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Le Dilettante d’Avignon d’Halévy

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Théâtre royal de l’Opéra-Comique.

Le Dilettante d’Avignon, opéra-comique en 1 acte, de feu Hoffman, terminé par M. L. Halévy, musique de M. F. Halévy.

On raconte que l’officier municipal d’une petite localité, dans les proclamations officielles qu’il adressait à ses administrés, énumérait toujours, sous la forme suivante, les divers projets qu’il avait conçus pour assurer le bonheur de sa commune : Le maire de Vitry à trois intentions ; la première, de faire danser les habitants dimanche prochain ; la seconde, etc., etc. L’affiche de l’Opéra-Comique sentait quelque chose des mandements municipaux du bailli moderne. L’épigramme du titre de la pièce nouvelle voulait dire : l’ex-théâtre Feydeau a plusieurs intentions : la première de se moquer des amateurs de la salle Favart ; la seconde de se moquer de la musique italienne ; quant à la troisième, celle qu’on ne proclame pas, mais qui est vraie, elle est comme la conséquence des deux autres : la musique française vaut bien au moins celle d’outre-monts, et les chanteurs italiens ne valent pas mieux que les nôtres. C’est là la manie, le dada de l’Opéra-Comique et de ses acteurs. Il ne faut pas s’en étonner ; on a toujours des prétentions en raison inverse de celles qu’on devrait avoir ; et pour consoler les rossignols de la rue Ventadour de l’application de cette maxime, dont ils seraient intéressés à nier la justesse, je leur dirai que le marquis de Cavois voulait absolument être poète, et que le grand Racine tenait avant tout à passer pour homme de cour. On aurait mis Voltaire en fureur si on avait cherché à lui prouver qu’il n’entendait rien en peinture et en musique, et Napoléon aurait mieux aimé qu’on contestât ses talents militaires que son goût en littérature ; il avait l’idée de refaite la Mort de César. Tout cela se conçoit à merveille. On se tait sur les qualités qu’on possède ; on se défend sur les défauts qu’on a. C’est le guerrier qui ne s’occupe plus d’une bonne position que l’ennemi ne saurait attaquer, et qui ne songe qu’à masquer les endroits vulnérables. On va voir, par l’analyse du Dilettante d’Avignon, ce qu’il y a de vrai dans ces observations.

Les amateurs et le directeur du théâtre de cette ville se sont épris de la musique italienne. Celui-ci surtout, M. Maisonneuve, qui ne sait pas un mot du dictionnaire d’Alberti, ni une note du solfège soit d’Italie, soit du Conservatoire, est possédé du démon musical italien. Il ne parle et ne rêve que d’Italie, suavité du langage, expression de la mélodie, tout lui semble adorable et céleste. Dans son délire pour une langue qu’il ignore, il se fait appeler Casanova ; il a débaptisé sa fille Louise et sa nièce Marianne qui désormais doivent se nommer Corinaldi et Marinetta. Le portier du théâtre est maintenant il signor Cordonetto. Il s’enquiert des mots harmonieux pour les comparer aux expressions équivalentes nationales. Aurore lui paraît insupportable, Aurora l’enchante. Rien ne lui paraît si plat que : ma femme ; mais il est fou de mia moglie. Il ne veut plus entendre parler de musique française et il a rompu tous les engagements qu’il avait contractés avec des artistes compatriotes pour faire venir à grands frais des voix ausoniennes. Tel est le représentant des dilettanti. C’est sous ce voile de sottise et de grotesque que l’on a cherché à faire apercevoir ceux dont les sens délicats recherchent, à la salle Favart, le charme exclusif de la musique. Est-ce de la part du théâtre de l’Opéra-Comique une vengeance du dédain que les habitués des Italiens lui témoignent ? Ou a-t-on cru, en essayant de combattre et de renverser le préjugé favorable aux Italiens, ramener au bercail de la musique française, les brebis égarées par les séductions ultramontaines ? Dans les deux cas, c’est au moins une maladresse. Il y a un vieux proverbe qui dit qu’on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre.

M. Dubreuil, jeune amateur ou artiste, qui a remporté le premier prix de composition musicale et qui consent à se faire comédien pour épouser Mlle Louise-Corinaldi, se présente au directeur sous le nom d’il signor Imbroglio, pour faire partie de la troupe italienne d’Avignon. Le régisseur du théâtre, qui est dans le complot, présente aussi au dilettante avignonnais, sous les titres de primo tenore, primo buffo et soprano, les signori Zuccherini, Ribomba et Poverino, artistes d’Italie qui arrivent de Châlons et d’Évreux. Casanova supplie Imbroglio de lui faire entendre un morceau italien, et celui-ci exécute avec Louise et Marianne, un duo à trois voix, c’est-à-dire qu’il chante alternativement en italien et en français : Mio tessoro à l’une, et mon amour à l’autre. Je ne comprends pas bien la portée de cette épigramme musicale et ne vois pas ce qu’elle offre de plaisant ; c’est peut-être ma faute.

