Théâtre de l'Opéra-Comique. Première représentation. Angéla
THÉÂTRE DE L’OPÉRA-COMIQUE.
Première représentation d’Angela, ou l’Atelier de Jeun Cousin, Opéra en 1 acte.
Après les romans historiques, il faut convenir que rien ne travestit mieux l’histoire que les pièces anecdotiques. Plusieurs succès, obtenus sur les théâtres du second ordre, ont mis long-temps ce genre à la mode. On ne venait plus faire un cours d’histoire au Vaudeville ou aux Variétés ; le spectateur était indulgent pour les anachronismes, et même pour les faits controuvés ; car je pourrais citer tel de ces ouvrages où on a pris, pour faire agir le héros, précisément le contrepied de la vérité.
La manie des pièces anecdotiques était devenue tellement forte, que les auteurs vivants, pour peu qu’ils eussent quelque célébrité, ne pouvaient se flatter d’échapper à l’immortalité que leur destinait, bon gré malgré, quelques chansonniers, qui semblaient les guetter et leur dire, comme Boniface Chrétien :
Mourez quand vous voudrez, et comptez là-dessus.
J’ai vu le moment où un homme qui avait eu quelque succès, serait obligé de défendre, par sou testament, que l’on fit son apothéose sur le théâtre, comme des riches bienfaisants et modestes ordonnent qu’on les inhume sans aucune pompe. Heureusement cette façon d’illustrer les gens s’est un peu ralentie, et il est à peu près permis à présent à tout auteur existant de mourir incognito.
Cependant, pour ne pas en perdre l’habitude, les poëtes nécrologiques montrent encore de temps vu temps, sur la scène, quelques morts illustres, qu’ils prennent seulement à une époque plus reculée. Malheureusement ce champ, jadis si productif, est à peu près épuisé. Parmi les poëtes, Voltaire, Boileau, Racine, La Fontaine, etc., y ont passé. Veut-on se rabattre sur les artistes, nous avons, sur nos petits théâtres, une galerie des plus complètes de portraits de peintres.
L’Opéra-Comique, qui parfois sacrifie aussi au genre anecdotique, su néanmoins en découvrir un, dont le nom, plus obscur, avait échappé jusqu’ici aux hérauts de la renommée, et il nous a montré Jean Cousin dans son atelier.
Si Jean Cousin est peu connu aujourd’hui, ce n’est pas qu’il ne fût un homme étonnant pour son siècle ; c’est le premier Français qui ait acquis quelque réputation dans l’art de la peinture ; et, comme Michel-Ange il ne se distingua pas moins dans celui de la sculpture. Ajoutez à ces deux talents celui d’écrivain, puisqu’il a composé plusieurs ouvrages sur la géométrie et la science de la perspective, et vous verrez que Cousin a était pas un artiste vulgaire. La considération que devait à cette époque lui attirer cette réunion de talents, a permis à l’auteur de l’opéra nouveau de grouper autour de lui plusieurs personnages du plus haut rang.
Diane de Poitiers, dont Jean Cousin a fait la statue, et qu’il a représentée avec les attributs de la Diane pudique de la Chasse qui ne lui conviennent pas tous également, a été enchantée de cet ouvrage, et non contente de l’avoir payé en reine, elle veut procurer à l’artiste un riche et brillant établissement. Occupé entièrement de son art, et à peu près aussi insensible aux charmes de la fortune et de l’ambition ceux de l’amour, Jean Cousin laisse agir sa protectrice, et retrace assez le caractère de cet homme qui consent à tout pourvu qu’il ne se mêle de rien. Cependant, cet artiste, presqu’aussi froid que le marbre qu’il travaille, a inspiré une passion très vive à la charmante Angela, jeune orpheline qu’il a recueillie chez lui. Nouvel Artiste, Jean Cousin s’obstine à ne pas s’apercevoir de l’amour très évident de sa pupille. En vain la jeune personne a rejeté également les vœux de l’amiral Bonnivet, de Clément Marot et d’Anselme, élève de l’artiste ; en vain elle a fait perdre tout espoir au grand seigneur et au poète, en livrant à chacun d’eux les billets doux de l’autre : Cousin n’attribue qu’à la sagesse de sa protégée ce triple refus.
Diane, qui croit un peu moins au pouvoir de cette vertu, v soupçonne un autre motif ; bientôt elle pénètre le secret d’Angela, et, pour le bonheur même du peintre, elle renonce à son premier projet. Cependant, c’est le jour même que doit se décerner le prix d’un concours de dessin, institué par le protecteur des beaux-arts, par François Ier, Jean Cousin en est le juge principal. Un chef d’œuvre réunit tous les suffrages, et excite son admiration ; c’est son portrait qu’a tracé en secret la sensible Angela. Tant de reconnaissance, d’amour et de talent triomphe de l’indifférence de l’artiste, et il épouse son heureuse pupille.
Je ne reprocherai pas à cette pièce quelques anachronismes un peu forts ; ce sont les péchés véniels du genre ; mais ce qui ne doit pas obtenir la même indulgence, c’est une intrigue glaciale et embarrassée d’une foule de longueurs et de plusieurs scène parasites. Le dialogue ne contribue pas à réchauffer l’action ; il a beaucoup de longueur et peu de mots heureux. Ce n’était pas la peine de réunir toute la brillante cour de François Ier, et d’amener sur la scène ce Clément Marot, dont le nom seul rappelle encore la plus ingénieuse galanterie, pour ne pas tirer meilleur parti de tous ces avantages.
L’auteur, qui ne pouvait guère se dissimuler le vide et la langueur de son action, a voulu quelquefois l’égayer par des plaisanteries assez inconvenantes, que se permettent quelques-uns des personnages avec Diane de Poitiers, il y a ici défaut de goût et maladresse. Quand on risque de mettre sur la scène, tranchons le mot, une femme galante, il ne faut pas avertir soi-même le public de cette hardiesse.
La musique, faite en société, par Me Gail, à qui l’on doit celle des deux Jaloux, et Mr Boyeldieu n’a point paru répondre à la réputation de ces deux compositeurs, quoiqu’elle offre plusieurs motifs agréables, il en est malheureusement quelques-uns qui font trop souvenir de quelques ouvrages, que Mr Boyeldieu n’avait pas besoin de nous rappeler ainsi.
La pièce est jouée avec assez d’ensemble. Mme Belmont, vouée aux grandes princesses, représente avec noblesse Diane de Poitiers, et Mlle Régnault chante le rôle d’Angela avec son talent ordinaire.
L’auteur du poëme a gardé l’anonyme. Cependant le succès obligé, j’entends celui que décident les amisplacés au parterre, n’avait point été douteux. Je n’en dirai pas autant du succès véritable, celui qui résulte d’une égale satisfaction de tous les spectateurs.
E.
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François-Adrien BOIELDIEU Sophie GAIL
/G. MONTCLOUX D'ÉPINAY
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publication date : 23/09/23