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Ariane de Massenet

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Premières représentations

THÉÂTRE NATIONAL DE L’OPÉRA : Ariane, opéra, en cinq actes, de M. Catulle Mendès, musique de M. Massenet.

La « première » d’Ariane, impatiemment attendue, était un événement sensationnel, à cause du renom des auteurs. 

En effet, la gloire du compositeur exquis de Manon et de Werther est universelle et populaire et l’œuvre poétique et critique de M. Mendès, qu’aiment si fort, qu’admirent si universellement les lettrés, le classe au premier rang dans l’estime de tous ceux qui chérissent le génie de notre langue.

Dans l’ensemble, il faut dire tout de suite que la partie a été gagnée et que le succès a été très grand.

C’est d’abord près de la mer, aux portes du redoutable labyrinthe où le Minotaure doit dévorer, tout à l’heure, sept jeunes filles et sept éphèbes, tribut annuel d’Athènes humiliée, au roi Minos.

Le héros Thésée est venu, pour relever sa patrie de cette honteuse vassalité ; il a juré de tuer le monstre mi-humain à face de taureau.

Mais voici qu’accourt Ariane, haletante de fatigue et d’amour. Elle s’est échappée du palais de son père, pour porter secours à Thésée qu’elle aime et lui ouvrir, après la victoire qu’elle espère, la porte de fer derrière laquelle rugit la bête et gémissent les enfants. Elle évoque Cypris, la déesse clémente aux amours :

Chère Cypris, Cypris compatissante

O vierge d’or que chantèrent premiers,

Quand tu naquis de la mer blanchissante,

Les tendres ramiers…

Et ce chant, cette invocation quasi rituelle reviendra fréquemment, comme la prière la plus pareille à l’âme douce et tendre d’Ariane.

Elle est décidée à suivre son héros où il voudra.

Il ne pourra, même en rompant notre lien,

Me faire autant de mal qu’il m’aura fait de bien.

Ces deux vers, c’est toute Ariane et c’est tout le roman délicieux qui va suivre, le doux roman, de pardon et d’immolation amoureuse qu’a imaginé le poète, le roman si vrai et si proche qui fait d’Ariane une héroïne bien plutôt chrétienne que païenne.

Ensuite, c’est, derrière l’affreuse porte, la lutte, dont Phèdre, la sœur préférée d’Ariane, suivra les péripéties tragiques du haut d’une roche, et la victoire de Thésée, et la joie des enfants délivrés, et l’allégresse orgueilleuse d’Ariane, et ses transports dans les bras de son amant. C’est aussi le trouble soudain de Phèdre, à la vue de Thésée, tout sanglant encore du combat. Enfin c’est l’embarquement du couple heureux, que suivra Phèdre, vers Athènes.

Au second acte, tandis que sur le tillac ou à l’avant d’une galère, se réjouissent ou s’effraient les autres passagers, sous la tente le couple éperdument heureux d’Ariane et de Thésée s’extasie, dans un ineffable duo d’amour, si frais, si jeune, si ardent, que j’en voudrais citer tous les vers.

Seule, Phèdre, dévorée de jalousie, souffre et se plaint.

Tout à l’heure, dans l’île de Naxos, le drame éclatera, terrible.

Thésée s’est brûlé, lui aussi, au feu qui dévore Phèdre. Il ne songe plus qu’à elle.

Et Ariane, sans méfiance, se plaint doucement à Phèdre de son abandon.

Il faut que sa sœur bien-aimée aille à Thésée et, s’il en est une, qu’elle apprenne le nom de l’odieuse rivale.

Donc Phèdre est contrainte d’interroger Thésée. Ainsi ils seront amenés invinciblement à formuler, par des mots irréparables, le secret dont leurs deux cœurs souffraient sans l’avouer, et la triste Ariane les surprendra dans les bras l’un de l’autre.

Alors Phèdre s’enfuit après une imprécation à Cypris.

Pourtant Ariane demeure clémente, sans haine et sans malédiction. Certes, ce n’est pas à sa prière que la déesse a châtié Phèdre, dont Pirithoüs, l’ami de Thésée, et son compagnon d’héroïsme, vient lui apprendre le trépas. Même, ayant vu la douleur affreuse de son époux, elle invoque Cypris qui répond à son appel et consent à lui ouvrir la porte des enfers, vers où la guideront Aglaïa, Pasithée, Euphrosine, pour une œuvre de rédemption.

Au tableau suivant, le spectateur est transporté aux enfers, où règne Perséphone, qui « rêve et s’émeut des maux soufferts » et qui se souvient de la Terre :

Hélas ! avant que le dieu noir

M’emportât dans son char d’ébène

J’étais rose, même le soir

Sous les saules de l’eau thébaine...

Quand Ariane, introduite par les trois Grâces, offre à Perséphone, pour la fléchir, des gerbes de roses vivantes, l’exilée laisse tomber le lys noir qui lui sert de sceptre et se réjouit, tandis qu’Ariane emmène avec elle Phèdre, qu’on ne lui a pas refusée.

Inutile héroïsme ! Thésée aimera Phèdre ressuscitée et Phèdre aimera Thésée, et malgré la reconnaissance et malgré le devoir, ils partiront tous les deux vers Athènes, tandis qu’Ariane se désespère.

Des sirènes consolantes glissent et planent au ras des eaux ; elles chantent :

Viens avec nous, nous sommes celles

Où vit l’illusion de tout ce qu’on a cru...

Ariane les suit ; elle descend lentement dans la mer et voici qu’on ne la voit plus…

Ariane est un magnifique roman lyrique qui doit être lu dans son entier.

À l’Opéra, la diction des chanteurs et le bruit des instruments réduisent ce beau livret, sans le prestige des claires images et des phrases harmonieuses, aux proportions d’une pantomime heureusement découpée. C’est dommage.

