Académie royale de musique. Le Vaisseau fantôme
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE
LE VAISSEAU FANTÔME
opéra en 2 actes ;
Paroles de M. Paul Foucher ; musique de M. Dietsch.
(Première représentation.)
Une légende célèbre a fourni le sujet de cet opéra. Pour avoir franchi un cap interdit aux mortels, le capitaine Troïl est condamné à errer sur les mers jusqu’à ce qu’il rencontre une femme qui lui soit fidèle jusqu’à la mort ; il ne peut mettre pied à terre qu’un jour tous les sept ans : il aura donc bien du bonheur s’il trouve ce qu’il cherche. Justement le jour septennal est arrivé ; la jeune et belle Minna, fille d’un riche négociant de l’île de Shetland, ne demande pas mieux que de s’unir au jeune Magnus, son compagnon d’enfance ; elle n’attend plus que l’aveu de son père, qui doit revenir incessamment. Le père revient, il a manqué périr dans une tempête; le capitaine d’un vaisseau étranger l’a recueilli sur son bord, et en récompense de ce service, Barlow a promis la main de sa fille, dont le capitaine a vu le portrait. Ce capitaine, c’est Troïl, le maudit, caché sous le nom suédois de Waldemar. Vous comprenez que Minna hésite à tenir la parole donnée par son père; mais la fascination du maudit agit sur ses yeux, sur son âme, et elle se résigne ; Magnus se résigne aussi, et le mariage est décidé.
Troïl se conduit en honnête homme; avant la cérémonie, il fait ses confidences à sa future ; il lui dit entre autres choses :
Oserais-tu me suivre, pauvre femme ?
Entre mes bras de spectre, oserais-lu braver
Le flot brûlant comme la flamme ?
Et la sensible Minna lui répond :
Je l’oserai pour te sauver.
Magnus, qui s’est fait prêtre pour obéir à un avis du ciel et qui se dispose à unir lui-même les deux époux, reconnaît le maudit des mers à une blessure toujours saignante qui est restée à la main de ce dernier. Troïl est le meurtrier du père de Magnus, et quand il se voit découvert, frappé d’anathème, il s’écrie :
... À moi, mes compagnons !
À moi, puissances des abîmes !
À moi, spectres, à moi, démons !
Minna prend pitié du désespoir de Troïl, et s’écrie à son tour :
S’il faut, Troïl, pour vaincre l’anathème
Jusqu’au trépas suivre ton sort,
Sois donc sauvé, Troïl, je t’aime!
Et t’aimerai jusqu’à la mort !
En disant cela « elle s’élance suivie de Troïl, et, gravissant rapidement un rocher, se précipite dans la mer. Le vaisseau-fantôme s’engloutit en même temps avec un bruit terrible. Au même instant les nuages se dissipent et laissent voir dans une apothéose lumineuse Minna conduisant aux pieds de Dieu le maudit dont elle vient d’acheter le pardon. »
Il y a plus de poésie que de drame dans ce libretto d’espèce un peu sérieuse pour sa coupe et son étendue ; le style en est brillant, coloré, peut-être plus que la musique ne l’exige. C’est le coup d’essai lyrique d’un auteur qui a fait ses preuves en poésie et en drame, de même que la partition est le maiden-speech théâtral d’un compositeur nourri dans l’église. La musique de M. Dietsch est marquée au coin de l’étude et du savoir ; elle a un parfum de distinction, de bon goût, d’élégance, et ne manque pas de teintes vigoureusement touchées. Les cantilènes mélancoliques et vaporeuses s’y mêlent à des chœurs pleins d’énergie. Les morceaux les plus saillants sont la ballade chantée par Minna pendant la veillée, le duo de Minna et de Magnus, la prière de Minna pendant l’orage, les couplets de Barlow, les chants contrastés des deux équipages, l’un composé des honnêtes matelots de Barlow, l’autre des compagnons de Troïl, le duo de Troïl et Minna, la cavatine de Magnus et la grande scène finale. Avec un peu plus d’expérience dramatique, M. Dietsch aurait senti le besoin de jeter quelque variété dans cette suite de morceaux qui se ressemblent plus ou moins d’inspiration et de caractère. Sa partition pèche surtout par la monotonie. Magnus et Troïl y chantent à peu près de la même façon, et cependant nul rapport de langage ou de mœurs ne saurait exister entre ces deux personnages. En résumé, M. Dietcsh a fait une œuvre honorable qui lui sera comptée et servira pour son avenir.
Madame Dorus-Gras, chargée du rôle de Minna, l’a chanté de sa voix toujours pure, éclatante et flexible : la polonaise, qui lui vaut triple salve de bravos, n’est pas le meilleur morceau de l’ouvrage; mais c’est, grâce à elle, celui qui produit le plus d’effet. Marié dit avec beaucoup de charme et d’accent quelques parties de son rôle : Ferdinand Prevot chante fort bien ses couplets. Dans le rôle de Troïl, Canaple a réalisé l’espérance que ses débuts avaient fait concevoir.
MM. Philastre et Cambon ont peint deux beaux décors pour le Vaisseau-Fantôme : l’apothéose seulement laisse beaucoup à désirer. L’Opéra nous a blasés sur les merveilles de ce genre : les habitués de ce théâtre ont tant vu le soleil ! Aussi mieux vaudrait nous laisser sur la terre que de nous faire monter au ciel pour si peu !
A. Z.
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publication date : 19/10/23