Barcarolles
Si Chopin fut le premier à transcender le genre de la barcarolle (à l’origine une chanson de gondolier), Gabriel Fauré lui offrit pleinement ses lettres de noblesse. Composées entre 1881 et 1921, ses treize Barcarolles sont l’un de ses ensembles pianistiques les plus importants. Tandis que ses Nocturnes sont des musiques de l’obscurité, tantôt passionnés ou graves, ses Barcarolles, plus éthérées, dévoilent la face voluptueuse du compositeur. Du balancement de la gondole, ne subsiste qu’une ondulation stylisée et dolente. La cantilène italienne s’est métamorphosée et amplifiée en un lyrisme pur, d’une expressivité en demi-teinte. L’écriture pianistique de Fauré, reposant essentiellement sur l’usage de figures arpégées issues de Chopin, combinées en une polyphonie volontiers contrapuntique, se caractérise aussi par l’égale importance qu’elle accorde aux deux mains. Le recueil est unifié par des rythmiques ternaires, des tempos modérés, des profils mélodiques amples et souples. Composées dans les années 1880, les quatre premières Barcarolles, par leur grâce sereine et séduisante, prolongent le romantisme. Dans les années 1890-1905, Fauré atteint sa plénitude artistique, marquée par un souffle expressif généreux, comme en témoigne l’opulence des Barcarolles no 5 à 7. À partir de 1906, l’harmonie du musicien est plus audacieuse à mesure que son écriture se dépouille instrumentalement. Dans cette ascèse, synonyme d’une modernité très personnelle, les Barcarolles no 8 à 13, à la fois euphoniques et âpres, renoncent à ce qui faisait jusqu’alors les séductions de l’art de Fauré, pour s’élever vers l’absolu.