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Les Premières. La Montagne noire

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LES PREMIÈRES
Théâtre de l’Opéra : LA MONTAGNE NOIRE, drame lyrique en quatre actes et cinq tableaux.

Voici une œuvre qui a avant tout le mérite d’être écrite par une femme. Dans les annales musicales c’est un fait digne d’être remarqué. D’autant plus que Mme Augusta Holmès a été à elle-même son propre librettiste. Elle a voulu avoir ses coudées franches, créer à sa guise et de toutes pièces son sujet et modifier son vers sans discussion préalable avec un collaborateur. Une aussi belle fièvre artistique venant d’une femme n’est certes pas faite pour déplaire. Et devant tant d’efforts noblement dépensés, la critique demeure hésitante et ne s’exerce qu’à regret.

Dans la mêlée wagnérienne, parmi ceux qui ont livré le bon combat pour l’affranchissement du drame musical et la liberté de son évolution, Mme Holmès a toujours été au premier rang. Elle n’a jamais caché son enthousiasme pour le maître de Bayreuth, et toute sa sympathie pour son esthétique. Elle la montra avec ses Argonautes, une composition musicale couronnée en 1881 au concours institué par la Ville de Paris. Un beau souffle animait cette œuvre écrite sous l’influence manifeste de Richard Wagner.

Mme Augusta Holmès aurait-elle brûlé aujourd’hui ce qu’elle adorait autrefois ? C’est à le croire après avoir entendu la Montagne noire, conçue et écrite dans les vieux moules. Je sais bien que nous devons à ceux-ci quelques chefs-d’œuvre et qu’il serait ingrat de l’oublier. Mais je sais aussi que le temps a marché, qu’un admirable mouvement de rénovation musicale s’est accompli depuis cinquante ans dans le drame lyrique et qu’il est bien difficile à un compositeur qui a, de nos jours, le souci de faire véritablement œuvre d’art de ne pas s’en préoccuper. Non que je veuille dire que nos musiciens doivent s’enrôler sous la bannière de Richard Wagner et devenir de serviles imitateurs. Je crois qu’ils n’auraient qu’à y perdre, le génie de Wagner étant essentiellement germanique et peu propre à s’acclimater chez nous. Il est cependant incontestable qu’il y a dans la révolution wagnérienne l’indication pour nos compositeurs d’une modification de notre drame musical. Berlioz, qui n’aimait certes pas Wagner, l’avait bien compris. Et depuis, MM. Reyer et Saint-Saëns et l’ondoyant M. Massenet lui-même, ont bien prouvé par des œuvres d’un art avancé quelle part il fallait faire aux tendances nouvelles.

Avec la Montagne Noire nous revenons en arrière. L’action en est d’abord trop dénuée d’intérêt et quelque peu singulière. Elle se passe en 1657, au Monténégro. Deux jeunes guerriers, Aslar et Mirko, après avoir longtemps combattu côte à côté, viennent de revenir encore une fois vainqueurs dans leur village — un petit hameau de la Montagne Noire. Pour mieux sceller leur amitié indissoluble, Ils demandent à l’évêque Sava de leur faire prêter le serment de fraternité. L’évêque le leur accorde, car ils en sont dignes. Devant le peuple assemblé, Aslar et Mirko prononcent la formule sacrée :

Je jure devant Dieu de t’aimer comme un frère
Dans la vie, dans la mort, dans la paix dans la guerre
Et de sauvegarder ton honneur de chrétien
Fût-ce au prix de mon sang ou fut-ce au prix du tien.

Ce serment est le nœud de la pièce et c’est pour l’avoir trahi que Mirko est tué par son frère Aslar et que celui-ci offre sa poitrine aux balles ennemies.

Il me reste à ajouter que c’est une femme, une esclave turque, la belle Yamina qui détourne Mirko de ses devoirs. Yamina c’est la bête malfaisante qui enlève Mirko tour à tour à sa mère, la patriotique Dara, à sa fiancée, la douce et mélancolique Helena et enfin à son pays et à son frère d’armes Aslar. Les quatre actes de Mme Holmès sont seulement remplis par les amours de Yamina et de Mirko, troublés à plusieurs reprises par Aslar qui vient, sans succès, rappeler à son frère le serment qui les unit.