Je dois à la vérité de dire que les décors ne sont pas tous dignes d’un si parfait poème.

Le premier, aux portes du labyrinthe, est un peu confus.

Au second, la galère se détache curieusement, mais dans une immobilité fâcheuse, sur le fond mobile de la mer. J’ai aimé le mouvement rythmé des rames et l’arrivée à Naxos, l’île rose et violette qui, dans la lumière d’un ciel mouillé, surgit littéralement de l’onde et s’élève à l’horizon, tandis que la galère tourne, avec grâce, sa proue vers le rivage.

Le troisième décor, c’est Naxos, « dans une floraison énorme et extraordinaire de rosiers géants et de lauriers-roses ». C’est fort beau. Pourtant, à la fin de l’acte, il y a une apparition de Cypris qui évoque irrésistiblement un théâtre moderne de verdure et une scène de tableaux vivants. Les arêtes vives des cartonnages et la crudité des lumières ne permettent aucune illusion.

Le tableau des enfers est mal vu, dans les ténèbres voulues de la scène.

Le cinquième acte est une évocation froide des illustrations que fit l’Allemand Engels pour l’exquis Tristan et Yseult, reconstitué par Joseph Bédier.

*

M. Massenet a pensé, et avec raison, qu’il n’avait qu’une seule façon de ne pas vieillir, c’était de ne pas changer.

Ariane, je crois, n’aura surpris personne, pas plus les admirateurs de M. Massenet que ses ennemis. M. Massenet eût pu, dans ces cinq grands actes, se préoccuper d’évoluer, ainsi qu’il l’avait fait dans Esclarmonde, à l’heure de l’effervescence wagnérienne. Il n’a pas cherché, et il faut l’en féliciter, à s’approprier les conquêtes sonores de ces dernières années ; il a laissé couler, une fois de plus, son inspiration abondante et généreuse qui ne s’est jamais fait attendre et ne lui a coûté apparemment nul effort.

Ariane est écrit dans le plus pur style massenétique avec, bien entendu, « les sanglots longs des violons » et ces unissons de cordes où la voix s’appuie heureusement ; mais nous y retrouvons aussi cette merveilleuse entente de l’effet scénique qui fit, de son auteur, un professeur de composition admirable et un maître qui a créé des maîtres à son tour.

Tout le premier acte, pittoresque, animé, vivant, avec d’exquis détails, a beaucoup plu. On l’a applaudi chaleureusement. Notons le duo de Phèdre et d’Ariane, qui sera demain sur tous les pianos ; l’invocation d’Ariane à Cypris, et surtout l’aveu d’Ariane dévoilant sa passion pour Thésée, soulignée à l’orchestre par un leit motiv obstiné, l’élan d’un triolet qui s’achève sur un de ces intervalles mélodiques, chers à M. Massenet, où la voix glisse et se laisse porter, abandonnée, caressante et vaincue.

L’intérêt, qui avait peut-être langui un peu au second acte, s’est réveillé au troisième (le meilleur), où il faut citer un nouveau duo entre Phèdre et Ariane, le lamento si plaintivement expressif d’Ariane et le rappel du thème amoureux, à l’orchestre, par le violon et le violoncelle soli, tandis qu’Ariane invoque Cypris. Je passe sur la gavotte anachronique et charmante, du plus pur xviiie siècle, qui accompagne la scène d’Ariane et de Cypris, sur le ballet infernal, écrit sans inutile souci d’archaïsme et je salue au passage, dans le cinquième acte, la grande phrase que M. Massenet a empruntée à sa belle ouverture de Phèdre et qu’il ressuscite à l’heure où Phèdre et Thésée s’enfuient éperdus.

À peine puis-je redire la plénitude et l’euphonie de cet orchestre, commentaire toujours souple, vivant et lucide du drame.

Parmi les interprètes, il faut mettre en première ligne Mlles Bréval et Grandjean. Mlle Bréval a composé avec un art infiniment délicat le personnage d’Ariane, dont sa voix pure, au médium parfois un peu voilé, a expressivement traduit les cantilènes. Mlle Louise Grandjean a fait admirer une fois de plus, dans le rôle de Phèdre, cette incomparable puissance dramatique, cette beauté tragique et cet éclat sonore, qui font d’elle la superbe Yseult que l’on sait.

Toutes deux ont été, à plusieurs reprises, l’objet d’acclamations et de bis enthousiastes.

Mlle Lucy Arbell, une fort jolie femme, possède un tempérament d’artiste indéniable, mais elle abuse de certaines notes de poitrine un peu rauques et « caverneuses » que sa qualité de reine des enfers n’excuse pas.

Louons en Mlle Demougeot une Cypris que les immortels ne se lasseraient pas plus d’entendre que de regarder, et avouons à Mlles Mendes et Laute que leurs soprani nous ont charmé.

La déclamation ample et vigoureuse et le beau style de M. Delmas, l’exquise fraîcheur du timbre de M. Muratore ont donné toute sa valeur à la musique de M. Massenet si merveilleusement vocale. Il serait injuste d’oublier leurs éloquents comparses, MM. Triadou et Stadler.

Que dire des pieds légers, des jambes expressives de Mmes Zambelli et Sandrini, de leurs sourires, et de leur grâce qui ne soit inférieur au plaisir qu’elles nous ont procuré ?

L’orchestre et les chœurs, sous la direction ferme et avisée de M. Paul Vidal, n’ont pas failli à leur tâche. Toutefois, il me serait doux de penser que les gracieuses vierges d’Athènes se défendent quelquefois mieux qu’elles n’« attaquent ».

Louis Artus

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(1842 - 1912)

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