe. Voilà qui est parfait, et ce n’est pas la moindre des singularités qui ont signalé cet événement musical.

Le Roi d’Ys a été inspiré à l’auteur du poème, M. Ed. Blau, par une légende, bretonne que tous les journaux racontent depuis quelques jours, à laquelle, il faut le dire, on ne songeait guère, et dont il n’a guère pris que le détail principal, la ruine de la ville d’Ys au Ve siècle, ruine causée par une méchante princesse débauchée, qui, pour échapper à la justice de son père, força l’écluse qui protégeait la cité contre l’inondation de la mer. Le roi dut fuir devant l’invasion des flots, mais essaya de sauver sa fille ; une voix se fit entendre alors qui lui cria de se débarrasser du « démon » qu’il portait en croupe, et ce démon c’était là princesse, qui périt et dont la disparition arrêta le fléau.

Il s’est contenté de faire de la méchante princesse une amante jalouse et implacable, jalouse de sa jeune sœur, qui est aimée du prince Mylio, et poursuivant les deux amants de sa vengeance. C’est là le drame trouvé et très musicalement développé par l’habile librettiste. D’un côté, l’amour jeune et pur, frais et poétique de Mylio et de Rosenn, la sœur cadette ; de l’autre, la passion furieuse, farouche et implacable de Margared, la terrible princesse, forment un heureux et dramatique contraste ; enfin, la catastrophe, le fléau déchaîné, la mer engloutissant la ville, Margared se sacrifiant pour racheter son crime. Tout cela, entouré du fantastique de la légende, a admirablement servi et inspiré le musicien, et le succès a été brillamment partagé par les artistes en tête desquels nous devons citer Talazac et Mlle Deschamps ; après ces deux premiers interprètes, il serait injuste de ne pas mentionner la charmante et toute mignonne Mlle Simonnet, Cobalet, dont on applaudit toujours la belle voix, Fournets qui figure un saint Corentin de fière mine, et enfin de ne pas ajouter aux félicitations déjà adressées à M. Paravey pour son intelligente initiative tous nos compliments pour le soin qu’il a apporté à la mise en scène. Maintenant est-il permis, pourtant, après cette belle réussite, de se demander quel sera le sort futur de l’Opéra-Comique ? Nous voulons parler à la fois du théâtre… et du genre.

Le théâtre ? restera-t-il là où les circonstances malheureuses dont il est victime l’ont transporté ? est-il condamné à ne pas quitter la place du Châtelet, où nous ne le trouvons pas à sa place ? On se remue, on s’agite beaucoup à ce propos, et l’annonce d’un concours qui va être ouvert pour décider de ses destinées ne laisse pas que de réveiller les inquiétudes et de raviver les impatiences. Quant au « genre », on n’est pas moins incertain. Le Roi d’Ys n’est pas un opéra-comique, mais un grand opéra, et sa place eût été à l’Académie nationale. Nous ne voudrions pas voir la nouvelle direction se lancer dans cette voie où le genre « éminemment national » finirait par se perdre tout à fait, et ce n’est pas là ce qu’on veut. À ce compte, il n’y aurait plus qu’à licencier la troupe de « comédie » dont il a encore besoin pour le répertoire, à fermer au Conservatoire les cours de MM. Ponchard et Achard, laisser les « chanteurs » maîtres de la place.

DAMON.

Note : dans ce numéro (p. 312), L'Univers illustré propose une gravure représentant les personnages et les scènes des 3e et 5e tableaux.

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Composer

Édouard LALO

(1823 - 1892)

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Édouard LALO

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