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Ariane. Interview de Catulle Mendès

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À l’Opéra. — « Ariane », de MM. Catulle Mendès et Massenet. — Interview de M. C. Mendès.

C’est toujours chez les grands écrivains et les grands artistes, dont les minutes sont pourtant si précieuses, que l’on trouve le plus cordial et le plus sympathique accueil. Je viens d’en faire encore l’expérience aujourd’hui.

M. Catulle Mendès, surmené par les répétitions de la « Vierge d’Avila », se prête cependant, avec sa bonne grâce habituelle, à mon interview.

— Le caractère d’Ariane, me dit le célèbre critique, est un des plus charmants et des plus joliment amoureux de l’antiquité. Cette femme aime pour l’amour même ; elle sait qu’elle sera trahie, abandonnée ; que lui importe. Elle préfère satisfaire les désirs de son cœur quitte à verser ensuite bien des pleurs. Elle aime avec abnégation, désintéressement... Oserai-je-dire, c’est presque un caractère de chrétienne ? « Ariane » demeure donc, avec tout, sympathique. Entre « Ariane » et « Médée », on pourrait faire un parallèle. Toutes deux sont des amoureuses ; toutes deux sont abandonnées, mais Ariane, douce et tendre, accepte son sort, avec résignation et pardonne à l’infidèle, tandis que Médée, farouche et violente, se venge de Jason en tuant ses enfants.

— Y a-t-il longtemps que vous avez songé à écrire cet ouvrage ?

— Dans « Philomela », mon premier recueil de vers (que ces temps sont éloignés !), j’avais déjà tracé un petit poème où j’évoquais le souvenir douloureux de cette princesse... Mais ce n’est que ces toutes dernières années que l’idée me vint d’écrire un opéra sur Ariane. Je ne suis, d’ailleurs, pas le premier qui ait traité ce sujet. Je crois me souvenir (en dehors des tragédies dont la plus intéressante est celle de Thomas Corneille) d’une « Ariane à Naxos » de Monteverde, de l’« Ariane » de Cambert.

Mouret a laissé également « Ariane et Thésée », et Edelmann « Ariane dans l’île de Naxos ». Et toutes ces œuvres, bien qu’oubliées, n’étaient pas assurément sans valeur...

— Et sur l’œuvre de Massenet, quel jugement pouvez-vous porter ?

— Je crois que la partition d’« Ariane » est de beaucoup supérieure à tout ce que Massenet a écrit. Il y a surtout deux actes qui, à mon avis, resteront parmi les plus belles pages écrites par le maître.

— La musique d’« Ariane » se rapproche-t-elle de celle de « Manon » ou du « Cid » ?

— Ariane est plus lyrique, plus violente que Manon, quoique les plaintes et les larmes de la fille de Minos soient rendues avec beaucoup de douceur et de tendresse. L’œuvre est un peu conçue dans le genre du drame musical primitif de Gluck et surtout de Méhul.

Quant à moi, j’ai fait un livret en stances de différentes longueurs et de différentes formes, m’inspirant beaucoup de la tradition de Quinault et de son époque. Je pense que cette manière a plu beaucoup à Massenet, car chose curieuse, le grand compositeur ne m’a pas demandé une seule modification au livret. Telle mon œuvre a été écrite, telle elle sera représentée. Je ne puis également que me louer de M. Gailhard qui fut un metteur en scène aussi dévoué que directeur compétent.

— Et à vos interprètes, maître, vous n’avez rien non plus, je pense, à reprocher ?

— Me poserez-vous encore cette question quand vous saurez qu’ils ont noms Muratore et Delmas, et que Mlles Bréval, Grandjean, Arbell et Demougeot personnifient Ariane, Phèdre, Persephone et Cypris !

— Quelques mots encore sur les décors dont un surtout est, dit-on, très curieux ?

— Oui, le second acte donnera une illusion curieuse et fort originale d’un navire en pleine mer. La galère sera suffisamment grande pour contenir quarante personnes. C’est vous dire qu’elle occupera presque toute la scène de l’Opéra. Mais ce vaisseau ne bougera pas. Nous avons eu peur qu’en lui imprimant les mouvements de tangage, les chanteurs n’aient le mal de mer. Les décorateurs (Amable et Jambon), pour donner cependant l’illusion de la marche et du mouvement, font défiler les nuages, les rochers, l’horizon... l’acte se termine quand on aborde à Naxos.

Quant au premier acte, il se déroule devant l’antre du Minotaure, et le troisième devant le palais de Naxos. C’est là que le drame, jusque-là empli seulement par la passion d’Ariane et de Thésée, prend toute son ampleur.

Le quatrième acte se passe aux enfers. Proserpine règne en ce séjour funèbre, longue, pâle, hiératique, tenant en main le lys noir.

Enfin le cinquième acte est rempli tout entier par les lamentations d’Ariane, abandonnée au bord de la mer, et que les sirènes, doucement, tout doucement, entraînent dans la mer, dans l’oubli de tous les chagrins...

H. M. de Saint-Georges.

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Composer, Pianist

Jules MASSENET

(1842 - 1912)

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Ariane

Jules MASSENET

/

Catulle MENDÈS

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