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Dalayrac, la fin d’une époque

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Mystérieuse figure que celle de Nicolas-Marie d’Alayrac (ou Dalayrac). Avec 55 ouvrages lyriques composés entre 1781 et 1811, il est, aux côtés de Grétry, le plus prolifique des compositeurs d’opéra-comique du dernier XVIIIe siècle. À la différence de celui-ci, qui publie des milliers de pages de souvenirs et d’essais donnant accès à son œuvre et à son point de vue intime sur son temps, Dalayrac ne laisse à la postérité aucun écrit, sinon quelques lettres éparses au propos anodin. Mystérieux, il l’est devenu pour nous, mais pendant plus de 40 ans, pas une semaine ne passait sans que l’un de ses opéras-comiques ne fût programmé à Paris et sur le territoire national. Cela représente un quart (3 029) des 12 111 représentations recensées par la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques entre 1794 et 1796 (deux ans) dans 44 villes de France, à peu près autant que celles d’œuvres de Grétry (3351). Encore faut-il préciser que cela concerne 19 titres seulement sur les 30 créés jusqu’à 1796, c’est à dire un petit tiers de sa production lyrique totale (1781 et 1811). Au sein de cet ensemble, le seul opéra-comique intitulé Les Deux Petits Savoyards, créé en 1789, est représenté 467 fois et se distingue comme l’un des ouvrages les plus souvent donné pendant la Révolution. La condamnation des trois privilèges dénoncés par Beaumarchais (le rang, le nom, l’argent) et le portrait touchant de deux adolescents incarnant des vertus humanitaires et égalitaires ont séduit le public bien au-delà des frontières françaises. 

L’entrée de Dalayrac dans la carrière doit beaucoup à son rang social qui lui vaut d’être qualifié d’amateur par la presse de l’Ancien Régime, ce qui le distingue comme noble et impose l’anonymat aux pages de titre de ses quatuors et de ses premiers opéras-comiques. Dès son arrivée à Paris (1774), il est rattaché à la maison du Comte d’Artois et fréquente le cercle qui entoure Marie-Antoinette pendant les dix premières années de son règne, entre le Sacre et l’affaire du collier, en apportant sa contribution aux théâtres de société. Son premier opéra-comique, Le Petit Souper ou L’Abbé qui veut parvenir (1781) est créé sur le théâtre du Baron de Bésenval, en présence de la Reine. Son librettiste, Louis-Edmé Billardon de Sauvigny, est membre de la Loge des Neufs Sœurs et son dédicataire Claude-François-Marie Rigoley (1759-1790), connu sous le titre de comte d’Ogny, est un haut personnage de l’État, mais aussi un violoncelliste, fils du fondateur du Concert des amateurs (1769-1781) et franc-maçon élu Vénérable de la Loge Olympique en 1782. L’ouvrage suivant, intitulé Les Deux Tuteurs (1783), est créé à Fontainebleau avant d’être repris à Paris. Il a pour librettiste Nicolas Fallet, frère en loge de Dalayrac, et il est dédié à Salvalette de Langes, garde du trésor royal. La réserve dans laquelle les institutions républicaines l’ont tenu ensuite, en ne lui faisant aucune place au Conservatoire ni à l’Institut de France, a installé l’image d’un petit aristocrate languedocien et musicien sensible, maltraité par la République à propos duquel son confrère, compositeur et musicographe, Jérôme-Joseph de Momigny écrit avec une pointe d’envie : « Ce Languedocien a su s’insinuer avec l’adresse gasconne sur la scène de l’Opéra-Comique ». 

La marginalisation de Dalayrac à l’égard de la profession de musicien qui s’organise alors, est accentuée dans l’historiographie romantique par le fait qu’il assure la permanence d’une verve dramatique et musicale légère, par opposition aux larges effets qui dominent dans les œuvres de Luigi Cherubini (inspecteur du Conservatoire) ou d’Étienne-Nicolas Méhul (idem, premier titulaire de la chaire de musique à l’Institut de France). Tandis que ces derniers sont perçus comme les continuateurs de la tragédie lyrique Gluck et les chefs de file d’une école française tournée vers un héroïsme républicain grandiloquent, Dalayrac alimente le répertoire en pièces spirituelles et touchantes qui jouissent d’une popularité immense. 