On pense bien que dans le ridicule qu’on veut jeter sur la musique italienne et les moyens par lesquels elle procède, le finale n’a pas été oublié. M. Casanova demande donc à Imbroglio le modèle d’un de ces morceaux où chaque chanteur fait à son tour entendre le même motif sur des paroles d’un sens général. Notre amateur français risque alors une autre plaisanterie presque aussi fine et aussi mordante que celle du duo à trois voix. Il annonce qu’il a composé un final en français et sur deux vers bien célèbres. Ce sont ceux de Mallebranche :

Il fait en ce beau jour le plus beau temps du monde

Pour aller à cheval sur la terre et sur l’onde.

En effet, cette excellente satire, qui se termine en modulations sur l’air de Malborough s’en va-t-en guerre, est psalmodiée aussitôt par les fauvettes et les corbeaux d’Avignon et jette notre dilettante dans une véritable extase. Il ne croyait pas que la langue et la musique françaises pussent se prêter à des mélodies si heureuses. Cependant, comme il fait bien que les meilleures plaisanteries aient une fin, quand le sujet est épuisé, quand cette intrigue compliquée est suffisamment éclaircie, le dilettante avignonnais, le digne compatriote de M. Danières, s’aperçoit qu’il a été mystifié. Il déclare que la leçon est bonne et qu’elle lui profitera.

Cette série de traits spirituels contre le dilettantisme et la musique italienne a été reçue avec une espèce d’enthousiasme. Les habitués de l’Opéra-Comique forment une classe d’amateurs à part. Ils ont en horreur les partitions et les chanteurs de la salle Favart. Il faut entendre les moqueries agréables qu’ils font pleuvoir sur les ouvrages de Rossini, sur ceux qui les exécutent et sur ceux qui les applaudissent. Hors Feydeau, point de salut en musique. Tel est leur cri de guerre. Si on les en croyait ; il faudrait établir un cordon sanitaire de la rue de Grammont à la rue Richelieu et déclarer atteint de la peste tout ce qui sort du pâté des Italiens. Aussi, Dieu sait la joie avec laquelle ils ont accueilli les pointes de prose et de musique dirigées hier par le Dilettante d’Avignon. Ils ne doivent pourtant savoir gré que de la bonne intention. C’est à l’idée pus qu’au fait qu’ils ont applaudi. M. Théaulon s’était amusé aussi, il y a deux ans, à propos du Siège de Corinthe à l’Opéra, à livrer le dilettantisme et Rossini aux joies innocentes des habitués du Vaudeville, cousins germains de ceux de l’Opéra-Comique. Le caractère du nouveau dilettante est celui du mélomane de M. Champein, et Dubreuil vient sous le nom d’Imbroglio, comme Valère sous celui d’il signor Fugantini pour donner une leçon, redresser des préjugés et épouser une jeune personne. Il n’y a rien de neuf dans l’invention du Dilettante d’Avignon ; les traits du dialogue sont d’une innocence parfaite, et la musique, quoiqu’elle soit d’un bon style, manque absolument de verve et d’originalité. C’est là cependant qu’il aurait fallu porter tous les efforts de l’attaque, et j’attendais mieux du compositeur qui avait fait déjà entendre sur le Théâtre italien la partition remarquable de Clari, dont le mérite et le succès n’ont été compromis que par les caprices de la prima donna. Mais tous les motifs du Dilettante d’Avignonsont pâles et sans gaité ; les accompagnements sont tristes, et il y a enfin sur toute la musique une teinte de lugubre qui ne répond pas le moins du monde aux prétentions du sujet. J’en excepte pourtant le chœur qui sert de motif à l’ouverture.

Vive ! vive l’Italie !

Pour sa divine harmonie.

