Séance publique annuelle de l'Académie des beaux-arts
SÉANCE PUBLIQUE ANNUELLE DE L’ACADÉMIE DES BEAUX-ARTS.
Samedi, 30 octobre.
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La musique ouvrait et fermait la séance ; d’abord avec une ouverture, « envoi de Rome » de M. André Wormser, ensuite avec la cantate de M. Lucien Hillemacher, premier grand prix de 1880.
M. Wormser est un de ces jeunes prix de Rome qui soufflent dans leurs doigts à la porte des théâtres. Son envoi provient d’un opéra qu’il garde encore en portefeuille, et pour cause. Cette ouverture est composée de deux mouvements développés symphoniquement, plus une coda qui a du feu. C’est une bonne composition, d’une excellente facture.
Pour la cantate, l’Académie a abandonné les Grecs, les Romains et les Juifs. Nous voilà en plein romantisme avec le Fingal de M. Ch. Darcours, et le sujet n’est pas sans se rapprocher de quelques passages du Roi de Lahore. Comalha attend le retour de Fingal vainqueur ; à sa place vient Hidallan, qui annonce la mort du héros. Comalha est plongée dans le désespoir, lorsque le retour de Fingal semble devoir la rappeler au bonheur. Hidallan l’a trompée pour s’emparer d’elle, et cette alternative de douleur et de joie la tue d’une façon aussi rapide qu’étrange.
Les lauréats du premier et du second grand prix, MM. L. Hillemacher et Marty, sont élèves de M. Massenet. Dès les premières mesures de la cantate de M. Hillemacher, il est inutile de se demander quel est son maître. Dans cette composition d’un réel talent, on sent à chaque page de gracieuses tournures, d’aimables formules que nous pourrions appeler « massenétiques ». Les qualités dominantes de cet acte d’opéra sont l’intelligence scénique et une science déjà très sûre du développement instrumental. Chacune des scènes se développe sur une phrase mère qui, bien suivie à l’orchestre, sert de principal sujet d’accompagnement.
Parmi les meilleurs morceaux, citons l’air de Comalha, en ut majeur, d’une expression simple et poétique à la fois, et le duo entre Comalha et Hidallan. Ce duo, bien coupé, bien développé, contient de fort bons passages, entre autres l’allegro en fa dièse mineur, et le fin accompagnement de l’andante : « J’aurais souvent rêvé ». Dans le majeur de ce duo, M. Hillemacher n’a pas assez évité un souvenir de Polyeucte. L’entrée de Fingal a de la largeur et du style. Enfin, le début du trio en mi est plein de charme et d’élégance, au point de vue mélodique et au point de vue vocal.
Mlle Isaac, M. Talazac et Hermann-Léon ont chanté cette cantate, une des meilleures que nous ayons entendues depuis longtemps. Mlle Isaac savait médiocrement son rôle ; aussi ses intonations ont-elles quelquefois manqué de sûreté.
L’orchestre auquel l’Académie confie le soin d’exécuter les œuvres choisies de ses nourrissons préférés se compose de la fleur de nos instrumentistes, ayant à leur tête M. Altès, le chef d’orchestre de l’Opéra. Parmi les solistes, MM. Taffanel, Teste, Lalliet, Mohr tiennent les premiers pupitres d’instruments à vent ; malheureusement la niche qui sert de place aux musiciens détruit en partie les bonnes intentions de l’Académie. Les hautbois sonnent avec une étonnante vigueur, les trompettes et trombones rappellent les concerts de Jéricho ; les violons chantent de toutes leurs cordes, mais altos, violoncelles et contrebasses sont les seuls auditeurs de la musique qu’ils exécutent. Un écho singulier renvoie dans les ouïes mêmes des instruments le son qui a eu l’audace d’en sortir. De plus, les petites dimensions du local ne permettent pas d’avoir un nombre de violons suffisant, et la proportion entre les cordes et les instruments à vent ne se trouve que médiocrement pondérée.
Étant donnés ces inconvénients, l’exécution est aussi bonne qu’il est possible de l’espérer, et l’ouverture de M. Wormser ainsi que la partie orchestrale de la cantate ont, en somme, fort bien marché.
H. LAVOIX fils.
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Fingal (Charles Darcours [Réty])
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publication date : 02/11/23