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Lancelot de Joncières

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Lancelot

Distribution : MM. Vaguet (Lancelot) ; Renaud (Arthus) ; Fournets (Alain de Dinan) ; Bartet (LMarlhoel) : Laffitte (Kadio) ; Pelota (Un serviteur) ; Mmes Delna (Guinèvre) ; Bosman (Elaine).

Chevaliers pairs : MM. Gallois, Roger, Delit, Baudin, Barrau, Dhorne, Labère, Lacôme, Fourcade, Cancelier, Denoyé, Palianti.

 On raconte que François Iᵉ, arrivant à Blayes, eut la curiosité de soulever le couvercle du tombeau où reposait Roland, – le Roland de Charlemagne ; et que, devant les ossements du colosse, il demeura sans voix et pâlit. Tel le paysan dont parle Virgile, et qui, labourant son champ, se mit à trembler en ramenant à la lumière un squelette de héros.

J’imagine qu’il a dû en être de même pour les auteurs de Lancelot du Lac quand, cherchant un sujet d’opéra, ils se trouvèrent en présence de ce beau roman de la Table ronde, où sont narrées les amours infortunées du prince Chevalier, de la Reine Genièvre et de la chaste Elaine. Ils pâlirent, eux aussi, et ils se mirent à trembler : de cette terreur sainte, il leur est resté quelque chose comme de la gêne. Je le comprends. Ce que je comprends moins, ce sont les modifications qu’ils ont apportées à la trame du roman. Tennyson, en ses Idylles, avait pourtant fait un magnifique scénario de drame lyrique : il n’y avait qu’à transcrire. Une seule fois ces messieurs ont transposé toute une scène du poète anglais, celle du Cloître, celle du Pardon, et, à en juger par l’effet qu’elle a produit sur le théâtre de l’Opéra, ils n’ont vraiment pas eu à s’en repentir.

Le récit seul de Tennyson donne le frisson tragique : « Un murmure circula dans le couvent. Puis, un cri soudain : Le Roi ! Et Genièvre s’assit comme engourdie, l’oreille tendue ; mais, quand les pieds armés d’éperons s’avançant retentirent dans la longue galerie depuis les portes extérieures, elle se pencha hors de son siège, tomba et rampa face contre terre. Là, avec ses bras blancs comme la neige et son épaisse chevelure, elle déroba sa figure à la vue du Roi. »

Le reproche vivant est là. Le Roi-Fantôme prononce le jugement. Il rappelle le passé, sa courtoisie, sa tendresse, sa foi aveugle. Il avait voulu vivre doucement pour la gloire, dans la chasteté la plus pure ; n’aimer qu’une seule vierge ; s’attacher à elle et l’honorer par une succession de hauts faits : « C’est alors qu’eut lieu la honteuse faute avec Lancelot. Ensuite vint le péché de Tristan et Iseult. » Le Fantôme parle longtemps, douloureusement. La Reine se traîne quelque peu vers lui, elle met ses mains autour des pieds de son époux. Et il continue en avouant que son amour par la chair est entré si avant dans sa vie, que son châtiment est d’aimer encore la femme indigne. Alors, pendant que la Reine se traîne à ses pieds, elle sent le souffle du Roi errer sur son cou, et, dans l’obscurité, sur sa tête penchée, elle sent le mouvement de mains qui bénissaient.

Tout cela est d’une splendeur rare. Le départ d’Arthus que le brouillard du matin enveloppe pli par pli, jusqu’à ce que lui-même devînt ainsi que le brouillard allant, comme un spectre, à sa destinée ; le désespoir de Genièvre, la joie du Pardon, le désir du Rachat. Mais ce qui dépasse encore cela en beauté souveraine, c’est la fin d’Elaine, qui, dans l’innocence de son âme, s’était mise à aimer Lancelot sans rien connaître de ses amours coupables avec Genièvre, et qui, le jour où elle sait tout, supplie son frère d’écrire mot pour mot une lettre qu’elle lui dictera. – Est-ce pour Lancelot ? demande le frère. – C’est pour Lancelot, la Reine et le Monde entier ; et il faut que je la porte moi-même. On placera la lettre dans ma main un peu avant que je meure, et on fermera ma main sur elle. Je la conserverai même dans la mort ; et quand la chaleur aura abandonné mon cœur, alors prenez le petit lit sur lequel je serai morte : parez-le richement comme celui d’une rêne, et portez-le vers la rivière sur une barque drapée de noir. J’irai ainsi en cérémonie à la Cour, et de la sorte, je parlerai au Roi, à la Reine, à Lancelot mieux qu’aucun de vous ne saurait le faire.

Le vœu d’Elaine est exécuté.

Dans une fête au Palais d’Arthur, on vit arriver la barque noire avec la morte, un lys dans la main droite la lettre dans la main gauche. Elaine avait ses brillants cheveux dénoués et flottants. Toute la couverture était de drap d’or ; la jeune fille était toute en blanc, et elle paraissait endormie. On eut dit qu’elle souriait. Et chacun accourut, le Roi, la Reine, Lancelot, toute la Cour. Ce fut le roi qui lut la lettre où la demoiselle d’Astolat disait son fol amour qui n’avait pas été payé de retour, et implorait une sépulture et des prières. Lettre adorable d’abnégation, de charme, de désintéressement, de tendresses, et qui enseignait le Pardon et l’Oubli ; lettre qui résume toute la vanité de la Passion et toute la paix finale de la Vie ; lettre sublime qui valait qu’on fît la pièce et qu’on la dénouât comme l’Idylle où éclate « le génie combiné de la France et de l’Angleterre ».

Les auteurs de Lancelot ont arrangé à leur manière toute cette harmonie et toute cette poésie. Ils ont supprimé la lettre, ils ont conduit Elaine dans le Cloître de Genièvre, ils l’ont fait mourir dans les bras de la Reine, et, ils ont fait de la Reine même un messager funèbre qui simplement ramène la morte à son père éploré. Or, – je le dis avec le respect que m’inspire le souple et beau talent du poète Édouard Blau, – cet arrangement a contribué à me gâter ma soirée.

Quant à la musique de M. Joncières, elle est remplie de bonnes intentions ; le compositeur a tâché d’exprimer avec des notes les situations du drame, et il a mis à ce travail sa sincérité et son savoir.

La Direction de l’Opéra a également fait de son mieux ; et elle a groupé autour de l’œuvre des artistes P.100 : de valeur comme Mmes Delna et Bosman, MM. Vagues, Renaud et Fournets. Les danses sont conduites avec sûreté et intelligence par Mlle Sandrini. Enfin, les décors sont de bel effet et je ressens un vrai chagrin de ne pouvoir terminer autrement que par ces lignes brèves le compte rendu d’une Action chevaleresque dont l’idée m’a toujours ému, dont la forme m’a toujoursravi.

Paul Milliet

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Composer

Victorin JONCIÈRES

(1839 - 1903)

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publication date : 18/09/23