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Revue musicale. La Princesse jaune

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REVUE MUSICALE

Opéra-Comique. — La Princesse jaune, opéra-comique en un acte, par M. Louis Gallet, musique de M. Camille Saint-Saëns. — M. Lhérie, Mlle Ducasse. — Bonsoir, voisin ! par M. Ferdinand Poise. — M. Thierry, Mlle Reine. […]

On me croira si l’on veut, mais j’ai une préférence très marquée pour la musique savante, en d’autres mots, pour la musique bien écrite, où la beauté de la phrase mélodique, qui est à l’orchestration ce que la pensée est à la forme, ne cesse pas d’être relevée par la pureté et l’élévation du style. J’adore Mozart, j’aime Beethoven, Weber, Haendel, Bach, et bien d’autres maîtres allemands. J’aime aussi – que les mélodistes me le pardonnent ! – certaines pages symphoniques (je souligne à dessein) de Wagner ; les autres de cet étrange compositeur me crispent les nerfs, m’agacent, me font douter de la bonne foi de ceux qui l’aiment ou font semblant de l’aimer, pour faire croire aux naïfs qu’ils comprennent quelque chose aux nullités redondantes et à l’algèbre instrumentale de ce compositeur, qui n’a jamais su ce que c’est que l’idée musicale, la mélodie, le chant, l’inspiration, le sentiment, la passion.

 Je me suis demandé assez souvent si tel ou tel jeune compositeur, à qui l’on est forcé de reconnaître des études sérieuses et un talent incontestable, s’est jeté dans cette malencontreuse et funeste école néo-allemande, de parti pris, par manie de se faire remarquer quand même, ou par impuissance, c’est-à-dire parce que si le travail, la patience, l’amour de l’art l’ont fait musicien, la nature lui a refusé cette qualité native, ce don que les études les plus sévères ne peuvent remplacer : l’imagination, la fantaisie, l’inspiration, – la mélodie en somme, c’est-à-dire ce qui, en musique, représente l’invention ; le reste s’apprenant avec les règles.

Un de mes confrères s’est élevé contre « ce style précieux, ambitieux, prétentieux, monotone et vide, qui caractérise l’école d’impuissants dont Wagner est le souverain maître et dont M. Bizet s’honore, dit-on, d’être un des disciples les plus bruyants, sinon les plus convaincus ; de cette coterie d’Origènes volontaires qui se mutilent pour arriver à ne rien produire de vivant et de fécond, qui tuent chez eux, par une sorte de mysticisme de fakir, tout ce qui est mélodie, idée, sentiment, et n’aspirent qu’à faire de la musique, cet art qui ne vit que de passion, une manière d’abstraction, une sorte de formule indistincte où les pédants de Munich et de Dresde trouvent seuls la pâture de leur illuminisme. »

Seulement, tout en me rangeant complètement à son avis pour ce genre de musique, qui n’est pas un « bon genre, » par cela seul qu’il est « ennuyeux, » je ne suis pas du tout d’accord avec lui, quand il ajoute que la critique, quoi qu’on en ait dit, n’a pas trouvé dans la Princesse jaune ce qu’on lui avait supposé, c’est-à-dire quelque chose comme Djamileh, ou du moins une musique dénuée de toute mélodie. Pour ma part, il me semblait assister à la représentation d’une œuvre dramatique dont les rôles eussent été confiés à des acteurs de talent, mais qui se fussent exprimés en chinois ou en malais. Tout en me doutant qu’il devait y avoir beaucoup de science, je n’y comprenais pas un traître mot. Mettons que c’est moi, et le public tout entier avec moi, qui ne sommes pas à la hauteur du talent de M-Saint-Saëns et qui ne comprenons pas son langage musical, – et n’en parlons plus.

J’avoue que, par-ci par-là, à de longs intervalles dans cette courte partition, j’ai cru comprendre ou plutôt deviner quelque velléité mélodique ; mais ce n’étaient que des éclairs, très vite éteints. De même, j’ai pu admirer une belle et large phrase du ténor en guise d’évocation, c’est le seul morceau dans lequel M. Saint-Saëns ait parlé une langue intelligible, et – disons-le – un idiome pur, noble et élevé. Faut-il en conclure que, s’il voulait, ce compositeur pourrait écrire de façon à ne plus satisfaire exclusivement les affiliés à la secte musicale dont il est un des adeptes ? Je ne saurais me prononcer à cet égard. Mais il me semble que s’il le pouvait, il ne renoncerait pas de gaîté de cœur au succès, rien que pour plaire aux membres, heureusement peu nombreux, de son cénacle. – Et Richard Wagner ? objectera-t-on. Oh ! celui-là peut bien s’en passer ; il prétend être l’apôtre, le précurseur. On ne devient pas précurseur sans faire quelque petit sacrifice. Voyez plutôt le Baptiste !... Au surplus, il a pour se consoler, les suffrages de ses admirateurs quand même, et l’amitié du roi de Bavière. À ce prix-là, on peut se résigner à tourmenter le reste du genre humain.

