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Ariane de Massenet

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ARIANE[1]

Ariane ! Un nom qui évoque tous les héros et tous les dieux de l’antiquité. Il les réveille ; il nous les montre passant, comme dit le doux poète, les uns avec des folles vignes dans les cheveux, ceux-là tenant contre leur sein la lyre qui s’accorde au chant des hommes-cygnes. Voici l’aïeul Orphée, attirant un essaim d’abeilles, Lyœus qui nous donne l’ivresse, Éros le bienfaiteur et le pâle assassin ; et, derrière Aphrodite, ange à la blonde tresse, voici les grands vaincus dont les cœurs sont brisés, tous les bannis dont l’âme est pleine de tendresse ; tous ceux qui, sans repos, se tordent embrasés par la cruelle soif de l’amour idéal, et qui s’en vont au ciel, meurtris par les baisers.

Le dramaturge qui a choisi l’amante de Thésée comme principe d’intérêt et d’émotion, est le disciple fervent de l’action développement des passions humaines, de l’action évolution d’âmes à travers des milieux. C’est donc à lui que je demanderai l’analyse de sa pièce. Nous verrons tout de suite s’il a été conséquent avec lui-même, s’il a fait de l’âme l’unique moteur du drame, sans pour cela négliger les effets pittoresques, les incidents concrets, qui aident à l’expression de la beauté totale.

Premier acte : La porte du Labyrinthe. Au loin, le palais du roi Minos et de Pasiphaé. Thésée roi d’Athènes, arrive avec Pirithoüs. Tous deux ils veulent tuer le Minotaure qui, chaque année, exige d’Athènes un tribut de jeunes vierges et de jeunes guerriers. Ariane, dont l’amour est « instinctif, absolu, sans complications intellectuelles » livre à Thésée le secret du Labyrinthe, le fil qui lui permettra de se frayer un sûr chemin parmi les dédales inextricables. Elle s’est levée au milieu de la nuit pour ouvrir au héros la porte de bronze. Bientôt sa sœur Phèdre la rejoint. Phèdre, c’est « l’amour imposé par le destin, la fatalité de la passion » ; et elle s’irrite des soucis amoureux qui troublent le cœur d’Ariane. Mais des cris retentissent. Thésée est vainqueur du Minotaure. Il apparaît, tel un jeune dieu, entouré de vierges et des éphèbes qu’il a sauvés. Chacun exalte ses vertus guerrières. Cependant Thésée ne voit qu’Ariane ; il veut l’emmener à Athènes où elle sera reine. Un sentiment inconnu pénètre alors l’âme de Phèdre qui décide de les suivre.

Deuxième acte. La pleine mer. La galère qui transporte les jeunes époux côtoie des îles parées de fleurs et de fruits. Phèdre, jalouse déjà « songe douloureusement à la tristesse de sa vie sans passion ». Une tempête éclate, bientôt apaisée. Mais le pilote a perdu sa route, et c’est vers Naxos, dont la luxuriante végétation apparaît à l’horizon, que se dirige la galère, au rythme cadencé de ses rameurs.

Troisième acte. A Naxos : « Une floraison énorme et extraordinaire de rosiers géants et de lauriers-roses. » Un palais à l’entrée d’une forêt. Thésée s’abandonne tout entier à l’amour ; et ce n’est plus Ariane c’est Phèdre qu’il désire de toute sa jeune ardeur. Ariane, délaissée, prend sa sœur pour confidente de ses désespoirs ; elle la supplie d’intercéder auprès du héros, de le ramener à elle. Phèdre accepte, car, malgré ses coupables pensées, elle voue à sa sœur une affection sincère. Le destin est le plus fort. À peine en présence, Phèdre et Thésée s’avouent leur mutuel amour ; et Ariane surprenant leur premier baiser tombe inanimée. Le remords s’empare de Phèdre : elle mutile la statue d’Adonis sous laquelle Cypris courroucée l’ensevelit. Ariane, « dans un sublime mouvement d’abnégation » supplie Cypris de ranimer sa sœur ; et Cypris, bienveillante ordonne aux Grâces d’accompagner l’amante héroïque au séjour des morts.

Quatrième acte. Le Tartare. Un paysage dévasté, désolé. Le Styx, le Cocyte et Phlégéton bornent l’horizon. Des formes pâles errent dans d’incertaines fumées. Sur un trône de marbre noir, gainée en une étroite robe mauve, se tient Perséphone, hiératique, un lis noir dans la main. Ses compagnes, tristement vêtues de deuil, la supplient de faire trêve aux tourments des damnés, mais Perséphone ne se laisse attendrir que par le souvenir de ce qui fut sa vie. Soudain des murmures harmonieux se font entendre. Ce sont les Grâces qui accompagnent Ariane dans sa descente aux enfers. Les Furies luttent quelque temps contre elles, mais Tisiphone est vaincue par Aglaïa ; et Ariane, s’avançant, demande à Perséphone de ranimer Phèdre. Elle tend une gerbe de roses vers la déesse qui s’attendrit au parfum des fleurs épanouies. Phèdre remontera vers la vie.

