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Revue dramatique. La Fille de Madame Angot

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Revue dramatique […]

Autant ce drame est faux [Un lâche de Touroude, au théâtre de l’Ambigu], autant dans le théâtre voisin, aux Folies-Dramatiques, la pièce nouvelle est vraie. L’histoire, perdue sur tant d’autres scènes, s’est retrouvée où elle aurait dû le mieux se perdre. Elle est partout, nous l’avons déjà dit l’autre jour, dans ces trois actes de la Fille de Madame Angot.

Le titre même est de l’histoire. Quand la pièce-type du genre qu’ils continuent, quand les deux actes de Desmaillot, Madame Angot, ou la Poissarde parvenue, fut jouée à la Gaîté en 1797, ce fut un véritable événement, je dirais même une révolution, s’il ne s’agissait pas d’une pièce contre-révolutionnaire.

L’auteur, qui était jacobin, avait, sans le vouloir, fait la pièce la plus antijacobine, et en cela celle d’hier, Dieu merci ! lui succède à point.

Les enrichis de la Terreur, les ventrus des biens nationaux s’y trouvaient joués de la plus brutale, et par conséquent de la meilleure manière. On vengeait, en daubant sur Mme Angot, la noblesse, dépouillée par les brigands de la bande noire, et singée, en style poissard, par leurs dignes épouses !

L’acteur Corsse — qui par parenthèse était l’oncle et fut le patron de notre célèbre chanteur G. Roger — ajoutait au comique du type de Mme Angot, sa plus étonnante création, par une verve de bouffonnerie poissarde et canaille — pardon du mot — vraiment incroyable.

C’est là que ce qui se trouvait encore de gens distingués dans le Paris du Directoire venait, en riant, prendre une bonne revanche.

Ne pouvant arracher aux parvenus et parvenues de la démocratie les hardes pillées dont ils se paraient, on s’amusait du moins, et c’était de bonne guerre, de la manière dont ils les portaient, et du langage qui les en déshabillait.

Le meilleur à lire sur tout cela, ce sont les frères Goncourt, en leur Histoire de la société française pendant le Directoire, si bien mise à contribution, ces jours derniers, et si rarement citée :

« Madame Angot, disent-ils avec un accent de certitude qui les fait réellement contemporains de ce qu’ils disent, Madame Angot ! il faut voir Madame Angot, il faut voir Corsse dans le bonnet chamarré de ruban jaune de Mme Angot ! Mme Angot qui se pâme devant le rat de cave Girard, son futur gendre, drapé en chevalier de la Girardière ! Mme Angot disant : “Queu magnière ! queu garantisse !” Il faut dire : “C’est incroyable !” en pensant à Mme Angot. Celui-là n’a rien vu qui n’a pas vu Mme Angot, recommandant à Nicolas de se mettre sur “son propre” : — “Il faut leur z’y montrer qu’on a z’eu de l’éducation comme il faut !”... Mme Angot qui manque de talocher sa fille pour lui apprendre à aimer le chevalier ! Mme Angot, demandée par les ambassadeurs ! Mme Angot qui s’oublie à “engueuler” du plus dur et du plus vert une harengère de sa famille ! — Mme Angot qui fait venir le Directoire chez Nicolet ! Mme Angot en syncope, repoussant le flacon de Girard et criant d’une voix mourante : “non, non, donnez-moi plutôt une goutte d’eau-de-vie !” Mme Angot, qui fait rire lord Malmesbury lui-même. »

Voilà quelle fut la popularité de Madame Angot en 1797 ; je crois que sa fille en héritera soixante-seize ans après, en 1873.

Elle le mérite. Nous l’avons dit et ne saurions trop le répéter : c’est un bijou que la pièce qui la fait revivre ; ce sont merveilles que les mélodies qu’elle chante. Il y a dans tout l’ensemble qui se groupe autour d’elle on ne sait quel entrain, quelle verve, quel esprit, d’où le succès sort et jaillit de lui-même.

Paroles, musique, tout est de ce temps-là et du nôtre.

C’est la fin d’une République qui se moquait d’elle-même, par les couplets de cet héroïque Ange Pitou, dont Alexandre Dumas a fait le roman, et dont il reste à faire l’histoire ; c’est le chant précurseur d’un temps qui ne sait encore ce qu’il sera, mais qui d’avance est gai, parce qu’il sent qu’il ne sera plus républicain.

Jamais pièce ne m’a semblé plus d’à-propos, plus d’époque que celle-là. Comme elle est très joyeuse, peu démocratique, c’est du meilleur présage.

Elle est fort bien jouée et chantée surtout par Mmes Paola Marié et Desclosaz.

Elles ont dans leurs scènes cossardes des tons et des accents qui rappellent le peuple quand il n’était pas encore « la populace, » de même que M. Lecoq dans ses airs de danse les plus populaires, tels que la Fricassée de son troisième acte, n’a rien qui sente les rythmes « canailles. »

Il y avait longtemps que nous n’avions vu au théâtre une vraie danse du vrai peuple.

ÉDOUARD FOURNIER.

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Librettist, Journalist

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