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Chronique musicale / Soirée parisienne. Le Roi d'Ys

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CHRONIQUE MUSICALE
Opéra-Comique. — Première représentation, du Roi d’Ys drame lyrique en quatre actes, de M. Ed. Blau, musique de M. Ed. Lalo.

M. E. Blau a jugé bon de nous donner une seconde édition d’Aïda. Peut-être le lieu et l’époque qu’il a choisis ne justifient-ils pas suffisamment cette tentative : car la mise en scène, en quittant l’Égypte, n’avait rien à gagner. Il s’agit (et il s’agira sans doute encore souvent) de la rivalité de deux femmes, dont l’une, par jalousie, conspire avec ses ennemis la ruine de son pays.

Donc, l’action se passe en Bretagne, en l’an… Le roi d’Ys a deux filles, Margared et Rozenn. La guerre vient de finir, et la main de Margared doit être le gage du traité de paix que signe le roi d’Ys avec son puissant voisin, le prince de Karnac.

Margared se résout avec tristesse à cette union, car elle aime secrètement un jeune capitaine, Mylio, qui, pour tout le monde, est mort ; par malheur, sa sœur Rozenn adore aussi Mylio et, plus heureuse qu’elle, en est aimée.

Mylio est seulement prisonnier ; grâce à la paix, il est rendu à la liberté. Il revoit Rozenn, lui parle d’amour, et celle-ci se hâte de faire part de l’heureuse nouvelle à Margared.

Arrivée du prince de Karnac venant chercher sa fiancée et… finale du second acte des Huguenots. Serments d’alliance des deux armées, refus de Margared d’épouser Karnac, reprise générale des hostilités.

Le deuxième tableau nous fait assister aux confidences de Rozenn à sa sœur, à l’éclosion de la jalousie de Margared et au départ de Mylio, placé à la tête des troupes, pour le combat. Margared jure de se venger.

Au troisième tableau, un décor artistement brossé représente une lande, avec un curieux effet de perspective. Karnac a été vaincu : Mylio victorieux a obtenu pour récompense de son triomphe la main de sa bien-aimée Rozenn et revient avec ses soldats, à la chapelle de Saint-Corentin, remercier son protecteur. Karnac arrive lui aussi, mais pour blasphémer contre le ciel : c’est Margared qui lui répond et lui propose de livrer une certaine écluse protégeant la ville d’Ys contre l’envahissement de la mer ; Karnac accepte avec joie la proposition, mais voilà que la statue de saint Corentin s’anime pour leur lancer sa malédiction.

Fureur de Karnac, qui sc précipite sur la statue pour l’anéantir ; aussitôt la vision disparaît ; le saint est redevenu pierre.

L’acte suivant expose la trahison de Margared, qui, tenant parole à Karnac, lui livre le passage de la fameuse écluse.

Au dernier acte, la ville d’Ys est submergée par les flots (manquant absolument d’impétuosité), et Margared, pour sauver les quelques survivants du peuple de son père, se précipite dans les vagues, en victime expiatoire.

Tel qu’il est, le libretto de M. Blau ne nous a paru ni plus intéressant ni plus mauvais que la plupart de ceux qui ont servi jusqu’ici de prétexte aux drames lyriques. Pourvu que le sujet présente un certain nombre de scènes dramatiques, peu importe l’action plus ou moins vraisemblable qui les réunit. Cette fois, le librettiste n’a pas ménagé au compositeur les situations pathétiques ; toutes ne sont pas absolument neuves, mais elles sont des plus variées : c’est un grand point.

Le plus grave reproche que j’adresserai à M. Blau, c’est que tous ses personnages manquent de couleur locale et pourraient débiter leur petite affaire aussi bien ailleurs que dans la cité d’Ys, si leurs costumes et les décors ne nous rappelaient à propos qu’ils sont en Bretagne.

Pour l’interprétation, M. Talazac a été parfait ; c’est tout dire.

Mlle Deschamps est une superbe Margared ; dramatique, passionnée, son succès a été aussi vif comme comédienne que comme chanteuse ; excellente création de plus à son actif.

Mlle Simonnet, M. Bouvet, M. Cobalet, toujours en possession de sa belle voix de basse et de son excellent style, ont complété, avec MM. Fournets et Bussac, une interprétation hors ligne.

Nos plus sincères félicitations à M. Danbé et à ses musiciens, un peu renforcés du côté des cuivres et de la batterie pour cette circonstance exceptionnellement bruyante.

Avant de formuler la plus légère appréciation sur la musique de M. Lalo, qui est assurément une grande œuvre, je tiens à l’avertir de prime abord que je ne professe qu’une médiocre sympathie pour la méthode consistant à remplacer le chanteur par l’orchestre, et vice versa.

