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La Princesse jaune de Saint-Saëns

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REVUE MUSICALE

S’il suffisait, pour écrire une bonne partition d’opéra, d’être un docteur en musique, doublé d’un grand virtuose, la Princesse jaune, que vient de donner l’Opéra-Comique, serait un chef-d’œuvre ; car elle a pour auteur M. Camille Saint-Saëns, un musicien consommé, un vivant érudit, un pianiste accompli, un organiste d’école.

Mais le drame et la comédie lyriques ne se font ni avec la science des accords, ni avec l’art d’accoupler les timbres de l’orchestre, ni avec de l’érudition, encore moins avec des doigts de pianiste ou d’organiste.

Grétry (dont je lisais, il y a peu de jours, le dernier ouvrage, un grand opéra féérique resté inédit, et peut-être sa meilleure partition), Grétry n’a jamais été ce qu’on appelle un musicien ; son instinct le servait plus et mieux que son savoir, qui a toujours été médiocre.

Berlioz, qui se prosternait devant le génie de Glück, ne put se rendre compte de certaines maladresses de main observées dans le mouvement des parties de quelques chœurs d’Armide et d’Alceste, aussi bien que dans l’orchestration. Il confessait qu’il y avait là ou négligence ou défaut de talent, à côté d’inspirations inimitables et d’effets d’harmonie et d’orchestrations sans précédents et merveilleux. Ainsi il admettait donc que le plus grand des compositeurs dramatiques, un Dieu sonore, pouvait manquer de talent.

Tout le monde sait que Rossini était loin d’avoir achevé ses études musicales quand il composa pour le théâtre ses premiers ouvrages accueillis très-favorablement. Dans Tancredi, dont le succès fut immense et devint universel, les fautes de grammaire musicale, les gaucheries de tous genres, se comptent par centaines.

Bellini n’aurait peut-être pas obtenu un accessit d’harmonie au conservatoire de Paris, quand déjà il remplissait l’Italie de son nom et de ses triomphes.

Je pourrais citer dix autres compositeurs dramatiques plus ou moins célèbres en leur temps qui, comme Berryer, l’illustre orateur, auraient pu dire : « Je ne sais ni lire ni écrire. »

Par contre, que de forts musiciens, confits en contre-point et même d’une certaine imagination exclusivement musicale, qui ont perdu leur fugue et leur latin, enfermés dans ce cercle lumineux et redoutable qu’on appelle le feu de la rampe ! Et, en vérité, il n’y a là rien qui soit de nature à étonner personne.

Qu’est-ce qu’un opéra ? Un opéra n’est ni une sonate, ni un thème varié, ni une symphonie : c’est une action théâtrale mise en musique ; rien de plus, rien de moins. Ceci posé, il est bien évident qu’une musique d’opéra sera d’autant meilleure qu’elle secondera avec plus de force, de charme et d’expression, l’action qu’elle veut pour ainsi dire illustrer. Une musique qui entraverait la marche du drame ou de la comédie, qui jurerait, comme mouvement et comme sentiment, avec l’esprit de la scène qu’elle prétendrait servir, serait à coup sûr détestable, fut-elle d’ailleurs admirable à tous les autres points de vue. Cela revient à dire,— et M. de la Palisse n'aurait pas mieux pensé,—-que la musique scénique doit être avant tout la musique pour la scène.

Il n’est pas de compositeur qui ne comprenne cela parfaitement, mais qu’ils sont devenus rares, bon Dieu ! ceux qui, tout en conservant à la musique les qualités qui lui sont propres, les qualités qui font son charme et sa puissance, l’expression dans le rhythme et dans le chant, savent plier leur art aux exigences de l’action dramatique ! 

On se croit apte à composer un opéra parce qu’on sait faire manœuvrer un orchestre et des chœurs, et qu’on saisit les beautés littéraires d’un drame, ou les finesses d’une Comédie. Quelle erreur ! Sans doute, c’est beaucoup de posséder la science, l’habileté de main, l’esprit alerte et un cœur impressionnable ; mais entre l’intelligence d’une œuvre d’art parfaite et la faculté de la produire, il y a l’immensité d’un monde moral, et l’art de faire chanter les personnages d’une pièce a toujours été le privilège d’un petit nombre de musiciens.

