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Critique musicale. La Fille de Madame Angot

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Critique musicale
De la différence entre l’opéra-comique et l’opéra bouffe. – La Fille de Mme Angot, opéra-bouffe en trois actes, paroles de MM. Clairville, Siraudin et Koning, musique de M. Lecocq. […]

Pourquoi les directeurs de théâtres qui donnent des opéras-bouffes n’agissent-ils pas pour le Temps comme pour d’autres journaux ayant un feuilleton musical ? Ils ont l’habitude de faire un service de la presse pour les premières représentations, et ils se prêtent de mauvaise grâce à en faire un second ou refusent de le faire. Il en résulte que je ne parle pas d’ouvrages dont je devrais rendre compte ou que j’en parle plus tard que je ne le devrais.

Qu’est-ce qu’un opéra-bouffe ? Et d’abord qu’est-ce que le genre bouffe ? On dira que c’est une espèce inférieure du genre comique ; il est facile, par exemple, de distinguer dans le Barbier, tel qu’on le joue au Théâtre-Italien, ce qui est bouffe et ce qui est du domaine de la comédie pure. Mais quelle est la limite de séparation entre l’opéra-comique et l’opéra-bouffe ? Vous savez fort bien que l’opéra-comique oscille entre le genre bouffe, la comédie et le genre dramatique ; de même, l’opéra-bouffe oscille entre la farce grotesque ou graveleuse, le bouffe de bon goût et la comédie. Il en sera toujours ainsi ; il faut bien que l’on varie les plaisirs du public.

Quant à la manière de faire des pièces, elle est la même pour tout opéra comique ou bouffe. Vous la connaissez ; d’ailleurs le procédé dont on a usé pour Don César de Bazan ne peut laisser aucun doute. On fait une pièce ou un simple scénario plus ou moins comique, plus ou moins bouffe ; puis on met en vers les parties qui doivent être mises en musique ; le reste est en dialogue. Qu’on le sache bien : les occasions pour la musique ne manquent dans aucune pièce de théâtre. Il y a quelque temps je relisais Cinna de Corneille, et tout en le lisant, je m’amusais à y tailler un scénario de grand opéra. Métastase lui-même n’aurait pas fait mieux.

Parlons maintenant de la musique. Quelle différence y a-t-il entre celle d’un opéra-bouffe français et celle d’un opéra-comique français moderne ? Je dois pour l’instant circonscrire la question dans ces limites. Est-il besoin de dire que le seul intérêt artistique que peuvent exciter les opéras-bouffes c’est leur rapport avec l’opéra-comique proprement dit ? Du moment où il a été dûment constaté qu’il suffit d’un répertoire d’airs de danse pour faire le fond d’un opéra-comique, toute farce, tout vaudeville ou toute comédie a pu être transformé en opéra comique ou bouffe ; aussi l’a-t-on fait et continuera-t-on à le faire. Puisqu’il est démontré par Auber, Hérold, Adam et leur école que l’on peut également bien exprimer sa joie, son amour, sa colère par un air de valse ou de quadrille, que l’on peut même prier le bon Dieu sur un air de quadrille, je sais gré à l’opéra-bouffe d’en avoir fait son profit ; car il a prouvé que ces jolis airs fringants conviennent beaucoup mieux à des situations très bouffes qu’à la véritable comédie. À ce point de vue l’opéra-bouffe constitue un progrès la Belle Hélène elle-même mérite un peu notre reconnaissance. Mais je n’insiste pas sur ces considérations que j’ai développées déjà.

La seule précaution qu’il faut avoir pour la musique d’un opéra-bouffe, quelle que soit la pièce, c’est de ne pas prendre bien au sérieux les situations tristes ou ayant une apparence dramatique. Je vais en montrer des exemples dans la Fille de Madame Angot. Je n’ai pas vu jouer cet ouvrage et j’en parle d’après la partition publiée par la maison Brandus. Madame Angot était un type de la comédie du siècle dernier c’était la poissarde enrichie faisant son entrée dans le monde. MM. Clairville, Siraudin et Koning nous apprennent qu’elle n’était pas plus scrupuleuse sur la correction des mœurs que sur celle du langage. Elle a eu une fille d’un père resté inconnu ; devenue orpheline, Clairette a eu pour père et mère toute la halle, comme une certaine Marie, à l’opéra-Comique, a pour pères tout un régiment.

Ne vous fiez pas cependant aux airs ingénus de Clairette ; elle ne tarde pas à montrer, en tout bien tout honneur, qu’elle est moins ignorante qu’elle ne le paraît elle finit par jeter le masque et par se proclamer la digne fille de sa mère, à part ses mœurs, qu’il ne nous est pas permis de suspecter. On veut la marier à un garçon perruquier nommé Pomponnet, mais elle a une inclination pour le chansonnier Ange Pitou. Pour gagner du temps, elle chante en place publique des couplets satiriques de Pitou contre Barras et Mlle Lange. On l’arrête pour la conduire en prison, et on la livre au ressentiment de la favorite. Heureusement celle-ci est née elle-même sur le carreau de la Halle ou dans le voisinage ; c’est une ancienne amie de Clairette, et n’ayant oublié ni son origine ni le langage de son enfance, elle ne garde pas de rancune. Mais en vraie courtisane, elle trouve que lorsqu’on prend des amants on n’en saurait trop prendre ; à Barras, elle a ajouté le financier Larivaudière, et elle cherche à compléter le brelan par Ange Pitou.

Pour passer son temps, elle ourdit une conspiration, je ne sais pas contre qui ; quand les hussards d’Augereau arrivent pour arrêter les coupables, ils tombent au milieu d’un bal improvisé adroitement. Clairette cependant a tout vu et tout entendu ; pour se venger, elle manœuvre de façon à amener tout le monde au bal de Calypso, à Belleville. Après avoir mystifié les personnages dont elle avait à se plaindre et s’être un peu chamaillée avec sa rivale, elle repousse Pitou et offre sa main à Pomponnet ; Mlle Lange retourne à ses premières fonctions, quitte à revenir aux grandeurs politiques, quand l’odeur de la morue l’incommodera.

La population de la Halle, les incroyables et les merveilleuses, les mœurs du Directoire offraient de bons éléments bouffes dont les auteurs de la pièce ont tiré parti, car, malgré le titre d’opéra comique donné à l’ouvrage, c’est plutôt un opéra-bouffe. Le compositeur l’a traité ainsi, et il a eu raison. Le morceau d’ensemble pendant l’arrestation de Clairette est écrit sur un motif de polka ; j’en dirai autant du chœur des conspirateurs (la notation en mesure à quatre temps n’y fait rien) ; c’est, en effet, une conspiration pour rire ; le texte même le prouve. Larivaudière mystifié exhale sa colère sur un rythme de valse. Aussi l’ouvrage entier conserve-t-il un ton léger et de franche gaieté qui devient un des principaux éléments du succès.

Naturellement les airs dansants se rencontrent à chaque pas ; mais M. Lecocq a su les placer avec discernement et mettre les plus sautillants dans les situations les plus bouffonnes. Romances, couplets, duos, trio, quintette, chœurs, morceaux d’ensemble rien ne manque. Toute la partition est écrite dans un style facile, attrayant et amusant. Aussi ne citerai-je aucun morceau en particulier ; il me faudrait les passer tous en revue. L’opéra-bouffe a désormais trois grands prophètes : MM. Offenbach, Hervé et Lecocq. [...]

J. Weber

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Journalist

Johannès WEBER

(1818 - mars 1902)

Composer

Charles LECOCQ

(1832 - 1918)

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CLAIRVILLE Victor KONING Paul SIRAUDIN

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