Frédégonde de Guiraud et Saint-Saëns
Depuis bien longtemps attendue, et avec une curiosité sympathique, la dernière partition du regretté et grand musicien Guiraud, l’auteur de Madame Turlupin, de Kobold, de Piccolino, à qui la mort ne permit point de nous donner toute la mesure de son grand talent ni même de terminer cette œuvre qu’il préparait avec tant d’amour, vient, complétée, parachevée avec un soin pieux par M. Camille Saint-Saëns, d’être exécutée au Théâtre National de l’Opéra.
Lorsque Guiraud demanda à M. Louis Gallet de lui composer un poème sur l’histoire très dramatique et touchante des amours de la reine Brunhilda et du prince Mérowig, le célèbre librettiste se trouva fort embarrassé. Il venait précisément de terminer, d’après les Récits Mérovingiens d’Augustin Thierry, le scénario d’un drame lyrique qu’il avait soumis à M. Camille Saint-Saëns et que celui-ci avait agréé avec enthousiasme.
En 1889, M. Louis Gallet obtint de M. Saint-Saëns qu’il cédât à M. Guiraud, qu’il tenait en grande estime, ce poème qu’il désirait avec tant d’ardeur.
Le pauvre Guiraud n’eut le temps que de composer la musique des deux premiers tableaux et de commencer celle du troisième.
A la fin de 1891, en décembre, il écrivait à M. Gallet : « Demain jeudi je vous ferai entendre l’entrée et les paroles paternelles de Prétextat, et j’espère que vous ne trouverez pas ce bon évêque trop indigne de l’estime en laquelle le tient notre sainte Église ».
C’est par la mort foudroyante du Maître que fut interrompu son travail.
M. Gallet demanda à M. Saint-Saëns de terminer l’œuvre de son grand ami et M. Saint-Saëns répondit : « Guiraud s’est trop souvent dévoué pour moi pour que je ne saisisse pas l’occasion de lui rendre la pareille autant que je le puis. »
Frédégonde fut achevée en deux ans, au cours des innombrables voyages que M. Camille Saint-Saëns ne cesse de faire à travers le monde. Répétée depuis plusieurs mois, elle a fait sa première apparition samedi dernier dans une solennelle répétition générale transformée, dans un but charitable, en une soirée de gala au profit des blessés de Madagascar et des pauvres de Paris.
Le premier acte de Frédégonde se passe à Paris, dans l’ancien palais des Thermes de Julien. Brunhilda, entourée des leudes d’Austrasie, des seigneurs goths, des nobles romains qui l’ont choisie pour reine, écoute un délicieux madrigal dédié à sa radieuse beauté par le doux poète Fortunatus. C’est une des pages les plus exquises de la partition, une mélodie gracieuse et douce, soulignée par un accompagnement discret et savant qui a produit une profonde sensation.
Au moment où Fortunatus vient d’affirmer à la reine que Sigoald tient prisonniers à Tournai, ses deux cruels ennemis, Hilpérick et Frédégonde, après que Brunhilda nous a rappelé avec colère le meurtre de sa sœur assassinée par le roi de Neustrie soumis aux cruels caprices de l’impure Frédégonde, une rumeur se fait entendre...
Sigoald a trahi Brunhilda et les Neuslriens ont envahi Paris.
Hilpérick et Frédégonde, entourés de guerriers pénètrent dans le palais et le roi dicte à Brunhilda ses volontés formelles : il la dépouille du pouvoir royal et l’envoie à Rouen où elle achèvera sa vie dans un cloître... Il l’oblige aussi à remettre à Frédégonde le diadème qui orne ses cheveux, puis il ordonne à son propre fils Mérowig de conduire au couvent de Rouen la reine prisonnière.
Mais, au deuxième acte, dans les jardins du palais, nous voyons Mérowig, pris de pitié pour l’infortune et pris d’amour par la beauté de Brunhilda. Elle lui témoigne sa gratitude de la lenteur qu’il apporte à l’exécution des ordres de Hilpérick... quand, précisément, Landéric, leude de Neustrie, vient, de la part du roi, rappeler au prince qu’il doit sans délai emmener la prisonnière...
