Audition des envois de Rome au Conservatoire
Audition des envois de Rome au Conservatoire. — Quoi qu’on en dise, il semble bien que les idées raisonnables recommencent à avoir cours, et qu’on commence à se lasser des farceurs qui, sous leurs excentricités voulues, cachent tout simplement le vide de leur imagination et l’absence complète de toute espèce de talent. Voyez plutôt ! Voici un vrai jeune, M. Henri Rabaud, grand prix de Rome de 1894. Il est de retour à Paris depuis deux ans à peine, il a eu juste le temps de faire exécuter aux Concerts Colonne sa Procession nocturne et sa seconde symphonie, mais cela a suffi pour le classer et l’entourer de vivantes sympathies. Sa musique contenait de la musique, elle était claire, accessible, rythmée, tonale, avec cela mélodique : on la comprenait, c’était nouveau ; on s’y plaisait, c’était rare. Aussitôt la renommée du jeune compositeur s’établit, et cela à tel point que jeudi dernier, sur la seule annonce que la séance était consacrée à M. Rabaud, la salle du Conservatoire était pleine, alors que depuis quelques années cette audition des envois de Rome n’attirait en ce lieu qu’un public clairsemé, presque effrayé d’avance de ce qu’il allait entendre, et venant là par nécessité et par devoir bien plutôt que par plaisir et par amour de l’art. Eh bien, l’attente de ces nombreux assistants n’a pas été trompée, et la séance a été fort intéressante. Le programme comprenait un Divertissement sur des chansons russes et un oratorio en quatre parties, Job, écrit sur un poème de MM. Charles Raffalli et Henri de Gorsse. Le Divertissement est une sorte de rapsodie symphonique, très élégante, très aimable, où les thèmes sont traités avec grâce, avec adresse, au moyen d’un orchestre qui se joue d’eux avec dextérité, les reprenant tantôt de-ci, tantôt de-là, les faisant entendre sous toutes les formes, jusqu’à ce qu’une péroraison brillante vienne clore ce jeu d’instruments avant que l’oreille en ait pu être lassée. C’est une page orchestrale très intéressante, très ingénieuse, et que nous aurons très certainement l’occasion d’entendre plus d’une fois dans l’avenir. L’oratorio de Job est une œuvre plus importante, plus sérieuse, et qui amène aussitôt une remarque : c’est le sentiment de la mesure et des proportions dont M. Rabaud semble doué, et qui manque généralement d’une façon si complète à nos jeunes musiciens. M. Rabaud dit ce qu’il a à dire, mais d’une façon brève, rapide, sans développements ni complications inutiles ; il frappe droit et juste, et par cela même il frappe fort. On est avant tout surpris de cette sobriété, à laquelle nos oreilles depuis longtemps ne sont plus accoutumées. La durée des quatre parties de l’oratorio de Job ne dépasse guère une heure, et l’effet de l’œuvre n’en est que plus vigoureux et plus décisif. Si M. Rabaud fait du théâtre et s’il y apporte cette qualité maîtresse (c’était celle d’Herold), il pourra opérer dans nos coutumes une sorte d’heureuse révolution. Ceci dit, je louerai la couleur charmante de la première partie, son sentiment à la fois pastoral et pittoresque, rendu à l’aide des voix de la façon la plus heureuse ; dans la seconde, où Dieu permet à Satan d’éprouver la patience et la vertu de Job, son grand caractère et les moyens employés par le compositeur pour obtenir l’effet voulu, en se servant, sur un rythme obstiné, d’un crescendo choral aboutissant à un ff, pour décroître ensuite et s’éteindre dans un pp. La troisième partie, qui décrit les malheurs de Job, les orages qui fondent sur lui, est vigoureuse et forte, et la quatrième, au contraire, nous ramène au calme, à la joie et au bonheur. Il est difficile d’analyser en peu de lignes une œuvre si substantielle et si intéressante, mais je ne puis me dispenser de constater l’excellente impression qu’elle a produite et les vigoureux applaudissements qui l’ont accueillie. Les soli en ont été fort bien chantés par MM. Cazeneuve et Daraux, et l’exécution, dirigée par M. Taffanel, a été excellente de la part des chœurs et de l’orchestre.
A.P.
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publication date : 16/10/23