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La Vestale de Spontini

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Académie impériale de musique

Première représentation de La Vestale, tragédie lyrique, en trois actes, de M. Jouy, musique de M. Spontini.

Si les chutes bruyantes sont rares à l’Opéra, les succès aussi brillans que celui de la Vestale sont encore plus rares ; ajoutons que ce succès a été mérité. Un sujet heureux, une action simple, intéressante, conduite avec sagesse, développée avec clarté, une versification correcte & facile, que demander de mieux au poëte ? une musique charmante & harmonieuse, qui respecte toujours la prosodie & s’adapte toujours aux situations, qu’exiger de plus du compositeur ? Joignez à cela, de belles décorations, un spectacle imposant, des ballets de MM. Gardel et Milon, exécutés par les premiers sujets de la danse, & vous aurez un ensemble digne de l’assemblée nombreuse & choisie qui s’était réunie pour en jouir, & qui l’a applaudi avec enthousiasme.

Licinius, jeune Romain d’une famille plébéienne, était amoureux & aimé de Julia. N’osant se flatter d’obtenir sa main du chef d’une des premières maisons de Rome, il a pris le parti des armes. La gloire & la fortune l’ont secondé ; au bout de cinq ans il revient dans sa patrie pour y rentrer en triomphateur ; mais durant son absence, les parens de Julia l’ont forcée de se consacrer au culte de Vesta. Tel est l’état des choses au commencement de la pièce. Licinius en fait le récit à son ami Cinna, qui frémit des dangers auxquels il s’expose en persistant dans son amour, & lui promet cependant de servir ses projets.

À cette scène succède une marche des vestales, qui chantent l’hymne du matin. La grande vestale, restée seule avec Julia, lui fait ensuite des reproches sur la tiédeur qu’elle porte dans le culte de la déesse, & lui déclare qu’elle sera chargée de poser la couronne sur la tête du triomphateur. Julia veut en vain s’en défendre ; la pompe triomphale commence, & l’on peut juger de l’intérêt du moment où Licinius, prosterné aux pieds de son amante, instruit qu’elle doit garder le feu sacré dans la nuit qui va suivre, reçoit de ses mains la couronne, & ose lui demander un rendez-vous dans le sanctuaire même de Vesta, malgré les avis de Cinna qui, voyant Julia & son ami surveillés & presque soupçonnés par le grand pontife & la grande vestale, l’exhorte avec inquiétude à se contenir. Les jeux ; les danses, les combats simulés qui accompagnent les triomphes, terminent ce premier acte.

Le second se passe tout entier dans le temple de Vesta. La grande prêtresse, après avoir chanté l’hymne du soir, remet à Julia la garde du feu sacré. La situation de la jeune Vestale est très dramatique : balancée entre son devoir & son amour, elle sait que Licinius attend à la porte du temple, & elle n’ose l’y faire entrer. Cependant le délire de la passion l’emporte ; la vie n’est rien pour elle, au prix d’un entretien avec son amant : elle ouvre la porte fatale & va tomber presque évanouie au pied de l’autel.

L’entrevue de Licinius & de Julia a le résultat que l’on devine, Licinius la presse de recevoir sa foi ; le feu sacré pâlit ; Julia résiste ; elle attise le feu ; les deux amans invoquent la déesse ; feu brille d’un nouvel éclat. Julia, trop rassurée, s’en éloigne, elle ne songe plus qu’à son amour ; elle reçoit de Licinius, elle lui fait des sermens coupables ; ils veulent les répéter sur l’autel même de Vesta ; mais avant cette profanation la flamme céleste est éteinte.

Le trouble augmente par l’arrivée de Cinna qui veillait sous les murs du temple. Il annonce à Licinius qu’on les a découverts ; qu’un peuple en fureur s’approche ; qu’il n’a plus qu’un moment pour s’échapper. Licinius refuse de fuir ; il voudrait défendre Julia & mourir avec elle ; mais les instances réitérées de son ami & de Julia le décident ; il se retire avec Cinna pour s’occuper des moyens de sauver la Vestale.

La dernière partie de cet acte est de la couleur la plus sombre & la plus tragique. Les prêtres entrent d’un côté, les Vestales de l’autre. Julia ne cherche point à se défendre, mais refuse de dénoncer son amant. Le grand pontife prononce sur elle le fatal anathème ; on la dépouille de ses ornemens ; on la couvre d’un crêpe funèbre, & dans cet état on la livre aux mains des licteurs.

La décoration du troisième acte représente le champ d’exécration (secleratus campus), où les Vestales criminelles étaient enterrées toutes vives. Licinius seul se livre à son désespoir ; il a chargé Cinna de sonder les intentions du peuple & de l’armée ; il a cependant rassemblé quelques amis fidèles, quelques guerriers d’élite qui paraîtront lorsqu’il en sera tems ; mais il conseille à Licinius de solliciter auparavant la faveur du grand-prêtre, qui seul peut pardonner au nom des dieux à Julia. Licinius y consent ; le grand-prêtre paraît & demeure inflexible ; Licinius va rejoindre ses amis.

Le cortège funèbre s’avance ; Julia fait ses adieux à ses compagnes ; le grand-prêtre tente la dernière épreuve qui peut la sauver. On place le voile de Julia sur l’autel même où le feu sacré s’est éteint par sa négligence ; s’il se rallume, s’il consume le voile de Julia, Vesta lui pardonne, elle est sauvée. Ce momens est du plus bel effet ; les jeunes Vestales font le tour de l’autel regardant d’un œil inquiet si le miracle s’opère ; leur espoir est vain, & Julia entre dans sa tombe.