Vous connaissez le dénouement. Le principal défaut de ce sujet c’est de n’être pas nouveau. Tous ces personnages Yamina. Mirko, Helena sont pour nous de vieilles connaissances. Nous pensons aussitôt à Carmen, à don José, à Micaela. Mais de quel puissant relief ceux-ci sont marqués et combien pâles à côté d’eux les figures indécises des personnages de la montagne noire. Ainsi pour ne prendre que le caractère d’Yamina. Voyez toute la distance qui la sépare de celui de Carmen. Carmen, c’est la fille capricieuse, fantaisiste, vraie bohémienne, mais sincère dans ses amours. Yamina, au contraire, est un personnage énigmatique, aux contours vagues. Aime-t-elle Mirko, ne l’aime-t-elle pas et n’est-elle alors qu’une fille de plaisirs sans ambition et sans but ? D’autres personnages, tels que Dara, la mère de Mirko, et Helena, sa fiancée, restent aussi peu définis. On ne les voit plus après le deuxième acte, et Mme Augusta Holmès a oublié de nous dire ce qu’ils devenaient.

Mais ouvrons la partition. Elle débute comme il est de mode aujourd’hui pour [sic] un court prélude, assez solennel et, aussitôt après, on entend les cris de détresse du peuple qui croit la bataille perdue. Helena adresse au ciel une prière pour le salut de son fiancé. Des coups de canon retentissent et Aslar et Mirko rentrent en scène en criant à la victoire. Le peuple les complimente sur leur vaillance, les jeunes filles les entourent. Le père Sava remercie le Seigneur de la victoire, et le chant du prêtre avec les réponses du chœur ont de la grandeur et de l’expression. J’aime beaucoup moins le serment qui suit entre Aslar et Mirko. Ici, la phrase musicale répétée à l’unisson est vulgaire et poncive.

Mais voici à l’orchestre les premières mesures d’un motif voluptueusement langoureux. C’est Yamina qui apparaît au milieu de soldats qui viennent de la faire prisonnière. Écoutez bien la phrase emblématique, le leitmotive qui accompagne l’entrée de l’esclave. Ce motif ne la quittera plus. Il est comme l’expression de son caractère, de son être tout entier et de ses amours perverses. Il se compose de quelques notes dont le rythme est rompu par un triolet, une forme musicale que Mme Holmès affectionne. Après le leitmotive de Yamina exposé dans le mode doux et langoureux de si bémol, Yamina chante une romance dans le même ton. Ce sera toujours à peu près la même que vous réentendrez au cours de cet ouvrage. Yamina ne change guère ses chansons. Elles sont toujours sans grande envergure, sans cri de passion, presque toutes semblables à d’agréables mélodies de salon d’un rythme voluptueux et sensuel. Ce premier acte s’achève par un chœur dansé fort bien traité.

Au deuxième acte je citerai l’air de Mirko, d’une mélancolique tristesse : « Qu’ai-je donc ? Pourquoi suis-je ainsi pris de langueur ? » et surtout un petit chœur de femmes d’un tour mélodique très gracieux. Les quelques mesures d’orchestre qui le précèdent sont empreintes d’un grand charme poétique. Vient ensuite une romance de Yamina dans le même sentiment voluptueux, mais soutenue cette fois par une orchestration originale où l’emploi de la clarinette est du meilleur effet. Le duo qui suit entre Mirko et Helena — et qui par la situation dramatique rappelle celui de Micaela et de Don José dans Carmen — est écrit avec tendresse et la petite prière dite par Helena a beaucoup de simplicité touchante.

Ce sont là, avec quelques fragments du troisième acte, les meilleures pages de cette partition, c’est-à-dire celles qui sont consacrées aux amours de Mirko et de Yamina, et du personnage d’Helena. En revanche toute la partie qui a trait au sentiment fraternel de Mirko et d’Alsar est, il faut bien le dire, trop souvent monotone et vulgaire. Enfin l’ensemble général de cette œuvre est d’un coloris orchestral pâle et sans éclat. Dans l’orchestration de Mme Holmès, le quatuor et particulièrement les violons n’ont pas toujours l’emploi qu’ils devraient avoir. On attend vainement quelques curiosités de timbres, une heureuse combinaison d’instruments ou un enchevêtrement original. Les tonalités restent presque toujours les mêmes dans les modes attendris de si bémol, de fa naturel ou de mi bémol.

L’interprétation de la Montagne Noire est bonne dans son ensemble, bien que Mlle Bréval apporte bien peu de fantaisie et de pittoresque dans son rôle. Qu’elle soit la Valkyrie ou Yamina, ce sont toujours les mêmes attitudes. Aucun art de composition dramatique. MM. Renaud et Alvarez sont parfaits de chant et de tenue. Mlle Berthet, sans cesse en progrès, prête au personnage d’Helena le charme de sa personne et de sa jolie voix. Et Mme Héglon est fort belle sous les traits de Dara. J’ai constaté avec plaisir que sa voix devient meilleure. La Montagne Noire a été soigneusement mise en scène par la direction de l’Opéra et M. Taffanel en a dirigé les études et l’exécution avec des soins auxquels il n’est que juste de rendre hommage.

Saint-Gilles.

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Composer, Pianist, Librettist

Augusta HOLMÈS

(1847 - 1903)

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