Académie impériale de musique. Herculanum
ACADÉMIE IMPÉRIALE DE MUSIQUE
Herculanum
Opéra en quatre actes, poème de MM. Méry et Hadot, musique de Félicien David
Sans se faire le prophète des destinées d'Herculanum, à l'Académie impériale de musique, ne doit-on pas tout d'abord des remerciements à M. Alphonse Royer, pour avoir tenté cette grande épreuve. – Un théâtre comme celui de l'Opéra, avec ses immenses moyens d'action, se doit en effet aux musiciens de la valeur d'un Félicien David, d'un Charles Gounod, d'un Hector Berlioz. Il se doit, – à un moment donné, – de mettre de pareils talents au grand jour, de tenir h leur disposition toute sa grande armée d'instrumentistes et de chanteurs, ses meilleurs interprètes, toutes les splendeurs de sa mise en scène. Si l'œuvre réussit, tout le monde bat des mains ; si elle échoue, il reste à l'administration l'honneur d'avoir fait son devoir, non pas à moitié, mais tout à fait. Bref, on a compris enfin qu'il y avait obligation pour notre première scène lyrique de compter avec des musiciens sérieux, élevés, profondément convaincus, si bien que la chute même d'Herculanum serait encore un titre honorable dans les états de service de M. Alphonse Royer. Heureusement il n'en sera rien, tout du moins le présage, si on en juge par les impressions de la première soirée. Ces impressions, les voici, en attendant l'analyse plus complète du poème de Méry, de la partition de Félicien David.
*
Chacun sait que l'action se passe en 79, sous le règne de Titus, un an après la prise de Jérusalem. La Judée conquise, Rome songea bientôt à secourir ses dieux menacés par le christianisme naissant. Selon les traditions de l'Orient, une reine, dévouée à la religion de l'Olympe, vint recevoir l'investiture et la pourpre à Naples ; elle devait ensuite repartir pour l'Euphrate, avec la mission d'arrêter les progrès du christianisme. C'est l'Olympia de cet ouvrage légendaire.
Son frère Nicanor, prince d'Orient, transfuge rallié aux Romains, avait trouvé le prix de sa défection dans le proconsulat de la grande Grèce. Il secondait toutes les vengeances exercées par Olympia contre les novateurs. Si un néophyte chrétien de haute naissance tombait des mains d'un délateur aux mains du proconsul ou d'un préfet du prétoire, on employait tous les moyens possibles pour le ramener à la religion payenne, c'est-à-dire à la religion des plaisirs sensuels.
Or, c'est à ces persécutions et à ces impiétés payennes que les légendes chrétiennes attribuent l'éruption du Vésuve et les destructions d'Herculanum, de Pompéi et de Stabia.
C'est sur ces légendes, c'est sur ces faits historiques que les auteurs ont bâti leur libretto.
Des vers, comme en sait écrire Méry, sont venus inspirer le musicien et l'élever à la hauteur de la situation, car s'il fallait un musicien pour écrire le libretto d'un pareil poème, on peut dire, avec bien plus de raison, qu'il fallait un poète pour le traduire en musique. C'est, du reste, le propre du talent de Félicien David : les cordes de sa lyre appellent une pensée élevée, poétique, descriptive ; elles imagent la situation, le sentiment, jusqu'à la mise en scène, — à ce point que sa musique s'entendrait volontiers les yeux fermés ; c'est ainsi qu'on assistait naguères aux célèbres auditions de son Désert et de son Christophe Colomb.
Il en sera de même pour Herculanum : on sacrifiera une partie de la première audition aux splendeurs de la scène, qui céderont ensuite exclusivement le pas à la musique. On voudra réentendre dans le plus complet recueillement tous ces beaux vers que Roger chante avec tant de charme, de pureté et d'élévation ; toutes ces mélodies que fait si bien parler la voix de Mme Lauters-Gueymard ; toutes ces belles phrases chorales à la magistrale allure, tombant du ciel ou sortant des profondeurs de la terre. On voudra suivre pas à pas tout ce panorama d'orchestration qui va droit à l'esprit, en même temps qu'il captive l'oreille et le cœur. Voilà du moins nos impressions de la première soirée, et celles de nos voisins.