Et pourtant, je ne serai nullement étonné d’entendre, tôt ou tard, un ouvrage scénique de M. Saint-Saëns, écrit dans une langue qui n’est pas étrangère au public français, et où la mélodie aura une part assez large. N’oublions pas que M. Saint-Saëns ajoute à son grand talent d’harmoniste la qualité assez rare de s’assimiler l’esprit, le caractère, le faire des maîtres les plus divers, il est ce qu’il veut, et fait ce qu’il veut. En ce moment, il est dans la voie néo-allemande, il a écrit la Princesse jaune, demain, après une nouvelle lecture des œuvres de Mozart, qu’il sait par cœur, il se passionnera pour l’auteur de Don Juan et des Noces et écrira une œuvre mélodique, qu’il orchestrera comme pas un, car il est un des plus habiles et des plus vaillant virtuoses de l’instrumentation. Entre ses mains, la plume de l’harmoniste acquiert toutes les grâces et exécute tous les prodiges des oiseleurs et des ornemanistes les plus intelligents et les plus heureux. – Ce jour-là, et qu’il ne se fasse pas trop attendre, le lecteur voudra bien se rappeler les lignes que nous venons d’écrire sur M. Saint-Saëns et sur sa Princesse jaune

Quant au poème sur lequel M. Saint-Saëns (qui cependant a écrit de si jolies choses pour piano et même de remarquables œuvres symphoniques), sur lequel, dis-je, ce musicien a laissé traîner des pavots, il offrait plutôt le sujet d’un petit conte, que le canevas d’un opéra-comique. M. Louis Gallet fait des vers bien rythmés, bien rimés, et autrement tournés que les ponts neufs dont certains compositeurs illettrés et sans goût s’accommodent volontiers. Mais il ne devrait pas oublier que la scène n’est passe livre ; qu’il ne suffit pas au théâtre d’un petit sujet plus ou moins original, traité en jolis vers ; qu’il faut aussi une intrigue, des situations, et surtout cette vis comica qui est le sel, sinon le piment, d’un livret dropera comique.

J’ai déjà parlé, le lendemain même de la première représentation de la Princesse jaune, de M. Lhérie et de Mlle Ducasse, les deux interprètes de cette longue symphonie soi-disant vocale. Ils s’en sont tirés de leur mieux ; et, certes, ce n’est pas de leur faute si le public n’a prêté à ce faux opéra-comique qu’une attention des plus médiocres. On eût dit qu’il guettait les phrases mélodiques ; il eût été enchanté d’en voir pointer çà et là quelques-unes. Mais, fatigué d’imiter la patience du pêcheur à la ligne quand « ça ne mord pas, » il y a renoncé.

C’est l’absence même de toute mélodie dans la Princesse jaune qui a fait le succès de Bonsoir, voisin. Ce petit opéra-comique genre Adam, gai, facile, amusant, un peu terre à terre, mais à coup sûr sans prétention, a déridé le public – qui, peut-être, sans la fatigue éprouvée à l’audition de la Princesse jaune, se fût montré moins complaisant pour l’œuvre de M. Poise. N’est-ce pas bien étrange que la partition d’un compositeur qui passe pour un musicien très savant – et qui l’est ! – ait presque servi de repoussoir à l’œuvre légère, un peu naïve et écrite à la bonne franquette, d’un autre musicien qui n’a jamais affiché des prétentions au fauteuil académique ? Tant il est vrai que, s’il faut compter avec le talent, il ne faut pas moins compter avec le goût, et que ce que j’ai mentionné plus haut à propos des genres divers est une vérité. On l’a dit, d’ailleurs, bien avant moi : « Tous les genres sont bons, hors le genre ennuyeux. »

Il me resterait à parler de deux lieux concerts, l’un donné par l’Alliance universelle, l’autre par Mme Ristori au profit de la famille d’un artiste, et qui tous deux ont été fort brillants.

Je les renvoie à huitaine.

M. de Thémines

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Composer, Organist, Pianist, Journalist

Camille SAINT-SAËNS

(1835 - 1921)

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