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À l'Opéra de Monte-Carlo. Roma

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À L’OPÉRA DE MONTE-CARLO
ROMA PAR J. MASSENET

Monte-Carlo, 17 février.

Roma est, après Chérubin, Le Jongleur de Notre-Dame, Thérèse, Espada et Don Quichotte, la sixième œuvre de l’immortel auteur de Manon dont l’Opéra de Monte-Carlo a la primeur. C’est assez dire la faveur dont l’illustre musicien français jouit dans la principauté de Monaco, faveur dont S. A. S. le prince Albert Ier a tenu à donner une marque éclatante en assistant non seulement à la première représentation de Roma, mais encore à la répétition générale de la nouvelle œuvre du maître Massenet. Témoignage d’estime et d’intérêt qui a été droit au cœur des nombreux Français présents à ces deux solennités, dont doit avoir sa part, puisque lui aussi partage la faveur et l’estime du souverain, M. Raoul Gunsbourg, l’éminent compositeur et homme de théâtre, qui a fait de l’Opéra de Monte-Carlo, par des soins incessants et un zèle de chaque heure, la première scène lyrique de l’univers.

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M. Henri Cain, auteur du livret de Roma, a tiré son sujet de la célèbre tragédie d’Alexandre de Parodi, Rome vaincue, dont la Comédie-Française fit une reprise, il y a quelques années, avec Mme Marthe Régnier, qui était, l’an dernier, la pensionnaire de l’Opéra de Monte-Carlo, dans le rôlede l’ingénue vestale Junia. Il n’est point besoin de redire à nouveau tout le talent de M. Henri Cain. Son adaptation de Rome vaincue, très fidèle et très habile, en est un nouveau témoignage. Tout en respectant la pensée de Parodi, en suivant de très près son texte, M. Henri Cain a introduit dans l’action un personnage d’esclave gaulois, Vestator, qui jette sur cette action une note patriotique, ignorée sans doute de nos ancêtres de l’an 216 avant Jésus-Christ, mais qui, pour nous, n’en est pas moins fort agréable en nous montrant le Gaulois, même captif, luttant pour la liberté de sa patrie en favorisant les désastres de l’oppresseur naissant et du futur dominateur. Mais ne faut-il pas rappeler en quelques traits rapides l’idée de la tragédie de Parodi qui est le sujet de l’excellent livret de M. Henri Cain ?

Nous sommes au lendemain du combat sanglant de Cannes, et Hannibal, ses Carthaginois et ses éléphants, sont aux portes de Rome. Paul-Emile a péri ; l’aristocratie est décimée, la république va périr. Par la voix du grand Pontife, Lucius Cornélius, l’oracle a parlé. Les pires malheurs continueront à frapper les Romains tant que la vestale coupable d’avoir oublié son serment de chasteté, continuera de brûler des feux de Vénus et de se donner à un homme.

Cette vestale, on la cherche et on la découvre : c’est Fausta, la propre nièce du grand Fabius, qui s’est donnée au beau tribun militaire Lentulus. Inexorable est la loi. La vestale coupable doit être enterrée vivante et rien ne saurait empêcher Fausta de subir son sort. Fabius, pourtant, trouve un adoucissement au supplice de l’enfant qu’il chérissait. Il remet un poignard à Posthumia, l’aïeule aveugle de Fausta et, dans l’entrevue suprême, à la porte du tombeau béant, que Fausta a avec les siens, Posthumia, la main guidée par sa petite-fille, frappe au cœur la vestale. Aussitôt la foudre gronde, attestant la satisfaction des dieux. Désespéré, Lentulus veut se suicider sur le corps pantelant de sa bien-aimée. Fabius l’en dissuade, car un soldat doit se faire tuer en combattant l’ennemi. Seule, la vieille Posthumia ne quitte point la dépouille de l’infortunée et descend dans le tombeau, dont la pierre sera ainsi scellée sur l’aïeule et la petite-fille...

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Sur ce livret, dont j’ai dit l’intérêt et le respect de l’ouvrage dont, il est issu, et que M. Henri Cain a divisé en cinq actes rapides, le maître Massenet a écrit une partition d’une inspiration toujours captivante, d’une science toujours parfaite, d’une habileté toujours sans rivale. Il semble que les années n’aient aucune prise sur l’illustre musicien. Les deuxième et troisième actes de Roma peuvent soutenir hardiment la comparaison avec n’importe quelle œuvre précédente de l’auteur d’Hérodiade. On y retrouve la même flamme, la même ardeur amoureuse, le même lyrisme, la même musicalité. L’inspiration mélodique est toujours délicieuse, l’orchestration très soignée et atteignent parfaitement aux effets qu’elle vise sans cesse. Telle quelle, cette partition doit produire un gros effet sur le grand public, et, puisque l’Opéra de Paris doit, dans quelque temps, monter Roma, j’attends avec confiance le verdict du public parisien. Pour citer les meilleures pages de cette partition, il me faudrait citer presque tout l’ouvrage. Aussi bien me contenterai-je de renvoyer le lecteur au Ménestrel, où Roma est éditée.

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Comme bien l’on pense, puisque nous sommes à l’Opéra de Monte-Carlo, l’interprétation de Roma est merveilleuse. La création du rôle de Lentulus par M. Muratore classe cet artiste comme l’un des premiers tragédiens lyriques de ce temps, tout en étant l’un des ténors les plus réputés de l’époque. La façon dont M. Muratore a dit la mort de Paul-Emile relève de l’art le plus consommé. M. Delmas trace du grand Fabius une figure pleine de grandeur héroïque, et M. Clauzure chante le rôle du grand pontife Cornélius avec autorité et une très belle voix. Sous les traits de l’esclave gaulois Vestator, M. Noté nous a donné une nouvelle occasion d’applaudir sa magnifique voix.

C’est Mme Kousnietzoff qui incarne Fausta. Si, parfois, on l’eût souhaitée plus dramatique, elle est idéalement jolie femme et exquise chanteuse. Son succès a été grand, pas plus grand cependant que celui de Mme Cain-Guiraudon, qui, sous les traits de la petite vestale ingénue Junia, n’a qu’un air à chanter, mais l’a chanté si délicieusement qu’elle a conquis pour elle tous les applaudissements et pour son air tous les pianos.

Posthumia aux élans tragiques d’une incomparable maîtrise, Mlle Lucy Arbell a remporté, elle aussi, un succès unanime. Citons encore Mmes Peltier et Doussot.

Chœurs parfaits, orchestre d’un fondu sans rival sous la baguette persuasive de Léon Jehin ; forts beaux décors de Visconti, tout a contribué à l’éclatant succès de Roma. Une fois de plus, à la tête de ses vaillantes légions, Raoul Gunsbourg, qui, dans la physionomie, a quelque chose de César, a gagné la victoire et repoussé de l’Opéra de Monte-Carlo, sur lequel plane le Vieil Aigle, les Barbares, représentés par MM. les ingénieurs en musique. Une fois de plus, les véritables musiciens ne doivent pas oublier ce qu’ils doivent à l’auteur d’Ivan le Terrible. Le public non plus, qui voit ce qu’on obtient à Monte-Carlo et compare !

Albert Blavinhac.

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Composer, Pianist

Jules MASSENET

(1842 - 1912)

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