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La partition du Tribut de Zamora

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LA PARTITION DU TRIBUT DE ZAMORA

« Celle nouvelle partition de Gounod, disait l’autre soir un habitué de l’Opéra, est la réhabilitation de celle de Polyeucte. » Nous avons retenu cette appréciation aussi sommaire que typique, car elle nous paraît devoir faire grand honneur à l’auteur de Faust dont le premier chef-d’œuvre fut si mal compris, dans l’origine, par le public parisien.

Et constatons que la réhabilitation de Polyeucte par le Tribut de Zamora n’est pas une opinion isolée : il aura donc fallu à bien des dilettantes la représentation d’un nouvel ouvrage de Gounod pour leur faire découvrir les réelles beautés de sa précédente œuvre.

Tardive justice, messieurs ; il ne fallait point laisser Polyeucte disparaître du répertoire.

Combien de reproches du même genre doivent parfois troubler la quiétude des abonnés de l’Opéra !

En France, nous jugeons trop facilement les œuvres musicales, sans prendre le temps de contrôler nos premières impressions.

Les leçons du passé ne sont rien dans le présent et ne nous serviront pas davantage dans l’avenir.

Ce n’est pas que je prétende classer d’emblée parmi les chefs-d’œuvre reconnus la partition du Tribut de Zamora. Un trop grand éloge prématuré serait tout aussi suspect qu’une critique hâtive et peu mesurée.

Ce que l’on peut affirmer dès aujourd’hui, c’est que tout le rôle de la folle Hermosa est écrit de main de maître. Il y a là non seulement de l’inspiration, mais aussi un style, une langue musicale, qui affirment le grand musicien. On dira : mais le principal effet de ce rôle repose pourtant sur un chant martial assez vulgaire. C’est vrai, mais avec quel art ce chant module et s’éteint de la note vibrante, éclatante, dans la note douloureuse, sombrée, et par quel adorable artifice harmonique le maître a su arriver à ce contraste, sur ce vers si émouvant dans la voix de Mme Krauss :

Il meurt, il meurt, mais en chantant toujours ! . . . .

Un simple demi-ton sépare les deux tonalités, mais cette simple trouvaille est un éclair de génie !

Et toute la scène qui précède ce chant martial, n’appartient-elle pas au domaine de la grande musique ? N’est-ce pas là du récit de haute déclamation sous une orchestration des plus intéressantes ? Si la strette en duo de cette scène capitale reste plus italienne que française, en produit-elle moins d’effet ? Les spectateurs de l’Opéra ne s’en plaignent pas, les chanteurs non plus, et il faut bien compter avec eux.

N’est-ce point d’ailleurs le moyen de faire accepter des pages d’un style plus élevé et que le temps seul consacrera ? Toute la première partie de l’air d’entrée d’Hermosa au second acte :

Assez, je ne veux pas qu’on chante…..

n’est-elle pas taillée par le musicien dans l’étoffe même du drame ! Et comme tout à coup il sait trouver la note du cœur sur ce vers touchant :

Pitié ! car je ne suis qu’une pauvre hirondelle !

Plus tard, il est vrai, cet air côtoie de bien près celui d’Agathe dans l’immortel Freischütz. C’était là un voisinage dangereux qu’il eût été facile d’éviter.

Je préfère voir Gounod s’inspirer de lui-même : Des ressouvenirs de Faustet de Mireille ont plus d’une fois illuminé la partition du Tribut de Zamura, et personne n’a songé à s’en plaindre. Il était là chez lui, comme en famille.

Une admirable page de sa partition, le larghetto de « la vente des esclaves », doit son premier dessin mélodique à l’adagio du ballet de Faust, et cette rencontre, je veux dire cette transfiguration, est des plus heureuses. Une fois l’idée saisie au vol par les instruments, elle passe, lumineuse, à travers les voix. Quel malheur que le finale de ce dernier acte ne puisse conclure plus brièvement sur ce superbe larghetto. Fallait-il absolument revenir à la scène de « la vente des esclaves », qui, tout bien traitée qu’elle soit, est de facture d’opéra-comique et rappelle fatalement la belle scène de « la vente du domaine d’Avenel » dans la Dame Blanche.

Ce qui nous paraît encore rentrer dans le domaine de l’opéra comique, c’est le cortège des Palanquins au 2e acte avec sa maigre fanfare sur la scène. Combien nous lui préférons la petite marche mauresque des Captives. Voilà qui est trouvé, et du meilleur style.

Tout en reconnaissant que Ben-Saïd chante à plusieurs reprises, admirablement du reste, la même romance ou peu s’en faut dans les trois actes du Tribut de Zamora, saurait-on méconnaître le charme de la mélodie et l’intérêt de l’accompagnement de l’andantino du 4e acte.

Je veux te désarmer
À force de t’aimer.