Puis, enfin, je suis encore un de ces novices arriérés qui pensent qu’en musique, comme en poésie, pour rendre certaines explosions de l’âme, il existe des phrases correspondantes.

Appelez-les comme vous voudrez : harmoniques, symphoniques ou mélodiques, mais pas mathématiques. Non, les mathématiques au théâtre, c’est comme le réalisme en peinture : on peut en faire, mais il ne faut pas le montrer !

L’ouverture du Roi d’Ys est une page symphonique d’une réelle valeur ; le finale cependant éclate avec une furia peut-être un peu trop fantastique.

Le rideau se lève sur un chœur dont l’accompagnement à contre-temps est d’une grande originalité ; puis viennent deux airs charmants pour voix de femmes, et enfin l’entrée de Mylio (M. Talazac). La phrase : Mon cœur tremble près du tien est des mieux inspirées ; mais quelle tiédeur chez ces deux amoureux qui s’attendent et se désirent !

Cet acte, plutôt symphonique, a pour caractéristique l’accentuation des temps faibles dans presque tous les accompagnements.

Au deuxième acte, M. Talazac a merveilleusement dit l’invocation : Sur l’autel de saint Corentin, patron de la Bretagne, et Mlle Simonnet son cantabile : Un jour, il est venu comme une fleur, accompagné en sourdine. Ces deux morceaux ont eu le plus grand succès.

Le troisième acte est le plus mélodique de tous ; là le compositeur, dans ses inspirations, se rapproche plutôt de Méhul que de Wagner. Par exemple, l’air de Mylio, toujours supérieurement interprété : En vain ma bienaimée, a le charme de la romance de Joseph : Dans Sichem.

Disons en terminant que les noms des auteurs ont été acclamés, et que si le Roi d’Ys a perdu son royaume, il aura du moins trouvé… d’énormes sympathies. C’est un beau commencement et qui inaugure bien les débuts de la nouvelle direction. M. Paravey nous a donné un succès, avec Carmosine il nous montrera un triomphe.

Charles Rousseau.

SOIRÉE PARISIENNE
LE ROI D’YS

Il y a vingt-cinq ans que M. Lalo attend la représentation d’hier. Je recommande le métier de compositeur à ceux qui aiment le jeu de patience.

Il est vrai qu’un succès magistral a récompensé le musicien et le directeur qui avait eu foi en ce jeune d’avant-hier ; aussi est-ce dans une mutuelle étreinte que le rideau de fer, se baissant sur le dernier acte, a pu voir M. Paravey, M. Lalo, M. Edouard Blau, l’auteur du livret, et l’heureux éditeur du Roi d’Ys, M. Hartmann. Les cœurs ne battaient pas à contre-temps, je vous le promets.

Sans compter qu’à ce triomphe, auquel personne ne s’attendait — songez donc, un ouvrage à cheveux blancs, orné d’un titre breton, ça promettait d’être assommant !... — il a fallu adjoindre Talazac, que l’on a bissé ; Bouvet, qui a eu le plus bel accueil de sa carrière ; Cobalet, très apprécié ; Mlle Blanche Deschamps, fort en voix, et Mlle Simonnet, qui a obtenu aussi un bis très mérité. Puis Danbé avec son orchestre enlevé de main de maître, et Carré dont les chœurs se sont montrés très brillants.

Bref, le public, par ses bravos et ses cris enthousiastes, a fait la part de chacun et procédé à une véritable distribution de prix.
Ma foi ! ça mettait du baume dans l’âme. Enfin, il était donc prouvé que l’on pouvait entendre un opéra sans ennui ; bien mieux, avec plaisir. Il y a longtemps que la chose n’avait été donnée, si bien qu’elle semblait devenue impossible.

Lalo seul conservait la foi, quand Paravey vint…

1er acte. — Une plate-forme, pas un instant électorale. À droite, l’ancien bureau d’octroi de la chapelle servant actuellement de palais au roi. Le décor est neuf et le roi d’Ys.

Le chœur chante « Noël ! noël ! » Cet hommage à l’ancien secrétaire de l’Opéra-Comique n’enlève rien de la sympathie méritée par son successeur, notre aimable confrère Robert Kemp.

Mlle Simonnet apparaît fort jolie sous les traits de Rozenn, ce qui explique pourquoi elle est vêtue de rose bien que sans haine.
Talazac : Mylio (Albert) revient de captivité. Le pain de l’exil était peut-être amer, mais au moins on lui en donnait à sa faim, car l’excellent ténor est toujours bien portant.

