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Audition des envois de Rome

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Audition des envois de Rome 
au Conservatoire, 
le jeudi 20 décembre.

On a remarqué avec surprise, il y a six mois, que l’époque adoptée jusqu’ici pour l’audition des envois de Rome était passée sans que cette intéressante séance eût lieu. Le Journal officiel de mercredi dernier nous a donné ou plutôt laissé deviner la raison de cette dérogation à l’usage. Il contient le rapport adressé à l’Académie des beaux-arts sur les pensums que les lauréats du prix de Rome sont tenus de remettre chaque année à l’Institut ; or le rapporteur se borne à apprécier les compositions qu’a fait parvenir M. Wormser, grand prix de 1875, et il inflige un blâme à MM. Puget et Salvayre, ses prédécesseurs, pour s’être dispensés de l’envoi réglementaire. Il n’y avait donc pas, au mois de mai, de quoi composer le programme d’une séance d’audition. D’un autre côté, on ne comprend guère la publication tardive de ce rapport, rédigé certainement depuis assez longtemps, et qui n’est plus exact puisque deux œuvres de M. Salvayre ont été exécutées à la séance du 20 décembre. On ne s’explique pas très bien non plus comment M. Salvayre, grand prix de 1872, doit encore un envoi en 1877. Cet envoi serait de cinquième année, et les pensionnaires ne sont sous la tutelle de l’Académie que pendant quatre ans[1]. Ajoutons qu’après avoir été joué au Théâtre Lyrique et à l’Opéra, un musicien est assez grand garçon pour que l’alma parens soit édifiée sur son assiduité au travail et sur ses progrès, et lui épargne le rappel à un règlement dont il faudrait appliquer l’esprit plutôt que la lettre.

La séance de jeudi a commencé par l’exécution d’une symphonie de M. Wormser. C’est surtout en présence d’œuvres semblables qu’on sent combien les auditions de ce genre sont utiles. M. Wormser a dû avoir la révélation de ce qui lui manque encore, au cours des répétitions et à l’exécution publique, mieux que par tous les conseils et toutes les leçons du monde. Il a certainement conscience à présent des trous nombreux et du défaut de liaison de son orchestre, du peu de cohésion de ses idées, qui sont d’haleine courte, et de la faiblesse de son développement. Il écrira de nouvelles symphonies, mais il ne fera plus ainsi ; en acquérant le « métier », qui est très spécial pour la musique instrumentale et qu’on n’étudie pas assez au Conservatoire, il arrivera à un plus utile emploi de ses qualités de mélodiste et d’harmoniste. Les meilleures parties de sa symphonie sont l’adagio, qui est d’une bonne couleur et mieux rempli que le reste, et le minuetto, dont le motif est d’une agréable bonhomie et qui contient de jolis effets. M. Wormser a fait un assez bizarre emploi des tonalités ; ses deux morceaux extrêmes sont en si mineur et majeur, son adagio en mi bémol et son minuetto en sol : soit une progression ascendante de tierces majeures.

Nous mettons le pied sur un terrain beaucoup plus sûr avec M. Salvayre, qui a eu tout le temps de se rendre maître de la forme et en a d’ailleurs l’instinct. De plus, nous notons dans son psaume In exitu Israël, pour soli, chœur et orchestre, un notable progrès sur le Stabat Mater entendu en 1876, par un sentiment général meilleur, par plus de fermeté et de plénitude dans la rhétorique musicale. L’orchestre est toujours sonore, un peu massif parfois, mais intelligemment écrit. Ce qu’on peut reprendre dans cette partition, c’est un certain vide dans les mélopées, et trop peu de souci du sens des paroles latines et de leur prosodie, dont M. Salvayre, comme tant d’autres compositeurs, mêmes célèbres, croit pouvoir ne tenir nul compte. – Son air varié en mineur pour instruments à cordes, écrit dans un style qui rappelle Händel et Mozart, contient beaucoup de détails gracieux, et l’auditoire, séduit par une élégante manière de moduler dans la dernière variation, la seule qui soit en majeur, l’a fait répéter. Le savoir-faire du musicien se montre avec tous ses avantages dans ces variations, qui intéresseront les gens du métier et plairont au public.

L’orchestre était composé d’artistes de l’Opéra et dirigé par M. Del devez. Les classes du Conservatoire avaient fourni les chœurs, qui, sans avoir été irréprochables, ont pourtant donné avec assez d’ensemble.

Ch. Bannelier. 

[1] Au dernier moment, nous apprenons qu’en effet, M. Salvayre était en règle avec l’Institut et que le rapport de l’année prochaine doit contenir une rectification dans ce sens.

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Charles BANNELIER

(1840 - 1899)

Composer

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(1847 - 1916)

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(1851 - 1926)

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