Théâtre royal de l'Opéra-Comique. Reprise de Cendrillon
THÉÂTRE ROYAL DE L’OPÉRA-COMIQUE.
Reprise de Cendrillon, opéra-féerie en trois actes, paroles de M. Etienne, musique de Nicolo. […]
Si peau d’âne m’était conté,
J’y prendrais un plaisir extrême...
dit le bonhomme Lafontaine. — Peau d’âne ou Cendrillon, c’est tout un, mais, ce qui n’est point la même chose, c’est le conte de Perrault et le livret de M. Etienne : autant le premier attache et intéresse par la simplicité de sa morale, le merveilleux de ses inventions et la naïveté de son style, autant l’autre semble prétentieux et guindé par ses phrases boursoufflées, ampoulées et toutes redondantes, style si fort à la mode dans la littérature de l’empire. Ce ne sont que roses destinées à la plus belle et à la plus sage, que troubadours, volant de l’amour à la gloire (la gloire d’un tournoi !), que maximes dans le goût de Conservez bien votre bonté... et, autres conceptions de même force, le tout enlacé dans une intrigue assez peu compréhensible, mais de nature à exciter néanmoins l’intérêt du public. Quant à la partition, on dirait que le compositeur a subi quelque peu l’influence des paroles qu’il devait
Réchauffer des sons de sa musique.
Sa verve, ordinairement si vive, si spirituelle et si abondante, semble ici moins féconde. Et cependant, l’opéra de Cendrillon a obtenu une de ces réussites fabuleuses qui font époque dans les annales d’un théâtre. Représenté pour la première fois en 1810, il tint l’affiche pendant plus d’une année, presque sans interruption. « Cendrillon, dit M. Fétis, en parlant de Nicolo dans sa biographie des musiciens, Cendrillon, qui n’a jamais été considérée par les connaisseurs que comme une de ses productions les plus faibles, a eu un succès bien plus vif, bien plus décidé, succès qu’on pourrait appeler extravagant, et dont il n’y avait point eu, jusque là, d’exemple à l’Opéra-Comique. » Comment expliquer cet engouement, où trouver le secret d’une pareille vogue ?
Si nous ne nous trompons, c’est particulièrement à l’héroïne de la pièce qu’il faut l’attribuer : il y a dans la pauvre petite tant de charme, de modestie, de poésie et de résignation, que force a bien été aux auteurs de lui laisser son aimable physionomie, sauf à négliger les personnages accessoires. Mlle Alexandrine Saint-Aubin, qui créa le rôle de Cendrillon, y était, dit-on, d’une grâce ravissante ; nous persistons à croire qu’elle seule, fit le succès de l’opéra, même en dehors de son entourage, et, nous avons la conviction que M. Crosnier, si bon juge, si fin connaisseur, partage entièrement notre opinion à cet égard ; sans cela, il y a cent chefs-d’œuvre auxquels le spirituel directeur eût sans doute donné la préférence. Mais comment résister à l’expectative d’une moisson d’écus presque certaine ? En jetant les yeux sur le riche personnel féminin de son théâtre, M. Crosnier se sera dit : Mlle Darcier a la taille mignonne, l’air ingénu, la voix fraîche et le pied chinois tout aussi bien que Mlle Alexandrine Saint-Aubin : pourquoi n’obtiendrait-elle pas, dans Cendrillon, le succès de sa devancière ? Et, en effet, Mlle Darcier a joué, chanté et dansé de manière à renouveler, en 1845, les prodiges de 1810. — À MM. Paul, Solié, Lesage, Juliet, Mmes Duret et Regnault succèdent aujourd’hui Audran, Grard, Sainte-Foy, Grignon, Mmes Casimir et Révilly qui, tous, ont fait preuve de zèle et de talent, et formé un ensemble des plus complets. La mise en scène est pour le moins aussi splendide, enfin l’orchestre de Nicolo a été retouché par M. Ad. Adam ; vous voyez donc bien que, de toute nécessité, Cendrillon va recommencer le cours de ses triomphes, et qu’il est presque superflu de les lui souhaiter aussi prolongés qu’éclatans.
[…] EDMOND VIEL.
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publication date : 16/10/23