C’est alors que Licinius se montre avec ses amis armés ; il déclare que Julia n’est point coupable, qu’il s’est introduit dans le temple à son insu ; il va se punir lui-même, pourvu qu’elle vive. Mais son amante ne lui cède point en générosité ; déjà dans la tombe, elle crie qu’elle en connaît pas Licinius. Les prêtres veulent les faire périr l’un & l’autre ; de deux côtés on tire l’épée, le combat s’engage, mais un heureux prodige vient le terminer ; le ciel s’obscurcit, la foudre gronde ; elle descend sur l’autel, le feu sacré se rallume, le voile de Julia est consumé ; le grand-prêtre déclare que Vesta est apaisée, qu’elle consent à l’union de Julia et Licinius ; & les fêtes qui doivent la célébrer dans le temple de Vénus Erycine, terminent de la manière la plus brillante ce spectacle aussi pathétique qu’imposant.

Nos lecteurs sont unanimement à portée d’apprécier la justice des éloges que nous avons donnés à la conception & à la conduite de ce poëme ; ils auront remarqué que tous les indicens y naissent les uns des autres, que l’intérêt va toujours en croissant, que les situations y sont dramatiques, sous le double rapport de l’art tragique & de l’art musical. Ils auront aussi remarqué avec quelle adresse l’auteur a préparé le prodige qui seul pouvait lui donner un dénouement heureux. Il commence par rappeler la tradition qui permettait aux vestales condamnées d’espérer ce prodige ; il en fait tenter l’épreuve vainement ; lorsqu’il s’opère ensuite de lui-même, le public goûte le plaisir de la surprise, sans le sentiment fâcheux de l’invraisemblance, qui ne gâte que trop souvent cette sorte de plaisir.

Nous voudrions pouvoir justifier de même ce que nous avons dit du style de M. Jouy. Des citations en seraient le meilleur moyen ; mais l’espace nous manque. Répétons cependant encore que la versification nous a paru très convenable au genre lyrique, ornée sans être pompeuse, douce & harmonieuse sans être faible ni recherchée. Quelques taches restent encore, au moins dans l’ouvrage imprimé ; mais il sera facile à l’auteur de les faire disparaître.

M. Spontini doit partager avec le poëte le mérite de ce beau succès. Sa facture est élégante, sa mélodie pleine de douceur, ses accompagnemens variés, savans, & toujours ménagés de manière à augmenter les effets du chant sans le couvrir, à donner plus de force aux situations dramatiques, sans faire oublier un moment ni le poëte, ni les chanteurs. La plupart des airs & des morceaux d’ensemble ont été applaudis avec un véritable enthousiasme. Ceux que nous préférons sont, dans le premier acte, l’hymne du matin & le final ; l’hymne charme par sa teinte religieuse, par sa majesté mêlée de douceur. Dans le final, le chœur des guerriers & des femmes offre un contraste du plus bel effet ; & l’impression du quatuor entre le pontife, la grande Vestale, Cinna & Julia, égale ce que peuvent faire éprouver les meilleurs morceaux des plus grands maîtres. Le second acte passe en général pour le plus beau, & nous ne saurions donner nous-mêmes trop d’éloges à la dernière partie qui suit la fuite de Licinius. La prière à Latone, admirablement chantée par Mme Branchu, est de la mélodie la plus suave, de l’expression la plus pathétique. Le chœur final, De son front que la honte accable, n’est pas d’une moindre beauté. Mais nous ne sommes pas aussi satisfaits de ce qui précède. Le trio entre la Vestale, Licinius & Cinna, nous a paru d’un chant un peu vague, & la scène entre la Vestale & Licinius, quoiqu’écrite avec beaucoup de talent, n’est pas, selon nous, ce qu’elle devrait être. Ce n’est point de l’autel de Vesta que les deux amans devraient s’occuper ; l’égarement de l’amour devrait leur faire oublier tout ce qui les environne ; ce ne serait pas trop, à ce que nous croyons, de toute l’ivresse du duo d’Armide pour remplir cette situation : l’effet général de l’acte y gagnerait beaucoup ; un pareil morceau ferait disparaître entièrement un peu de monotonie qu’on lui reproche. Est-ce à la décence que les auteurs ont sacrifié en peignant ce tableau d’une autre manière ? Ce motif serait sans doute respectable ; mais peut être vaudrait-il mieux que Julia & son amant, en donnant davantage au culte de Vénus, montrassent plus de respect pour celui de la chaste déesse.

Nous soumettons cette observation aux auteurs, en regrettant qu’elle nous ôte l’espace nécessaire pour parler en détail des beautés musicales du troisième acte & des airs de danse, dont plusieurs sont si agréables qu’on les entendrait avec plaisir, même sans voir danser.

Nous finirons cet article en rendant justice aux acteurs, & principalement aux actrices. Mlle Maillard a chanté, avec beaucoup de talent, l’hymne du matin, & Mme Branchu a été admirable toutes les fois qu’elle n’a pas exagéré les éclats de sa voix, si pure & si mélodieuse. Lays a chanté avec le goût & le talent qu’on lui connaît ; Lainez a mis dans son rôle toute la chaleur & toute l’expression dont il a coutume d’animer la scène. Les belles cordes basses de la voix de Derivis, employées avec beaucoup d’art par M. Spontini, ont produit dans le récitatif les plus heureux effets. Disons enfin qu’on a demandé vivement les auteurs, & que M. Spontini, & après lui Mme Branchu, sont venus recueillir les applaudissemns de l’assemblée.

S. M. l’impératrice a honoré de sa présence cette représentation ; elle a été reçue avec cet enthousiasme qu’elle est toujours sûre d’inspirer.

G.

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Gaspare SPONTINI

(1774 - 1851)

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Gaspare SPONTINI

/

Étienne de JOUY

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