Entrée de Cobalet, le roi, qui vient recevoir Karnac-Bouvet, un chef franc magnifique, une sorte de Lapommeraye rouge. À la bataille, un chef comme cela doit valoir cent francs.

2e acte. — Une galerie du palais. Hautes colonnes avec des saints dans des niches, ces corsets du bâtiment.

Le roi envoie Mylio flanquer une pile à Karnac, moyennant quoi Talazac pourra épouser Mlle Simonnet.

Oui, mais voilà, s’il est tué ? Bah ! je suis toujours là.

3e acte. — Une grève, beaucoup plus agréable que celle des verriers. Au fond, des dolmens et la mer. À droite, un petit monument abrite la statue de saint Corentin, qui, tout à l’heure, deviendra vivante comme celle de la Vérité dans le Puits qui parle.

Ma foi, dût le saint me conduire à la rôtissoire éternelle, à Fournets qui le personnifie dans de riches atours je préfère infiniment Mlle Debriège et son absence de costume.

Talazac, qui s’est méfié de moi, est sorti vainqueur d’un combat dont Mlle Simonnet est le prix.

4e acte. — Une autre galerie du palais. Petit divertissement de demoiselles d’honneur blanches et bleues avec dosages bleus et blancs. Mlles Garbagnati et Migon sont deux pages agréables à parcourir et qui font comprendre tous les divertissements. Grand défilé nuptial.

Tous ces gens-là dansent sur une tempête.

5e acte. — Des rochers battus par une mer en furie qui promet d’engloutir tout le pays.

Karnac a percé la digue qui retenait les flots !

Comment ? Sans doute avec son épée. Toc, toc, ça y est. Ça n’est pas plus malin que cela dans les opéras dramatiques.

Heureusement que ce brave saint Corentin a quitté son petit monument pour aller se réfugier dans le ciel. II apparaît, et les machinistes arrêtent aussitôt les vagues en courroux.

Ça fait plaisir à tout le monde de voir arriver là l’eau.

Trépignements et rappels à ovations que-veux-tu.

La mise en scène est très belle et les décorateurs méritent de réels éloges.

Les costumes sont fin neuvième siècle et commencement du dixième, ils ont été dessinés avec un réel talent et une parfaite conscience artistique par M. Ch. Bianchini.

À citer : les masses sombres et ternes des soldats et du peuple ; l’aspect plus clair et plus riant de l’acte du mariage, avec les dames blanches et bleu ornées d’argent pâle et d’églantines.

Karnac (Bouvet) en prince guerrier avec ses deux cuirasses de cuir brun et noir imbriquées de fer, son manteau blanc, sa lourde épée à lame large, son casque en fer mat avec les deux grandes ailes de bronze, le couvre-nuque noir couvert de plaquettes et la seule note d’or de ses éperons de chevalier.

Le roi (Cobalt) pas banal, avec le long manteau couvert d’oiseaux éployés, sa couronne à plaquettes du style le plus pur.

Mylio (Talazac) en marié, de trois tons de violet, très éteint, très passé, les ors bien mats. Avec la note carlovingienne du manteau blanc orné de violet pâle et les crans rouges près le relevé.

Margaret (Mlle Deschamps) en reine, avec le manteau de pourpre sombre râpé sur une épaule, la haute couronne, des nattes descendant jusqu’au col ; les deux ceintures à pendentifs et les bijoux anciens.

Rozenn (Mlle Simonnet). Son dernier costume a été peu vu jusqu’alors comme reconstitution. La tunique blanche relevée de trèfles, de deux roses pâle et vif ; son colletin rose orné de perles et de cabochons, son diadème argent haut et massif avec perles couvrant les joues ; les deux nattes enroulées d’argent.

Lorsqu’elle se rend à la chapelle avec le roi et que les deux draperies du manteau s’étalent en plis longs et lourds, le tableau est d’une exactitude de reproduction admirable.

Est-il besoin de dire que le pauvre Bianchini a dû pâlir pendant de longues veilles sur les manuscrits, les livres de prières, les enluminures les plus authentiques pour arriver à la plus absolue vérité ?

Aussi ne lui parlez plus des temps modernes ; il s’est tellement identifié avec sa mission, qu’il avait loué un pied-à-terre rue de Bretagne et qu’il passait sa vie dans le plus grand mystère, livré tout entier à son travail de bénédictin, — qui laisse bien loin derrière lui la bénédictine des moines de l’abbaye de Fécamp.

Et maintenant, la moralité murmurée par tout le monde, dans les couloirs :

Après la Montsoreau,
Haro ! 
Mais après le Roi d’Ys,
Bis !

Scapin.

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Charles ROUSSEAU

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Alfred DELILIA

(septembre 1844 - 1916)

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(1823 - 1892)

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