Une autre romance, une vraie perle enchâssée dans le trio de ce même 4e acte, c’est celle où Hermosa dit à sa fille :

Tu trouves donc que c’est pour moi beaucoup
D’une journée
Si fortunée,
Avec tes bras attachés à mon cou ?

Comme on se prend aussi à aimer la strette agitato de ce trio, toute d’essence italienne qu’elle soit. Mais il y a là sous les voix une curieuse instrumentation que l’auteur du Tribut de Zamora ne peut désavouer. C’est du Gounod des meilleurs jours. Comme il lui aurait été facile de relever aussi par un beau contrepoint le motif assez vulgaire de ce qu’on est convenu d’appeler la Marseillaise du Tribut de Zamora et qui fait son entrée en mi majeur dès le premier acte. Cette Marseillaise ainsi relevée et complétée eût pu couronner le premier acte avec éclat.

Que signaler encore ?

La charmante aubade du premier acte, la Kasidah, chantée par Hadjar, où l’opposition entre la chanson des batailles et le Sirvente d’amour, est marquée d’une manière si pittoresque ; le chœur des cloches, auquel les notes obstinées de l’airain, doublé par les cors, font un accompagnement si réaliste, enfin la scène entre Xaïma et Hermosa, de laquelle se détache une phrase bien sentie :

Es-tu donc une fée ?

Ce sont là des pages de demi-caractère dont le cadre serait plutôt celui de l’opéra comique, j’en conviens, mais dont l’effet est incontestable sur la vaste scène de l’Opéra qui se prête volontiers aux friandises vocales et instrumentales, il faut bien le reconnaître.

Pour ceux qui préfèrent les grandes pages, citons encore le trio sonore et vigoureux des hommes et la scène du duel si bien traduite par le musicien, en dépit du modèle désespérant dont Mozart a fourni le dessin dans son Don Juan ; enfin les récits pleins d’ampleur et de fougue, qui se trouvent disséminés un peu partout dans le rôle de Ben-Saïd et dont nous trouvons un modèle achevé au début du finale du premier acte, dans la phrase si grande et si noble accompagnée par les instruments à cordes :

Je suis l’envoyé du Calife.

Bref, comme on le voit, il y en a pour tous les goûts et tous les appétits dans la partition du Tribut de Zamora. Ce sera sa force, pensait-on aux répétitions, et c’est peut-être sa faiblesse que cette variété et cette abondance de morceaux. On sent là des concessions regrettables faites aux chanteurs. Le rôle de la grande Hermosa elle-même a été trop enrichi. Il gagnerait à être plus concentré. Si l’on pouvait promener un ciseau indépendant à travers la partition du Tribut de Zamora, comme on en doublerait la valeur, déjà si appréciable à nos yeux.

Il en est, du reste, ainsi de la plupart de nos partitions modernes : elles manquent d’unité et de concision, parce qu’elles sont écrites en vue de satisfaire toutes les exigences ; et, par suite, elles n’en satisfont souvent aucune.

Je me garde de conclure ainsi à l’égard du Tribut de Zamora, dont la troisième représentation m’a paru, au contraire, vivement intéresser le grand public de l’Opéra, surtout aux deuxième et troisième actes. L’auteur a été de nouveau acclamé à la tête de l’orchestre ; mais M. Altès s’est trouvé appelé, dès vendredi, à reprendre l’archet de commandement. Est-ce un bien ? Je le crois. La grande personnalité de Gounod préoccupait évidemment le public au détriment de la scène ; elle le détournait de l’œuvre même ; puis les artistes du chant et de l’orchestre paraissaient aussi s’inquiéter des propres préoccupations de l’auteur. En somme, cet idéal du compositeur se faisant le chef d’orchestre de ses œuvres, pourrait bien être comme tant d’autres beaux rêves : le mieux ennemi du bien.

H. MORENO.

P. S. — L’indisposition de Mlle Daram s’étant prolongée, c’est Mlle Dufrane qui lui a succédé à l’improviste dans le rôle de Xaïma plus approprié à sa belle vois de Falcon. Mais indisposée à son tour, Mlle Dufrane a failli ne pouvoir chanter à la troisième représentation. On s’est donc trouvé à la veille d’interrompre forcément, dès le début, les représentations du Tribut de Zamora, faute d’une Xaïma en bonne santé — bien qu’il y en eût deux toutes prêtes.

Mais voici venir la semaine sainte et les jours de repos dont l’Opéra a si grand besoin et que va bénir notre admirable Hermosa. Puis viendront les fêtes de Pâques pour la reprise du Tribut de Zamora. Dès la troisième représentation, la recette atteignait 20,000 francs ; c’est là un chiffre d’une éloquence incontestable.

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Composer

Charles GOUNOD

(1818 - 1893)

Journalist, Editor

Henri HEUGEL

(1844 - 1916)

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publication date : 15/10/23