Il y a dans ce morceau un élan et une chaleur qui se sont communiqués à l’auditoire. On l’a fait répéter, et c’était justice. Il est assez gai, pour dire en passant, que dans cette épigramme musicale contre la mélodie italienne, ce soit pour célébrer sa divine harmonie que le compositeur ait seulement montré de la verve. On pourrait croire que M. Halévy n’a écrit le reste de la partition qu’à contrecœur. Il a retrouvé de l’inspiration quand il a chanté selon sa conscience. C’est là le fait du talent ; l’enthousiasme manifesté par les spectateurs est une sorte d’amende honorable, d’expiation des sottes intentions qu’ils avaient apportées jusque-là. Ils ont retourné l’épigramme contre eux-mêmes, et en rendant un hommage forcé au génie musical de l’Italie, ils se sont donné des soufflets que je me garderai bien de regretter. Ponchard, qui jouait le rôle de Dubreuil, a chanté froidement la froide musique qui lui avait été confiée. Mme Casimir, dans un air démesurément long, a trouvé le moyen de faire applaudir avec justice la voix charmante et timbrée qu’elle possède. Mlle Monsel, dont nous avons l’occasion de parler pour la première fois, est une grande et fort belle personne dont la voix est fraîche et étendue, mais dont la prononciation embarrassée, plus encore en parlant qu’en chantant, provient, je crois, de la petitesse démesurée de sa bouche, et nuira, je le crains, au succès de théâtre qu’elle aurait pu complètement obtenir. Elle s’est fait distinguer dans le duo à trois voix (je ne sais toujours pas ce que cela veut dire) qu’elle a chanté avec Mme Casimir et Ponchard. Les autres chanteurs, chargés de se moquer de leurs rivaux d’Italie sont MM. Fargueil, Boulard et Belnie. Je plains Graziani, Santini, et même Giovanola, d’être tombés sous la voix ou sous la main de si rudes champions. Grâce au chœur de la divine Italie, le succès du dilettanten’a pas été contesté, et les noms des auteurs morts et vivants ont été proclamés sans opposition.

Toutefois, et sans attacher à la prétendue malice d’hier soir plus d’importance qu’elle n’en mérite, que signifie cette levée de boucliers de l’Opéra-Comique et cette révolte peureuse, adoucie dans les termes, mais dont le fond est aigre ? Si le Théâtre italien a ses dilettanti, amateurs instruits, ou gens de monde et de salons dont l’enthousiasme n’est pas toujours bien fondé, l’Opéra-Comique n’a-t-il pas ses abonnés de toute la semaine, et ses badauds du dimanche, dont les oreilles ne sont guères stylées à la bonne musique que par les orgues de barbarie ou les orchestres de contredanses ? Excellentes personnes d’ailleurs, fort disposées à se pâmer devant des voix enrhumées qui leur font entendre des roulades croquées, des cadences qu’on ne se permettrait pas dans le moindre des pensionnats de petites filles soumises même à la méthode de M. Garaudé ? Les dilettanti sont des gens qui ne s’enivrent qu’avec du Tokay ; les abonnés se grisent facilement avec du Mâcon. Le balcon de la salle Favart a son M. le comte H…. et son M. le prince T…. ; le balcon de la rue Ventadour a ses Messieurs R….. Ne disputons pas sur les titres et qualités ; le fond des choses reste le même.

Mais quand l’ancien théâtre Feydeau jette des boulettes au Théâtre italien, il me semble voir un enfant qui bat sa nourrice. Comme l’université se dit toujours la fille aînée des rois de France, l’Opéra-Comique français devrait se parer sans cesse du titre d’enfant de l’Italie. N’est-ce pas à l’Italie, par le soin de Lully, que nous devons l’établissement des théâtres lyriques en France ? N’est-ce pas Piccini avec Gluck qui sont venus réformer la psalmodie de Rameau ? N’est-ce pas Sacchini qui, avec la Colonie et Œdipe à Colonne, est venu balayer les restes de celui-ci ? N’est-ce pas Spontini qui, avec la Vestale, est encore venu raviver la mélodie, et en finir avec les Porta, les Milcent, dignes continuateurs de la tragédie braillée ? N’est-ce pas enfin Rossini qui a donné un nouvel élan à la musique moderne ? L’Opéra-Comique n’a-t-il pas suivi tous ces mouvements, toutes ces révolutions lyriques ? Il tire directement son origine de l’apparition de la Serva padrona, et il déclame aujourd’hui contre sa bienfaitrice. Depuis sa création, il ne vit, musicalement parlant, que d’emprunts ou d’imitations de Mozart, de Cimarosa, de Paesiello, de Guglielmi. Duni, Della-Maria, Torchi, Spontini et Paer ont travaillé pour lui, et il veut gauchement se moquer de ses maîtres. Il devrait se souvenir pourtant que Grétry, qui a nationalisé l’Opéra-Comique, a été le prôneur de la musique italienne de son temps, et que loin de faire un dilettante d’Avignon, il a fait contre les abonnés de 1778 un jugement de Midas, que l’Impresario actuel du Théâtre italien ferait peut-être bien de traduire et de jouer aujourd’hui à son spectacle, avec quelques changements, et en réponse à la drôlerie d’hier soir. Nous verrions ensuite, même avec Grétry, de quel côté se trouveraient les rieurs. Je prie nos lecteurs de vouloir bien remarquer que je ne juge ni ne compare les compositeurs français. La question n’est pas là. Elle est toute italienne, et je n’en sortirai pas.