Cinquième acte : De nouveau, l’île de Naxos ensoleillée. La mer, au loin, meurt sur le sable : « Une nef s’aperçoit ; à gauche, on devine le palais des brigands de Naxos. » La mort de Phèdre, la fuite d’Ariane, ont fait perdre à Thésée la raison. Il ignore celle qu’il aime le plus, — Ariane qui lui fut une compagne si dévouée, ou Phèdre dont l’amour brûlant lui est un souvenir ineffaçable. En vain, Pirithoüs engage Thésée à partir. Il veut attendre encore. Ariane et Phèdre apparaissent. « Subjuguée par le pardon de sa sœur, Phèdre lui rendra l’amour de son époux ; et Thésée semble vouloir ne plus adorer que son épouse. Mais le devoir échappe à leurs volontés ». Thésée a revu le regard de Phèdre : il est de nouveau conquis. La nef est prête ; ils partiront tous deux, oublieux de celle à qui ils doivent leur bonheur. Et Ariane reste seule. Sous le crépuscule qui décroît, les sirènes font entendre leurs voix captivantes appelant Ariane vers les profondeurs de la mer. L’amante abandonnée descend sur la grève et s’évanouit dans les flots écumeux.

Cette analyse, empruntée, je le répète, au poète lui-même, nous montre bien qu’il s’agit dans cette Ariane d’une « évolution d’âmes à travers des milieux ». M. Catulle Mendès n’a donc point renié les révolutions dramatiques auxquelles il a travaillé avec une hardiesse et une vaillance dignes des plus grands éloges. Tout au plus pourrait-on lui reprocher d’avoir cédé ça et là au classicisme décoratif du dix-huitième siècle et de ne pas avoir réduit à leur minimum les facteurs matériels du drame. Mais il faut bien se garder aussi « d’enchaîner l’imagination du poète et du musicien ; si telles sont les exigences de leur nature artistique, et d’empêcher notre imagination, à nous, spectateurs, d’avoir sa fête ou sa tragédie en l’œuvre qui nous est proposée ». L’action d’Ariane n’est pas combinée arbitrairement, en dehors de la vérité humaine, et chaque événement, chaque apparition, chaque changement de lieu a pour but de nous mieux révéler l’âme individuelle des personnages, leurs désirs, leurs passions, leurs facultés de plaisir et de douleur, leurs principes intimes de vie. Wagner a pu concentrer toute sa puissance poétique sur la seule évolution d’un tragique Amour et sur la nécessité de la Mort ; il a pu nous intéresser au triomphe progressif de l’âme sur le corps jusqu’à ce que l’âme prenne enfin son libre essor loin d’un monde de peines et de misères. Mais Shakespeare ne nous émeut pas moins en multipliant « les moyens extérieurs », en variant sans cesse les aventures, en enchevêtrant plusieurs intrigues, en suivant ce que Taine a appelé une « méthode pittoresque de psychologie dramatique ».

M. Massenet a revêtu ce poème de musiques nobles et séduisantes, délicates et puissantes tour à tour. Le dessin mélodique a, dans toute la partition, cette qualité rare d’être personnel ; l’harmonie qui le souligne est d’une recherche et d’une distinction constantes ; l’orchestration enfin a la richesse, la fermeté, la couleur et l’accent. Je ne citerai pas toutes les pages qui ont obtenu tout de suite l’agrément de l’auditoire, mais je veux mentionner le troisième acte dont la magnifique tenue musicale, l’inspiration et l’intérêt ont valu au compositeur les plus chaleureux applaudissements de sa carrière. La violente passion de Thésée, l’infinie douleur d’Ariane, et les tragiques émois de Phèdre ont porté au plus haut point l’émotion et l’enthousiasme. C’est d’un art très précis et très pur. Pour l’Enfer, Massenet s’est souvenu du tableau charmant qu’en a tracé Paul de Saint-Victor : « Déjà dans l’enfer païen la Mort a perdu son aiguillon et dépouillé son horreur. L’amour règne où l’homme rêvait d’épouvante. Une vie nouvelle s’ouvre à l’homme qui croyait descendre dans le vide sans fond du néant. C’est à l’influence de Proserpine qu’est due cette transformation du sombre royaume ; ce sont ces yeux qui l’éclairent de cette aube ravissante d’immortalité. Comme une jeune reine embellit une cour attristée par un roi sévère, elle apporte aux enfers l’amour et la jeunesse. »

L’interprétation d’Ariane a été de tous points excellente. Mlle Bréval, une Ariane belle et touchante, Mlle Grandjean, une Phèdre aux emportements farouches, toutes deux chanteuses expérimentées. M. Delmas, parfait dans le rôle de Pirithoüs. M. Muratore, un Thésée « charmeur et valeureux », dont la jeunesse et la sincérité d’accents ont séduit tout le monde. Mlles Arbel, Demougeot et Mendès ; Mlle Zambelli aussi dans le rôle effacé de Tisiphone.

Le spectacle, la mise en scène ont été réglés avec un soin tout particulier par M. Gailhard ; et les masses instrumentales et chorales ont été dirigées avec un rare souci des nuances par M. Paul Vidal.

PAUL MILLIET.

[1] Ariane, opéra en cinq actes, de M. Catulle Mendès, musique de M. Massenet.

Distribution : Ariane, Mmes Lucienne Bréval ; Phèdre, Louise Grandjean ; Perséphone, Lucy Arbel ; Cypris, Demougeot ; Eunoé, B. Mendès ; Chromis, Laute. Thésée, MM. Muratore ; Pirithoüs, Delmas ; le chef de la nef Triadou.

Danse : Tisiphone, Mlles Zambelli, Aflaïa, Sandrini.

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Composer, Pianist

Jules MASSENET

(1842 - 1912)

Librettist

Paul MILLIET

(1848 - 1924)

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