Les Heures claires

S’il existe des recueils mêlant des mélodies d’auteurs différents (Clara et Robert Schumann, Fanny et Felix Mendelssohn), Les Heures claires présentent la particularité d’avoir été réellement écrites à quatre mains par Nadia Boulanger et Raoul Pugno. Les deux musiciens composèrent ce cycle entre avril et août 1909, à Gargenville (dans les Yvelines) où ils possédaient chacun une maison. Le terme de « cycle » se justifie par le choix d’une unique source littéraire, publiée par Émile Verhaeren en 1896 (le titre de la partition reprend celui du recueil poétique), par le thème de l’amour qui innerve les vers et reflète les sentiments de l’écrivain pour son épouse Marthe. Toutefois, on cherchera en vain une narration, des motifs thématiques récurrents qui cimenteraient l’ensemble. Ce qui s’épanche là, ce sont les mille nuances de la passion que la musique suit pas à pas. En témoignent les nombreuses indications expressives qui émaillent les mélodies, en particulier la deuxième et la cinquième : « Avec ferveur », « Avec un accent profond », « Avec une chaleur croissante », « Avec une sonorité un peu éteinte », « Très simple et sans aucune hâte », « Fervent et concentré », « Avec une très grande émotion », lit-on par exemple au-dessus de la partie vocale d’Avec mes sens, avec mon cœur. Le piano possède parfois ses propres indications, ce qui renforce son autonomie. Si l’harmonie se souvient par instants de Fauré et Debussy, elle affirme plus encore la singularité de Boulanger et de Pugno. Quant à la partie vocale, elle confie les sentiments à fleur de lèvres (Vous avez dit, seule mélodie aussi intime), mais laisse souvent le lyrisme propulser la ligne vers des sommets exaltés.