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Semaine théâtrale. À propos de cantates

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SEMAINE THÉÂTRALE
À PROPOS DE CANTATES.

Donc, voici nos jeunes concurrents au prix de Rome enfermés sous clef dans leur geôle et laissés seuls en tête à tête avec leur inspiration, qui s’accommoderait sans doute mieux d’un peu de liberté. La folle aime parfois à courir la campagne et à se retremper dans la poésie de la nature. Elle n’a pas trop de goût pour la contrainte, et ne se livre qu’à ses heures. De ce travail forcé de vingt-cinq jours, il ne faut donc pas attendre quelque œuvre d’imagination bien fraîche, mais seulement un bon devoir scholastique, morose comme la prison d’où il est sorti et sentant encore le renfermé. La nature du concours le veut ainsi. 

Cette année, l’affaire se complique du sujet choisi : L’Enfant prodigue. Personnages : L’enfant (ténor obligé), son père et sa mère… rien du veau gras dont on aurait pu faire à la rigueur une basse profonde. Richard Wagner l’a dit excellemment quelque part, au milieu du pathos insupportable qui encombre ses écrits et dont nous avons donné déjà des échantillons à nos lecteurs : « Je ne puis concevoir l’esprit de la musique résidant ailleurs qu’en l’Amour. » Pensée très juste, l’amour est l’âme même de la musique ; et c’est pour cela que dans la cantate l’Enfant prodigue, pour la colorer et lui donner le charme, nous aurions désiré qu’on introduisit l’obligatoire et éternel féminin : la femme séductrice qui amène la chute, puis la rédemption. Le père et la mère ne pourront parler en la circonstance que le même langage, celui d’une pieuse morale, dont la musique ne suffira pas à enlever la monotonie. Il manquera à la lyre des jeunes compositeurs la principale de ses cordes, la chanterelle céleste, celle du cœur, des amours et des roses. 

Pourquoi continue-t-on à appeler cantates ces sortes de compositions ? Sans doute cela était logique à l’origine des concours de Rome, alors que les scènes livrées aux candidats ne comportaient qu’un seul personnage. 

En effet le Dictionnaire de l’Académie nous apprend que la cantate est « un petit poème fait pour être mis en musique, composé de récits et d’airs chantants » ; on voit que cela ne va pas même jusqu’au duo. Ainsi se passèrent les choses depuis le commencement du siècle jusqu’en 1837, sauf de bien rares exceptions. Les cantates de 1834, 1835, 1836 sont encore à une seule voix quoiqu’on eût tenté un essai à deux voix en 1832 et 1833 ; c’est même à la première de ces deux dates que M. Ambroise Thomas remporta le premier prix avec la cantate Hermann et Ketty

Les fournisseurs attitrés de ces pièces lyriques étaient alors Vieillard et le marquis de Pastoret. 

L’Académie s’est bien aperçu par la suite que le mot cantate exigeait à présent une définition plus large, et on peut lire dans son Dictionnaire des Beaux-Arts, qui s’arrête précisément à la lettre C : « Il faut encore mentionner les cantates dramatiques, à plusieurs personnages, mais où le chœur n’intervient point. Les pièces de vers que les jeunes artistes ont à mettre en musique pour concourir au prix de Rome rentrent dans cette catégorie. » 

La bibliothèque du Conservatoire est parvenue à réunir un assez grand nombre de ces productions ; la plus ancienne est une cantate d’Alcyone, musique d’Androt (1803) ; ce jeune compositeur mourut l’année suivante à Rome. Et voyez comme ces cantates à une voix devaient mettre quelquefois l’imagination des poètes à la torture ; en 1810, nous trouvons une Héro, une Héro toute seule, sans Léandre ; elle voit de loin son amant faire le plongeon classique, chante un air à la lune et finit par se jeter elle-même à la mer, comme Sapho. 

En 1812, Herold remporte le prix avec une cantate appelée la Duchesse de La Vallière

Il arrive souvent des surprises singulières dans ces concours ; ainsi, en 1817, avec les derniers moments du Tasse, Batton battit Halévy, qui n’obtint que le deuxième second grand prix. L’année suivante, en 1818, avec la Mort d’Adonis, même résultat : Batton a le 1er prix, Halévy n’a que le second et n’enlève le premier que l’année suivante, avec Herminie. Et cependant, qui connaît maintenant les compositions de Batton ? Ce sujet d’Herminie devait avoir bien de l’attrait : déjà, en 1813, Panseron avait remporté le prix de Rome avec une Herminie écrite par Vieillard. En 1828, Berlioz conquiert un second prix ; toujours avec Herminie, celle du même Vieillard, sans doute on était à cours de poètes et de poésies en l’an 1828 ! 

L’année suivante, 1829, avec une Cléopâtre, Eugène Prévost remporte un second prix, et Berlioz manque le premier ; on n’en décerna point. Ce n’est que plus tard, en 1830, avec Sardanapale, que Berlioz eut enfin son premier prix. 

En 1837, Charles Gounod est battu par Besozzi ; la cantate était intitulée Marie Stuart et David Rizzio. Déjà on avait traité Marie Stuart en 1808, mais sans le moindre Rizzio. Charles Gounod n’obtint son premier prix qu’en 1839, avec Fernand, paroles du marquis de Pastoret. Adolphe Adam n’a jamais été au-delà du deuxième prix, qu’il eut en 1825 avec une cantate intitulée Ariane. [...]

Paul-Émile Chevalier

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Paul-Émile CHEVALIER

(1861 - 1931)

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