Envisagé au travers des livrets qu’il a mis en musique, Dalayrac apparaît comme un contributeur raffiné de la comédie mêlée d’ariettes telle qu’elle prospère dans le sillage du drame bourgeois. Sa collaboration régulière avec Marsollier des Vivetières commence en 1786 par Nina ou La Folle par amour qui radicalise le thème de la passion contrariée et dont le triomphe relève du phénomène de société. En outre, il laisse une galerie de plus de trois cents personnages, tous fortement caractérisés par l’âge, la condition sociale, la relation familiale ou sentimentale, et tous intégrés à des intrigues bien construites roulant sur des sujets d’actualité. En l’espace de trente ans, Dalayrac a exercé son naturel mélodique à peindre tour à tour l’amour maternel (Les Deux Petits Savoyards, Asgill, Marianne), l’amour conjugal (Camille, Adolphe et Clara), le tolérantisme et la bienfaisance (La Pauvre Femme, Cange), l’amour paternel ou filial (Alexis, Une matinée de Catinat, Les Deux Petits Savoyards), et à traiter de sujets aussi divers que le droit de succession (Une heure de mariage), le divorce (Adolphe et Clara), l’indépendance américaine (Arnill), l’escroquerie par le mariage (Picaros et Diégo) ou les pots de vin et la bourse (Maison à vendre), mais aussi, les rivalités et le pouvoir, la nostalgie des temps chevaleresques, la réclusion conventuelle, le changement de régime… La réception parfois tumultueuse de ces ouvrages et les interventions de la censure rappellent qu’ils voient le jour à une époque où la fonction du théâtre change radicalement. Tandis que Voltaire voyait en lui la plus belle éducation qu’on puisse donner à la jeunesse, la meilleure instruction pour tous les ordres de citoyens et la seule manière d’assembler les hommes pour les rendre sociables, il est de plus en plus souvent perçu aussi comme un puissant levier de l’opinion auquel on peut recourir et qu’il convient de contrôler. 

Envisagé comme musicien, il est d’abord un compositeur de musique instrumentale rapidement gagné par un penchant à la coloration psychologique et sociale. Les styles des mélodies et des accompagnements caractérisent le militaire, le paysan, une époque, le noble, le timide, la veuve, l’artiste, le valet, la bavarde, l’adolescence, l’ouvrier, le savant, une nationalité… Son écriture mélodique, comme celle de Grétry – qui le revendique quasiment comme son élève –, est façonnée par l’accent et par le réalisme déclamatoire. Elle est, cependant, plus déterminée par la régularité de la période et par les formes de la chanson ou de l’air italien, et elle assume parfois une fonction psycho-dramaturgique dans une direction qui sera largement développée au XIXe siècle. Au deuxième acte de Camille (1791), Fabio songe ; ce sont les bribes d’une mélodie entendue au premier acte qui donnent à entendre l’idée qui occupe son esprit endormi. Dans Léon ou Le Château de Montenero (1797), satire du roman noir anglais, c’est encore une mélodie qui révèle au spectateur dans quels termes les deux amants qui se regardent pensent l’un à l’autre sans pouvoir échanger une parole. 

L’à propos des sujets, le charme des personnages et la facilité d’écoute expliquent en grande partie l’extraordinaire diffusion en France et à l’étranger de ses plus grands succès. Mais pour en prendre toute la mesure, il faut rappeler que les créations de Dalayrac rencontrent opportunément l’essor prodigieux d’une organisation théâtrale à la fois centralisée à Paris (création) et disséminée sur tout le territoire national. La multiplication des troupes et l’édification de nombreux théâtres s’observent dans près de 70 villes de France disposant en 1800 d’une salle érigée au cours des cinquante années précédentes. La place éminente de l’opéra-comique dans leur programmation, à parité avec le répertoire de la Comédie Française, se lit dans la dénomination des « emplois ». Dans chaque troupe, une Dugazon, une Saint-Aubin ou une Gonthier, un Trial, un Michu, un Elleviou ou un Clairval, tous interprètes des personnages campés par Dalayrac, sont nécessaires à la diffusion des ouvrages créés à Paris par ces acteurs-chanteurs célèbres en leur temps. Dans ce processus de construction d’une culture partagée par toutes les classes de la société, Dalayrac et Grétry sont responsables du qualificatif de « genre éminemment national » appliqué à l’opéra-comique autour de 1830. 

Au sujet de Dalayrac, plus qu’à n’importe lequel de ses confrères, le désert contemporain paraît surdéterminé par le dénigrement de la période romantique à l’égard de tout ce qui pouvait rappeler l’optimisme critique des Lumières et de la fin de l’Ancien Régime. Le décalage exorbitant entre une popularité universelle et le vide discographique actuel invite à partager le point de vue de Philippe Vendrix lorsqu’il concluait que « si les messages des œuvres de Dalayrac n’atteignent pas les auditeurs modernes, peut-être est-ce nous qui y perdons ».

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(1753 - 1809)

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