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Cendrillon d’Isouard

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Opéra-Comique. — Reprise de Cendrillon, paroles d’Etienne, musique de Nicolo.

Il n’y avait certainement aucun besoin de remettre au répertoire cette partition de second ordre dans laquelle la banalité abonde plus que l’originalité ; mais cependant plusieurs morceaux de Cendrillon nous ont causé mardi un très-grand plaisir, et ce plaisir nous a fait oublier l’ennui que produit invinciblement une bonne partie de l’ouvrage.

Nous nous garderions bien d’agacer les mânes d’Etienne et de Nicolo, parce que le premier a fait un second acte ennuyeux, un troisième incomplet, une pièce mal équilibrée enfin ; parce que le second écrivit une partition où, à côté de pages adorables de naïveté et de sentiment, on entend des platitudes bruyantes, agaçantes, prétentieuses et vides. À quoi servirait de dire de telles choses ?

Il reste de Cendrillon les scènes qui ont charmé notre enfance, un conte intéressant qui n’a rien perdu de son prestige et qui nous a encore ému mardi, malgré les bouffissures du livret. Il reste aussi une partition dans laquelle brillent de purs diamants, tels que l’ariette de Cendrillon, son adorable romance, l’air d’Alidor, – une merveille – ; la romance du prince, le duo du second acte et celui du troisième, entre les deux amoureux, naïfs jusqu’à l’invraisemblance. Tout cela vaut la peine qu’on aille entendre l’ouvrage, malgré même l’air de bravoure de la cantatrice-virtuose, les duos éternels des éternelles sœurs grincheuses, déplaisantes, horripilantes ; les marches guerrières, les petites naïvetés enfin et les grosses machines.

On ira donc entendre encore Cendrillon et l’on fera bien, car on passera à l’Opéra-Comique une agréable soirée.

M. Carvalho a remonté fort artistiquement l’œuvre de Nicolo. La mise en scène est très remarquable, très-originale : chaque tableau brille par la fidélité du caractère. Quant au ballet Louis XIV du second acte, il est merveilleux de couleur. Certes, on danse mieux aujourd’hui qu’au temps où l’on nous reporte ; ces pas sont lourds, ces vêtements sont étriqués, ces poses rappellent à s’y méprendre les personnages qui valsent sur les orgues de barbarie vieux système ; mais tout cela est frappant de ressemblance : on croirait voir un ballet à la cour de Louis XIV, et de cela on ne saurait trop complimenter l’habile metteur en scène. Puisque nous commençons par la danse, disons que la musique en est ravissante, et que Mlle Dortel et Laurençon font des merveilles : impossible d’évoquer mieux les souvenirs d’autrefois ; les vieilles marquises sont descendues de leurs cadres, elles font admirer leurs grâces à l’Opéra-Comique.

Ce ballet nous a donné le plaisir d’applaudir encore une ballerine de premier ordre : Mlle Laurençon, qui possède un talent plein de charme et de virtuosité. Mlle Laurençon a retrouvé une place digne d’elle ; on ne saurait trop l’en féliciter.

Nicot a fait des prodiges de style. Même éloge à M. Villard, qui dans le rôle d’Alidor, s’est montré chanteur charmant et excellent comédien. Nous avons applaudi Villard et Nicot avec le plus grand plaisir : on ne chante pas mieux.

Mlle Julia Potel est mignonne, mignonne au possible. On lui donnerait quatorze ans et c’est bien la plus ravissante petite Cendrillon qu’on puisse voir et entendre ; c’est la jeunesse, la véritable jeunesse, véritablement naïve et chastement gracieuse. C’est une artiste aussi ; elle a chanté, non-seulement avec beaucoup de charme, mais encore avec beaucoup de talent la romance du premier acte et le duo avec le prince. La voix est encore frêle, très-délicate, c’est vrai ; mais elle existe : le timbre en est ravissant. Laissez se développer cette charmante nature et, avant deux ans, vous aurez une cantatrice, de plus une comédienne de premier ordre. Le public n’a pas seulement encouragé cette jolie enfant, il l’a applaudie avec conviction pour son chant et son jeu.

Mme Franck-Duvernoy a eu grand succès dans son air de bravoure du second acte. M. Thierry est un excellent papa ; il nous a seulement trop rappelé Daubray, dans le capitaine des Feuilles Mortes de la Créole ; or, à l’Opéra-Comique, tant de verve épanouie peut surprendre un maniaque de notre sorte. M. Legrand a joué Dandini avec talent ; mais nous l’aurions voulu plus comique, moins « Comédie-Française, » car Dandini est un personnage absolument ridicule ; c’est la gaieté d’une pièce... qui a passablement manqué de gaieté mardi.

Il est regrettable que les deux sœurs grincheuses aient chanté avec trop de puissance ; l’orchestre s’est cru obligé de faire assaut de vigueur et il en est résulté, en quelques morceaux, un vacarme héroïque qui n’avaient rien de charmant. Il est certain que la partition de Nicolo n’avait jamais été exécutée avec une telle vigueur, dans un théâtre du moins.

JULES RUELLE.

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Composer, Editor

Nicolò ISOUARD

(1773 - 1818)

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Charles-Guillaume ÉTIENNE

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publication date : 18/09/23