Les plus heureuses qualités du symphoniste que rien n’entrave dans l’essor de son imagination, qui plane, rêveur et sublime, dans les sphères de l’idéal, sont des qualités mortelles appliquées au théâtre. Là la fantaisie qui endort l’âme, séduit l’imagination, étonne par l’imprévu en brisant la ligne droite de la pensée, doit être soigneusement bannie. Qu’importe même, quand on a les yeux et l’esprit fixés sur des acteurs qui se meuvent dans une action et expriment des sentiments précisés par les paroles, qu’une clarinette cachée dans l’orchestre dialogue ingénieusement avec la flûte on qu’un trombone fasse entendre une pédale bien trouvée ? Ce qu’il faut, c’est que les bonshommes qu’on voit, qu’on écoute, au sort desquels on s’intéresse, agissent suivant leur rôle, vous émeuvent, vous fassent trembler comme Otello ou rire comme Figaro. Tant mieux certes, et mille fois tant mieux, si l’orchestre est bien travaillé, comme on dit, et si ce travail ajoute une force à l’expression des voix ; mais avant tout ce sont des sentiments humains et non des rêveries instrumentales que je demande au compositeur qui me montre des hommes mus par les passions de l’homme. Je ne sais rien de lamentable comme des personnages d’opéra qui, sur la scène, sont passés à l’état d’instruments complémentaires de l’orchestre.

À côté des compositeurs qui ne voient dans un opéra que quelques parties chorales à ajouter aux parties orchestrales, et s’en tirent en augmentant le format de leur papier réglé, il y a la catégorie des compositeurs récemment éclos de la mélodie infinie, laquelle est la négation de toute mélodie. Ceux-là se piquent d’être expressifs, plus expressifs qu’on ne l’a été jamais, et pour donner musicalement l’expression à chaque mot et suivre de point en point le jeu des acteurs, ils suppriment tout simplement trois choses sans lesquelles la musique n’est qu’un chaos sonore : la tonalité, le rhythme et l’harmonie qui est encore la tonalité. Oh ! pour être expressifs, ils le sont ; personne n’a l’accent plus juste qu’eux. Mais ils n’ont que l’accent sans la mélodie, et leur musique n’est qu’un placage. Ils accolent une note à chaque mot, comme on fait à Florac, dans le département de la Lozère, ce qu’on appelle des prunes mariées. J’aime mieux les prunes mariées de Florac que les notes mariées des compositeurs de cette école.

Me voilà plus près qu’on ne pourrait le penser de la Princesse jaune. Saint-Saëns, dont j’honore le caractère autant que le mérite, qui, à 15 ans, écrivait une symphonie remarquable, et qui est devenu un praticien merveilleux, un improvisateur souvent inspiré, un virtuose toujours prêt et toujours sûr de lui-même, n’a pas — je lui dois mon entière franchise — su se soustraire à l’influence pernicieuse de l’école de la mélodie infinie. Quelle rage de se faire l’imitateur des Allemands contemporains, quand on pourrait rester Français et briller avec les dons de sa propre nature ! Saint-Saëns appartient-il donc a la nombreuse école des petits crevés en musique et des impuissants ? Non, certes, et ce ne sont pas les mélodies franches, originales, distinguées, qui lui manqueraient, s’il le voulait ; mais, pour obéir à sa religion musicale, il s’est fait l’ennemi da la symétrie, qui est l’ordre, la régularité, l’architecture de la phrase et, pour prodiguer au delà de toute mesure les accents expressifs et donner du jour aux détails de l’orchestre, il sacrifie trop souvent l’air, la mélodie, le thème, le motif, comme on voudra l’appeler. Ce n’est point ainsi qu’on fait de la musique d’opéra. De la mélodie, du mouvement, de la variété, de la franchise dans la pansée, de l’élan, de la grâce, de l’esprit quelquefois, le plus souvent du cœur : voilà les qualités foncières du compositeur dramatique. Hors de là, pas de saint, et l’orchestration, si admirable qu’elle puisse être, ne remplacera jamais, dans un opéra, le chant des chanteurs.

