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Roma de Massenet

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MUSIQUE

Théâtre National de l’Opéra : Roma, par Massenet. – Concert de danses de Mlle Trouhanowa.

[…]

S’il est un fauteuil où je n’ambitionnerai jamais de reposer mon séant – avouons, d’ailleurs, qu’on ne me l’a jamais offert – c’est bien celui qui orne le cabinet directorial de l’Opéra. Ceux qui occupent ce siège inconfortable doivent, par définition, faire abstraction de leurs goûts personnels, renoncer à exercer leur sens critique, abandonner tout idéal comme toute espérance, prendre résolument des mesures dont ils n’ignorent ni l’inutilité, ni l’impopularité, préparer avec soin d’inéluctables fours et avaler chaque matin autant de couleuvres qu’en peut détruire une mangouste adulte. Il faut, pour se livrer joyeusement à ce sport, une vocation et un entraînement.

Que faire, en effet, lorsqu’un Saint-Saëns – qui épuise en navrantes lapalissades dans les quotidiens les ultimes ressources d’une voix qui tombe et d’une ardeur qui ne s’éteint pas – vous apporte chaque année son « irrévocablement dernière » partition, déjà brûlée par la création que vient d’en faire Gunsbourg ? Quelle conduite tenir lorsque, souriant et bénisseur, Massenet vient vous rendre visite et laisse, en se retirant, bien en vue sur votre piano, son testament musical qui s’appelle aujourd’hui Roma et qui prendra un autre nom la saison prochaine ?... Bon gré, mal gré, il faut se répandre en remerciements, reconduire l’illustre Maître jusqu’à son taxi, s’incliner la main sur le cœur, et mettre en répétition cette œuvre, où M. Henri Ghéon ne reconnaîtra certes pas « la grande Tragédie vocale tant souhaitée » qu’il attend d’Albéric Magnard, ou d’un autre.

Navrant, ce dernier avatar ! Par quelle aberration le doux « romancier » a-t-il voulu forcer son talent pour se travestir en Tacite ou en Tite-Live, à une période de l’année où les déguisements ne sont pas autorisés ? Quelle mouche la piquait de s’attaquer à ce scénario, tiré de la Tragédie de Parodi, encombré de sénateurs romains, de soldats, de prêtres et de matrones ? Que pouvait-il tirer de cette matière infertile et petite, pour son talent du moins : le triomphe du patriotisme sur l’amour dans un cœur de vestale ? Que faire, musicalement, de cette séance de la Haute-Cour où les caïmans en toges condamnent une religieuse coupable de s’être laissé enlever par un sous-officier ? Comment traiter la scène, d’un héroïsme si conventionnel, où l’aïeule aveugle, Posthumia, poignarde sa fille, ce qui déchaîne un formidable chahut de grosse caisse, cymbales, timbales et tamtam ? Hélas ! Où est mon clair de lune et où est ma petite table ? Dans quel fâcheux concours de discours latin me suis-je fourvoyé !

La souplesse d’un métier éprouvé, le sens des habitudes théâtrales, une culture musicale développée ne suffisent pas à créer un style. En vain M. Massenet a banni de cette Roma les séductions qui assurèrent la fortune de ses autres partitions ; en vain il s’est condamné à une sécheresse mélodique, qui, pour lui, touche à l’héroïsme, et à une pauvreté d’écriture qui croit atteindre la grande sobriété gluckiste ; il ne suffit pas de multiplier les récitatifs, d’accompagner à deux, voire à une seule partie des mélopées volontairement desséchées, d’éteindre toute flamme lyrique, d’imiter avec une fidélité touchante tel austère motet de Vittoria, de renoncer à l’accent orchestral et de mettre un crêpe à son violoncelle-solo pour devenir un parfait citoyen romain.

Les modestes entrées de fugue, au prélude du quatrième acte, ne font pas illusion et l’on sent bien que les seules pages écrites avec sincérité sont la virginale confidence de Junie chère à Carraud (à Monte-Carlo Mme Guiraudon y fut exquise), le chœur du cinquième acte avec ses arpèges qui font rage et l’effusion de Fabius : « Ma fille, c’est toi que je revois ici ! » où, pour consoler Paul Vidal, capellmeister attristé, le violon et la harpe détendent leurs nerfs trop longtemps comprimés par une impitoyable discipline.

(Plaignons les massenettistes qui, désireux d’excuser l’embêtement dégagé par Roma, osent rapprocher leur homme du dieu Bach, « le plus ennuyeux des grands musiciens », blasphémait jadis Camille Bellaigue. Jamais ils ne comprendront cette « monotonie sublime » du vieux cantor, ses austères retours, son obstination implacable subie avec tant de voluptueuse reconnaissance par un Jacques Rivière dont le masochisme ultrasensitif se réjouit d’être ainsi morigéné.)

Une interprétation décente rend hommage au courage malheureux : Mme Kousnezoff ravit, parfaite de grâce païenne, dans les voiles blancs de Fausta, et Muratore personnifie l’éternel masculin avec la violence et le chaleureux élan qui lui sont habituels. Delmas, tout désigné pour la carrière de sénateur, l’est une fois de plus, inamoviblement. Noté et Journet perpétuent les traditions d’autorité qui sont parmi les prérogatives les plus jalousement défendues des barytons de grand opéra et des basses nobles. Mlle Lucy Arbell, vieillie prématurément dans cette aventure, semble en progrès. Sa voix, jadis souterraine, monte des profondeurs où elle s’estompait ; bientôt, elle apparaîtra à la surface du sol pour s’épanouir à la clarté du jour. Ce jour-là, espérons-le, elle aura à créer du Massenet plus authentique, partant plus agréable que celui de Roma. Son maître favori lui doit cette revanche.

Bonne mise en scène : le critique du Guide Musical, fort érudit (Kurzôn pôgônophilos), regretta de voir le grand-prêtre anachroniquement rasé. Ce romain n’est pas le seul... […]

HENRY GAUTHIER-VILLARS

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Composer, Pianist

Jules MASSENET

(1842 - 1912)

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