Et qu'on ne croie pas à l'absence d'éléments dramatiques et scéniques dans la nouvelle œuvre de Félicien David. Si la Perle du Brésil n'avait fait justice de cette injuste prévention, Herculanum s'en chargerait plus victorieusement encore. Il y a là surtout un certain duo par Roger et Mme Gueymard-Lauters qui a électrisé toute la salle. On peut dire que le quatrième acte des Huguenots et celui de la Favorite, ont un digne pendant dans la grande scène finale d’Herculanum.
Et tout le second acte entre Obin et Mme Lauters, – le Bertram et l'Alice d'Herculanum, – sans oublier la scène de l'apparition ou Hélios (Roger) redit aux pieds d'Olympia (Mme Borghi-Marao) sa ravissante mélodie de l'extase du premier acte :
En te voyant ainsi par un mortel aimée
Les anges du Ciel sont jaloux.
Et dans ce même premier acte, l'air de Mme Borghi-Mamo :
Tout est soumis à ma puissance.
et le brindisi qui suit, et qu'on a redemandé :
Bois ce vin ! que l'amour donne
En automne.
Mais n'anticipons pas sur l'analyse de la partition, analyse que nous remettons à dimanche prochain, et constatons seulement dès aujourd'hui que Félicien David compte un grand et légitime succès de plus, que ce succès a été partagé par ses quatre principaux interprètes : Roger, Obin, Mmes Lauters-Gueymard, Borghi-Mamo, et aussi par Mlle Emma Livry, qui a fait les honneurs du ballet de la façon la plus séduisante. Quel tableau pittoresque que cette Fête à Bacchus, avec une musique comme on en voit peu pour ce genre de divertissement. Ajouterai-je qu'on a rappelé tout le monde et beaucoup abusé du bis. C'est d'usage, n'en parlons pas.
Mais ce qu'il faut dire, parce que cela est, c'est que l'administration a monté Herculanum avec un éclat digne de l'Opéra ; que l'orchestre et les chœurs, même ceux de femmes, ont parfaitement marché ; que Marié a trouvé le moyen de se faire remarquer dans le personnage effacé du prophète ; que Mme Borghi-Mamo s'est fait applaudir et bisser tout comme au Théâtre-Italien ; que M. Obin a très-habilement compris et réalisé son rôle de nouveau Bertram ; qu'enfin Roger et Mme Lauters-Gueymard nous paraissent irremplaçables dans leurs rôles, parce qu'ils en sont l'essence poétique, et que là le chanteur, – si habile qu'il fût d'ailleurs, – faillirait à la tâche, s'il n'était en même temps l'acteur convaincu et communicatif de l'esprit du poème.
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Nous ne terminerons pas cette rapide esquisse de nos impressions, sans nous arrêter un instant sur la bizarrerie des destinées théâtrales. Herculanum, mis en répétition au Théâtre-Lyrique, sous l'administration de M. Émile Perrin, voit définitivement le jour au Grand-Opéra, tandis que Faust de Charles Gounod, écrit pour notre première scène, va chercher sa Marguerite au boulevard du Temple. Et chose curieuse, pendant le temps qu'exige un pareil pèlerinage, Mme Lauters, qui avait répété Lilia, la jeune chrétienne, au Théâtre-Lyrique, se trouve à point nommé pensionnaire de l'Opéra pour y reprendre son rôle. Ce dernier souvenir en renouvelle un autre qui fait le plus grand honneur à la musique de Félicien David, mais un peu moins à sa patience de répétiteur. Peut-être, sous ce rapport, s'est-il modifié rue Lepelletier ; mais au Théâtre-Lyrique, c'était avec une véritable appréhension que les artistes se rendaient aux répétitions. Félicien David n'aime pas les chanteurs proprement dits, il leur préfère des musiciens. Ce qu'il veut, avant tout, c'est la note écrite, que le chanteur oublie souvent pour un effet de voix. De plus, il est vétilleux en diable, presque autant que notre célèbre maestro Meyerbeer, avec cette différence qu'il y mettait, – du moins à cette époque, – beaucoup moins de formes. Aussi nous rappelons-nous avoir entendu Mme Lauters s'écrier : « Grand Dieu, renvoyez M. Félicien David en Orient, mais laissez-nous sa musique ! »
C'était tout un hommage rendu au musicien, hommage anticipé qui vient de recevoir une éclatante consécration.
J.-L. Heugel.
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/Joseph MÉRY Terence HADOT
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publication date : 15/10/23