Cendrillon d’Isouard
Théâtre de l’Opéra-Comique.
Première représentation de Cendrillon, opéra-comique en trois actes de M. Etienne, musique de M. Nicolo.
Qui n’a pas lu les contes de ma Mère l’Oye ? qui n’a pas pris intérêt à cette pauvre Cendrillon, opprimée par deux sœurs jalouses qui en ont fait leur servante ; & protégée par une bonne fée, sa marraine, qui lui donne de si jolies pantoufles de verre & lui fait épouser un roi ? Un sujet soutenu par de tels souvenirs pouvoit tenter un auteur dramatique, quoiqu’il offrît plus d’une difficulté. Voyons comment M. Etienne a profité des uns & a combattu les autres.
On sait que la géographie n’est pas la partie brillante des contes de fées ; on y voit presque toujours des rois, mais on ne sait guères dans quel pays ils ont régné. M. Etienne, à cet égard, n’a pas mieux fait que le conte. Tout ce que l’on peut supposer, c’est que la scène se passe en Italie, puisque nous nous trouvons au lever de la toile chez le baron de Montefiasconne. Les deux sœurs favorisées sont assises auprès d’une toilette, & Cendrillon dans un coin de la cheminée attise le feu & prépare le déjeuner. Un mendiant se présente ; les deux aînées le repoussent, mais Cendrillon l’accueille malgré elles, l’engage à se chauffer & lui donne du pain & du lait. Le mendiant retiré, le baron paroît en robe-de-chambre. C’est une espèce d’imbécile fort entiché de l’antiquité de sa race, qu’il fait descendre de Charles-le-Simple par les hommes, de Frédéric-le-Cruel par les femmes, & qui, dit-il, n’a point dégénéré. Il se met à table avec ses deux aînées. Cendrillon les sert, & pour la punir d’avoir donné au mendiant une partie du lait qui ne lui appartenoit pas, elle est condamnée à manger du pain sec. Un bruit de chasse se fait entendre & bientôt on voit rentrer deux personnages dont l’un, que l’on reconnoit pour le mendiant de la première scène, quoiqu’il ait changé d’habits, se donne pour le sage Alidor, instituteur du roi. Il annonce au baron que le monarque va paroître lui même, & qu’il vient chercher ses filles pour les conduire dans ses carrosses à un bal qui se donnera le soir même à la cour. C’est à ce bal que le roi doit se choisir une épouse, on peut juger du désir qu’ont les deux damoiselles d’y paroître à leur avantage. Elles se retirent donc pour s’habiller avec magnificence. Le père les accompagne, & Cendrillon sort de son côté. Pendant que les unes s’occupent de leur toilette & l’autre des soins du ménage, le sage Alidor s’entretient avec son compagnon de voyage qu’il a fait passer d’abord pour un simple écuyer ; & c’est dans cet entretien que s’achève l’exposition commencée entre le baron & ses filles, mais que nous plaçons ici toute entière pour plus de commodité.
Il faut donc savoir que le dernier roi du pays avoit confié l’héritage présomptif de sa couronne, à peine sorti de l’enfance, aux soins du sage Alidor. Le prudent gouverneur, qui se mêle aussi de magie, a fait voyager son élève. Le roi est mort avant le retour de son héritier, & a fait un testament par lequel son fils doit se marier dans un mois. Alidor l’a ramené bien vite ; mais afin que le prince puisse trouver une épouse qui l’aime pour lui-même, il s’est avisé d’un stratagème assez singulier. C’est sous l’habit & le nom d’un simple écuyer qu’il doit chercher à plaire, tandis qu’un certain sénéchal, personnage fort ridicule, prendra les habits & le nom du roi, & tentera ainsi l’ambition des femmes. L’épreuve jusqu’ici n’a pas été heureuse ; le prince, malgré tout son mérite, n’a pu faire une seule conquête ; le sénéchal, malgré sa sottise, n’a eu qu’à paroître pour conquérir. Cependant le mois de délai expire avec la journée ; il faut se décider, & c’est sans doute dans l’espoir que Cendrillon aimera & touchera le prince, qu’Alidor l’a amené chez le baron.
Elle paroît en effet & trouve le faux écuyer fort gentil ; l’écuyer la regarde avec complaisance, mais leur scène est interrompue par l’arrivée du sénéchal qui représente le roi. Le vieux baron est enivré d’une telle visite. Le sénéchal l’emmène avec ses filles. Cendrillon est condamnée par ses sœurs & par son père à garder le coin du feu ; mais le sage Alidor la rassure en lui promettant qu’elle viendra à la cour comme ses sœurs.
Ainsi finit le premier acte. Nous analyserons les autres plus rapidement. Le second commence par l’accomplissement des promesses d’Alidor. Cendrillon, vêtue magnifiquement, paroît endormie sur les marches du trône. Qu’on juge de sa surprise à son réveil. Elle est embarrassée de sa parure, embarrassée de paroître à la cour sans éducation, sans talens, & sur-tout bien alarmée de l’idée de retrouver son père & ses sœurs. Alidor vient à son aide ; il lui donne une rose qu’elle place à son côté & qu’il lui recommande de conserver avec le plus grand soin, car cette rose empêchera qu’on ne la reconnoisse, la fera aimer de tout le monde & lui donnera tous les talens qu’elle n’a pas. Les merveilleux effets du talisman se manifestent à l’instant même. Le baron & les deux sœurs arrivent & prennent Cendrillon pour une dame de la cour ; mais si son air a changé, son cœur est toujours resté le même ; elle embrasse ses deux jalouses & les comble de présens. Le prince, toujours en simple écuyer, paroît ensuite & s’enflamme pour Cendrillon. On va donner un tournois ; il veut y paroître sous ses auspices, & non moins éprise de lui, elle l’accepte pour chevalier. Il sort, remporte le prix & revient lui en faire hommage. Cependant, l’instant où les jeunes filles qui prétendent à la main du monarque doivent se présenter à lui, est arrivé. Le sénéchal se place sur le trône ; l’une des filles du baron danse pour le séduire ; l’autre déploye ses talens pour le chant ; Cendrillon, toujours modeste, reste assise sur un tabouret ; mais le prince la prend par la main & il faut bien qu’elle se montre. Elle chante & danse tout-à-la-fois avec tant de goût & de grace que le faux écuyer n’y tient plus & lui offre une couronne, comme à l’épouse du roi. Mais le sénéchal, dont le rôle n’est pas encore fini, descend de son trône & se présente pour lui donner la main. Cendrillon est désemparée ; c’est l’écuyer seul qu’elle aime, & pour échapper à un trône où elle ne siégeroit pas avec lui, elle jette sa rose, se précipite dans la foule & disparoit.