Je me hâte de le dire de peur de paraître trop sévère, trop exclusif et de n’être pas compris, il y a dans la Princesse jaune des parties excellentes sous tous les rapports, qui prouvent, comme je le disais plus haut, que ce ne sont point les facultés du compositeur dramatique qui manquent à M. Saint-Saëns. Mais, pour que ces facultés se manifestassent dans tout leur éclat, il faudrait les dégager de la gourme wagnérienne qui les obscurcit et les amoindrit. C’est, nous l’espérons, ce qui arrivera et ce que nous serions si heureux de constater. Il y a dans la Princesse jaune dix fois plus de talent vraiment qu’il n’en faudrait pour écrire un bon opéra, et pourtant cet ouvrage ne peut être considéré que comme un essai, auquel le public a fait un succès d’estime dans la meilleure acception de ce mot. Les musiciens liront cette partition avec un vif plaisir, car c’est après tout la musique d’un maître.

De la pièce, il n’y a rien à dire, si ce n’est qu’elle prêtait au compositeur l’occasion d’emprunter au Japon sa lyre musicale et poétique ; mais est-ce bien un avantage ?

M. Francis Magnin a eu le bonheur de visiter le Japon, et d’entendre de la vraie musique japonaise, exécutée par de vrais Japonais, dans des Théâtres à trois rangs de loges, où les dames changent de toilette pendant les entr’actes.

« Le chant japonais, dit-il, est quelque chose d’étrange, dont on n’a nulle idée ; c’est un placage da notes criardes qui ne manque pas d’une certaine harmonie, quoique la musique de cette partie de l’Orient ne se compose que de trois notes, le do, le la et le si. En général, les airs suivent le même rhythme ; ils se forment d’aspirations souvent répétées et d’un trémolo qui se soutient sur les notes hautes, et descend tout à coup par brusques revirements, dont l’originalité étonne tout d ’abord, mais lasse bientôt. La grande prière du Daï-Hippon en est un parfait exemple.

          O dieu Bontz, préserve-nous de tout malheur.

« Cela s’entone [sic] comme un chant d’église nasillard, coupé par les notes aiguës des enfants de chœur, puis reprenant la note grave, et monacale. Le faux-bourdon et le serpent, c’est la meilleure synonymie que je puisse trouver aux accords criards de la musique japonaise. »

Vous venez de lire. Eh bien ! j’ai fait à Paris la connaissance d’un jeune Japonais, envoyé en France avec les représentants du gouvernement de Taïshiou de Satzouma, roi des iles Liou-Kiou. Sans être musicien, ce jeune fils du soleil levant aime la musique.

— Que pensez-vous, lui demandai-je, de la musique européenne ?

— Ella fait beaucoup de bruit, me dit-il, et enflamme l’esprit.

— Et la musique japonaise ?

— Celle-là est douce et pénètre le cœur.

— Vous croyez donc la musique et les instruments de musique de votre pays supérieurs à nos instruments et à notre musique ?

— Non, je ne crois pas cela ; mais je suis Japonais et quand je chante un de nos airs, les larmes me viennent aux yeux.

Je compris que la musique éveille les sensations bien plus qu’elle n’en fait naître. 

Saint-Saëns nous a fait une musique japonaise à sa façon, très-heureusement et par un procédé des plus simples... Il a promené ses doigts sur les touches noires de son clavier exclusivement, et le tour était fait. Ce n’est pas pins difficile que cela. Mais toute la Princesse jaune n’est pas dans les airs à la Japonaise.

Cet opéra asiatique à deux personnages est joué par M. Lhérie et Mlle Ducasse. L’exécution est bonne, et nous devons des compliments à ces deux jeunes artistes qu’on a chaleureusement applaudis.

Le soir de la première représentation de l’opéra da Saint-Saëns, le théâtre de l’Opéra-Comique empruntait à l’ancien Théâtre Lyrique un acte de MM. Poise, Brunswick et de Beauplan, Bonsoir, voisin. La pièce, à deux personnages aussi, est fort gaie ; la musique en est facile, agréable, chantante, et rondement interprétée par M. Thierry et Mlle Reine. Cette cantatrice ne manque certes pas de hardiesse dans la vocalisation, et sa voix est remarquablement étendue dans le liant ; mais les traits ne sont pas toujours d’une exécution parfaite, et la justesse laissa parfois à désirer. […]

Oscar Comettant

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Oscar COMETTANT

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