Les libretti italiens et leurs formules harmoniques sont aussi l’objet des malices de l’abonné de Feydeau. Ne dirait-on que tous nos poèmes d’opéra-comique sont autant de chefs-d’œuvre ! Les arrangeurs ultramontains ont leurs : mio tesoro, mio felicità ; mais sans compter nos éternelles invocations à la lune et à l’amour, nous avons nos :

Je t’aimerai toute ma vie

Oui, je t’en fais le doux serment.

Et les uns valent bien les autres. – Si nous voulions nous moquer, n’a-t-on pas dit sur le théâtre de l’Opéra-Comique ?

Et le nom du magnifique

Prononcé subitement

Par un sentiment unique

Me pénètre vivement.

Assurément ces vers-là sont plus bêtes en français que ceux-ci ne le sont en italien :

Sei pur tu che ancor rivedo ?

Tu mio bene ? ah ! si tu sei.

Io lo credo ai sensi miei

Tutti, tutti assorti in te.

Dira-t-on que Sedaine est trop vieux ? mais sans aller chercher la nature qui, comme on le sait trop bien maintenant, embellit toujours la beauté, ne puis-je citer du Nouveau Seigneur du village :

Mais en tout, même en amour,

C’est beaucoup d’avoir un jour.

Ou ceux-ci de la Fête du village voisin :

Il valait bien mieux, je pense

Imiter du baron la prudente indolence,

Cheminer comme lui toujours le petit trôt

Trot, trôt, trôt, trôt, trôt, trôt.

Le final italien, qui tient tant au cœur du Dilettante d’Avignon, qu’on a cru faire une excellente plaisanterie en se servant, pour le parodier, des deux vers de Mallebranche, ne doit pas paraître, dans ses paroles, plus ridicule que le final français depuis qu’on l’a importé à l’Opéra-Comique. Celui de l’Italiana in Algeri

Io sto presso a naufragar

Ei sta presso a naufragar

n'a pas un sens plus vague, et surtout n’est pas plus anti-harmonique que

Ah ! que mon cœur est agité

Ah ! que son cœur est agité

du final de l’Auberge de Bagnères. Laissons donc là ces formules spéciales de la langue musicale de chaque pays. Il y aurait un ridicule réciproque à les soutenir ou à s’en moquer. Ce n’est pas la première fois que la musique italienne a été attaquée en France sous le prétexte du goût que lui témoignent quelques amateurs trop exclusifs. Boieldieu s’en est amusé spirituellement et avec raison dans les Voitures versées, en parodiant ; au clair de la lune, et Méhul a fait mieux encore lorsque, jadis, il a donné l’Irato, sous le nom de Fioravanti, aux dilettanti du temps qui s’y sont d’abord trompés.

Laissons de côté ces témoignages d’une maladroite rivalité. L’Opéra-comique français ne doit point chercher de succès comme ceux du Théâtre italien ; il doit laisser cette tâche à l’Académie royale de musique. Quant à lui, mélange agréable parfois des divers goûts nationaux, qu’il songe aux comédies à ariettes et aux drames lyriques dans lesquels l’esprit du dialogue, la gaité de l’intrigue, ou le dramatique de l’action l’emporteront toujours sur les développements musicaux. Voilà son lot et sa fortune. Il ne peut courir à une autre destinée sous peine de ridicule et de mort. À l’exception de Lemonnier qui joue peut-être bien la comédie, et de Mmes Boulanger, Pradher et Prévost qui sont des comédiennes agréables, le reste des comédiens de Feydeau est à peu près nul. C’est en employant habilement ces ressources que ce théâtre peut prospérer, comme il l’a fait le mois dernier où ses recettes ont dépassé de beaucoup celles des autres spectacles. Sa gloire et sa fortune sont là. Mais ne contestons plus à l’Italie sa suprématie musicale. Elle produit du chant et des chanteurs, comme l’Espagne du Malaga et des mérinos qu’on ne doit pas espérer de trouver sur les territoires de Lunel ou du Berry. Sue ce soit donc chose convenue à tout jamais et répétons alors con coro, avec Fargueil et M. Halévy,

Vive ! vive l’Italie !

Pour ses chants et son génie !

Vive ! vive l’Italie !

Pour sa divine harmonie.

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(1799 - 1862)

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publication date : 15/09/23