On voit que, dans cet acte, M. Etienne n’a rien emprunté au conte de Perrault ; mais nous croyons qu’il y a quelques obligations à un autre conte intitulé Les Trois Ceintures, & qui parut dans le Mercure il y a quelque tems. Quoi qu’il en soit, c’est à Perrault qu’il est revenu pour son troisième acte, beaucoup moins long que les deux premiers. On apprend au commencement que Cendrillon a perdu une de ses pantoufles, & que le prince à qui on l’a remise a engagé, par une proclamation, toutes les prétendantes à venir la réclamer. Le dénouement se fait aussi comme le conte. Cendrillon seule peut prouver ses droits à la pantoufle, en produisant la pareille. Alidor lui rend sa rose ; elle recouvre, aussi-tôt & sa parure dont elle avoit été dépouillée & les talens qu’elle avoit perdus ; le prince l’épouse, & se charge de la fortune de ses sœurs. Le reste de l’acte est rempli par des scènes entre ces deux sœurs & le sénéchal qu’elles dédaignent, depuis qu’il a repris son premier état.
Quoique cet acte soit inférieur au premier pour l’intérêt, & au second pour la pompe du spectacle, on voit que l’ouvrage en général ne manque ni de pompe ni d’intérêt. Son succès a été aussi grand que l’empressement du public à le voir ; & c’est beaucoup dire, car toutes les loges étoient louées quinze jours d’avance, & toutes les autres places étoient prises à l’heure où l’on ouvre ordinairement les bureaux. Sans vouloir troubler le triomphe de l’auteur, nous croyons cependant pouvoir dire que, s’il a profité en habile homme des avantages de son sujet, il n’en a pas éludé de même les inconvéniens. La moralité en est un peu niaise. Les deux sœurs jalouses paroissent calquées sur le même modèle ; ce sont deux rôles qui n’en font qu’un. On peut en dire autant du sénéchal & du baron, que Lesage & Juliet représentent ; ce sont deux imbéciles du même ordre, & c’est trop de deux partout ailleurs qu’aux Variétés. Le rôle du roi, joué par Paul, & celui du sage Alidor, par Solié, sont assez insignifians ; mais la manière dont ceux des trois sœurs sont remplis, permet à peine d’apercevoir ces défauts. Mme Duret & Mlle Regnault jouent les deux aînées. On connoit le talent de ces deux cantatrices ; elles excellent dans leur art ; & la différence que le poète n’a point mise dans leurs caractères, se trouve dans leur méthode & dans leurs moyens. Mademoiselle Alex. Saint-Aubin jouoit Cendrillon ; ce rôle & même l’ouvrage ont été composés pour elle : on voit peut être un peu trop que les autres personnages lui sont sacrifiés. Au reste, elle y a déployé ce talent si vrai, si naïf, si aimable qui lui a concilié la bienveillance du public. Elle a chanté avec plus de méthode & de sûreté que dans aucun de ses autres rôles ; elle a dansé avec beaucoup de grâce & de légèreté. On l’a demandée après la pièce avec les auteurs, & elle s’est rendue aux désirs du public, ainsi que M. Nicolo, auteur de la musique.
Nous n’en avons point encore parlé & nous n’en dirons que peu de chose. L’ouverture est une symphonie concertante dont la harpe & le cor devoient faire les honneurs, & le cor étoit trop foible. On a fait entrer assez heureusement dans l’introduction à l’italienne le petit air de Carabi, chanté par Cendrillon ; mais du moment où le mendiant paroît, on a peine à saisir la liaison des parties. Dans le premier duo, que chantent Mme Duret & Mlle Regnault, on admire les cantatrices, on cherche le compositeur. Leur second duo, où elles se raillent mutuellement, offroit un sujet neuf à notre opéra-comique, mais il en rappelloit plusieurs du même genre à l’Opéra-Buffa (entr’autres celui des deux Jumeaux : Fate largo a madamina), & ne les rappeloit que pour les faire regretter. L’air de Mme Duret n’a produit que peu d’effet, malgré la beauté de sa voix. Un duo entre le prince & Cendrillon auroit plu d’avantage, si le motif n’étoit emprunté d’un air très-connu. En général, cette composition offre trop de réminiscences. Les morceaux qui ont fait le plus de plaisir sont la romance de Cendrillon au premier acte & l’air de Mlle Regnault au dernier. Nous avons eu déjà l’occasion d’engager M. Nicolo à se méfier de sa fécondité & de sa mémoire. Il a fait preuve, dans quelques ouvrages, d’un véritable talent ; mais il l’usera s’il le fatigue ; & dans son art comme dans tous les autres, ce n’est pas le nombre, mais la supériorité des ouvrages qui fonde les réputations.
G.
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publication date : 15/09/23