Il ne peut s’y résoudre et finit même par avouer à la reine l’amour qu’il éprouve pour elle. Cet amour, elle le partage. Et cela nous vaut un duo très passionné, d’allure vive et de puissante envolée qui a soulevé d’unanimes acclamations.
Brunhilda décide Mérowig à fuir son père et à se joindre, près de Rouen, aux leudes d’Austrasie qui sont restés fidèles à leur reine et qui vont combattre Hilpérick.
Le troisième acte nous transporte dans un village aux environs de Rouen où les soldats austrasiens et neustriens ont établi leur camp. Ces guerriers fraternisent sous les ordres de Mérowig qui va épouser Brunhilda.
Un divertissement fort original termine ces démonstrations et un chant quasi religieux d’un très beau caractère est dit par Fortunatus qui s’est fait moine et qui va chercher, dans un cloître, la réalisation de son « rêve enchanteur de parfait repos, de paix profonde ».
Puis l’évêque Prétextât, que Mérowig a fait mander, se présente et essaie de détourner le prince, dont il est le parrain, d’un projet de mariage d’autant plus condamnable qu’il est conçu contre la volonté royale et paternelle et contre les lois de l’Église, car Brunhilda est, par le mariage de sa défunte sœur, la proche parente de son futur époux.
Mérowig et Brunhilda insistent tant, les guerriers les soutiennent avec tant de chaleur que le bon évêque finit par consentir à consacrer une union si ardemment désirée : le chœur de voix d’enfants, dans l’église, accompagné par un carillon d’une étrange sonorité, est d’une originalité saisissante et a fait un énorme effet.
Pendant que les soldats de Mérowig fêtent le mariage de leur jeune chef, on voit au loin s’allumer les signaux des guerriers d’Hilperick.
Le finale de cet acte, avec ses « gardez-vous ! » anxieux, ses chants bachiques et ses cris de guerre gaulois « Amrah ! amrah ! » est d’un éclat formidable.
L’acte suivant, très court, est tout entier rempli par un duo entre Frédégonde et Hilpérick. C’est une scène très dramatique et très sensuelle de séduction, dans laquelle nous voyons le vieux roi, affolé par la radieuse beauté, les savantes coquetteries, les habiles insinuations de l’infâme créature, céder à ses odieux conseils et se décider à déshériter Mérowig au profit des fils de Frédégonde.
Pour cela, il faut arracher Mérowig à Saint-Martin, lieu d’asile sacré où il s’est réfugié après sa défaite, puis l’enfermer dans un cloître et le déclarer déchu de ses droits à la couronne de son père C’est par la ruse qu’Hilpérick parvient à satisfaire aux vœux de Frédégonde. Il demande à son fils de venir se soumettre à lui, promettant de pardonner « si Dieu le veut ». Puis, quand Mérowig est sorti de son asile, Hilpérick consulte les évêques et les docteurs qui, menacés par Frédégonde, prononcent la sentence : Il sera tonsuré, enfermé dans un cloître et déchu du trône.
Prétextat maudit les mauvais prêtres, le roi parjure et la reine infâme... Mais Mérowig, plutôt que de vivre séparé de Brunhilda, se réfugie dans la mort. Il se frappe de son couteau de guerre et tombe dans les bras de sa bien-aimée, pendant que Frédégonde, triomphante, s’écrie : « Mes fils régneront !»
Très mouvementé, d’une mise en scène pittoresque et compliquée, ce dernier acte a très heureusement inspiré M. Saint-Saëns, et le succès en a été très chaleureux.
Il serait injuste de ne pas adresser aux interprètes de cette œuvre considérable les éloges qu’ils ont tous mérités : mademoiselle Lafargue a joué et chanté avec un grand sentiment artistique le rôle de Brunhilda qu’une indisposition subite a empêché mademoiselle Bréval de créer ; madame Héglon est une superbe Frédégonde ; la magnifique voix de M. Alvarez est admirablement utilisée dans le rôle de Mérowig : M. Renaud est parfait dans celui d’Hilpérick ; M. Vaguet est un délicieux Fortunatus, et M. Fournets a remporté, dans le rôle de Prétextat, un immense succès personnel.
FERNAND BOUREGEAT.
Related works
Frédégonde
Ernest GUIRAUD Camille SAINT-SAËNS
/Louis GALLET
Permalink
publication date : 12/07/23