La Belle au bois dormant de Silver
« La Belle au Bois Dormant »
C’est irrévocablement mardi que s’accomplira un acte de décentralisation qui marquera dans les annales du Grand-Théâtre de Marseille, et dont l’importance mérite, de ce fait, une attention toute particulière. Trois auteurs parisiens n’ont pas hésité à venir présenter leur œuvre à un public de province, et ce public saura, nous l’espérons, montrer que, lui aussi, il sait apprécier la valeur d’une production artistique a l’égal du public de la capitale.
La Belle au Bois dormant, féerie-lyrique en 4 actes et 9 tableaux, est due, pour le poème, à MM. Michel Carré et Paul Collin, deux écrivains de talent et hommes de théâtre expérimentés. La musique est de M. Charles Silver, grand-prix de Rome en 1891, brillant élève de Massenet, qui fondait sur le jeune compositeur des espérances aujourd’hui devenues des réalités, car M. Silver a déjà produit dans divers genres des œuvres estimées des meilleurs juges.
Si les librettistes n’ont rien inventé quant au sujet de leur pièce, tirée, comme Cendrillon, des Contes de Perrault, ils l’ont rajeuni, présenté en dés tableaux très habilement enchaînés, et le musicien n’a pu qu’être inspiré par cette série de délicieuses scènes dont les merveilleux décors, d’un aspect féerique, vont faire l’admiration des spectateurs. Ceux qui savent écouter auront, en plus du charme des yeux, le plaisir de goûter une partition qui contient des pages d’une infinie délicatesse et d’une distinction qui, du reste, caractérise l’œuvre musicale de M. Silver.
Conçue dans la forme moderne — et il n’y en a plus d’autre possible — l’orchestre joue dans la Belle au Bois dormant un rôle prépondérant, soulignant les situations, et rendant sensible l’état d’âme des personnages. Est-ce à dire que la mélodie, comme on l’entend vulgairement, soit absente de l’œuvre de M. Silver ? Oh ! que non, et on s’en convaincra dans de nombreux passages tels que les duos entre Aurore et le Prince Charmant ; bien d’autres encore et surtout les nombreux airs de ballet, d’une rare originalité d’inspiration, de rythmes neufs et piquants ; sans parler de ces délicieuses phrases qui, passant d’un instrument à l’autre, circulent dans 1’orchestre et le rendent du plus captivant intérêt. Ne pouvant nous laisser glisser sur la pente d’une analyse détaillée, il suffira maintenant, pour l’éclaircissement des futurs auditeurs, de mentionner les tableaux, nombreux comme il convient dans une féerie qui se respecte.
Premier tableau : le Baptême, prologue, dans lequel chaque fée vient faire un don à la jeune princesse. Jolie scène troublée par la mauvaise fée Urgèle, oubliée dans les invitations.
Puis se succèdent : Le sommeil d’Aurore ; Cent ans révolus : la Caverne de la fée Urgèle ; la Grotte d’Azur ; la Forêt enchantée ; la Belle au Bois dormant, le Réveil, les Fées, apothéose. En tout neuf tableaux. C’est à la scène de la forêt enchantée que se produisent les merveilles de machinerie récemment décrites ici même par notre collaborateur Vincent, et que l’on jouira du superbe décor de Michelon, un maître peintre qui a réalisé le rêve du poète. Des autres détails de la mise en scène, du règlement des tableaux chorégraphiques, nous parlerons après la représentation.
Quant à l’exécution musicale, on sait que le rôle double de la reine et de la princesse Aurore, la Belle au bois dormant, est confié à Mme Bréjean-Silver. Et nul mieux que l’excellente cantatrice, applaudie chaque soir, ne pouvait rendre la pensée intime du compositeur qui a inscrit sur la première page de sa partition : « À ma chère femme ! » À côté de Mme Silver, le ténor Cornubort, le prince Charmant ; Chalmin, l’excellent comédien, dans le rôle bouffe de Barnabé ; MM. Dufour, Danse, Comengra ; Mmes Passama, de Véry, Vialas, Gerald, Girard, complètent un ensemble de tout premier ordre.
L.L. Gozlan.
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/Michel CARRÉ Paul COLLIN
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publication date : 18/09/23